Une théorie de la nation doit préciser les éléments qui la constituent, le socle matériel sur lequel s’élève ce principe spirituel. Toute nation repose sur trois piliers : un territoire continu, la possession d’une langue, une symbolique à partager. Après en avoir examiné le rôle, on peut éclairer les rapports de la nation d’une part avec l’ethnie, d’autre part avec l’État.
1. La continuité du territoire
Une nation s’établit sur un sol qu’elle considère comme le sien et qu’elle n’entend pas partager. La revendication territoriale est le premier signe de la volonté nationale et l’on ne peut concevoir une nation qui ne se voudrait pas propriétaire d’une portion de la surface du globe. Israël en fournit un exemple éclatant. Si les juifs ont de tout temps regardé vers Jérusalem, cet attachement passionné à la terre qui fut promise à leurs ancêtres participait d’une vision religieuse, il n’était pas un sentiment national. Lorsque les juifs d’Europe furent gagnés par l’idée de nation, à la suite de l’émancipation, certains formèrent le projet de fonder un Etat particulier qui exercerait la souveraineté sur la Palestine. Le territoire de la nation n’est pas seulement un lieu saint, symbole d’une foi religieuse : il constitue un foyer national. De même que la famille a besoin d’un domicile, la nation demande un territoire : seulement, la nation, à la différence de la famille, ne peut s’établir dans un autre lieu que celui où ses ancêtres voyaient leur patrie. C’est pourquoi les projets d’installation du foyer national juif ailleurs qu’en Palestine étaient chimériques.
Une nation peut avoir des possessions éloignées, son territoire propre est nécessairement continu. Le principe de continuité territoriale est d’une extrême importance et sa valeur est confirmée par de nombreux exemples. Il est non seulement un facteur de cohésion stratégique, mais aussi un critère de légitimité, dont l’influence morale se fait aussi sentir à l’intérieur d’États non nationaux, quoique moins nettement ; c’est ainsi que les empires coloniaux de la France, de l’Angleterre, de l’Espagne et du Portugal se sont disloqués bien avant celui de la Russie, qui était tout aussi colonial, et qui a gardé de beaux restes…
Pour réclamer leur indépendance, les treize États d’Amérique du nord coalisés contre l’Angleterre pouvaient invoquer leur particularisme religieux : puritains contre anglicans. Mais pourquoi le Canada, où les francophones étaient minoritaires, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont-ils pris le large à leur tour ? Pour ce qui est de la population (malgré une minorité de Maoris), du climat, des dimensions, tout rapproche la Nouvelle-Zélande de l’Angleterre. Cependant, comme elles sont géographiquement aux antipodes l’une de l’autre, elles ne peuvent pas se considérer comme une seule nation. En revanche, le Pays de Galles et l’Ecosse se sont laissés absorber dans le Royaume-Uni, et, s’il est question d’une nouvelle séparation, elle demeure très hypothétique. Derechef, le cas de l’Irlande fournit épreuve et contre-épreuve, selon que l’on regarde l’Irlande par rapport à la Grande-Bretagne, ou l’Irlande du nord par rapport à l’Irlande du sud. Le facteur religieux interfère en l’espèce avec la géographie, il est vrai. C’est pourquoi la Nouvelle-Zélande est un exemple plus topique.
D’une façon générale, les États fragmentés ont tendance à éclater, tandis que les États d’un seul tenant affrontent mieux les vicissitudes de l’histoire ; de plus, un territoire doit être continu pour être le creuset d’une nation.
Prenons le cas du Pakistan. Après l’indépendance de l’Inde en 1947, on n’a pas évité que les musulmans créassent un État distinct de celui des hindous. Ce dernier est un empire, plutôt qu’une nation, car il englobe une extraordinaire variété de races, de langues et de religions. Le Pakistan, quant à lui, confirme la loi de continuité territoriale ; il n’a pas pu empêcher l’indépendance du Bengale (Bengladesh), situé à des milliers de kilomètres du Pendjab. En contrepartie, il a gardé dans sa nouvelle configuration, qui est d’un seul tenant, des populations batailleuses : les Baloutches et les Pathans. Etat théocratique hétérogène, le Pakistan a peut-être établi les bases d’une nation nouvelle, qui serait susceptible de se former autour du noyau pendjabi, s’il arrivait un jour que celui-ci imposât sa langue propre, en lieu et place de l’ourdou..
L’Organisation de l’unité africaine (O.U.A.) a sacralisé les frontières issues de la colonisation. Malgré sa détermination et des appuis extérieurs, le Biafra n’a pu gagner la guerre d’indépendance, et l’Erythrée a eu le plus grand mal à y parvenir, tant il est vrai que les États, aujourd’hui, s’opposent de toutes leurs forces à la séparation d’une région contiguë. Il n’y a pas de vraie nation en Afrique noire, parmi les pays artificiels nés de la décolonisation, si ce n’est à l’état embryonnaire. Mais ces nations imaginaires ont adopté d’emblée l’idéologie nationaliste avec le principe des nationalités, qui apparaît comme la clé de voûte des relations entre les États, qualifiées justement d’internationales. Et, du même coup, elle ont accepté le principe de continuité territoriale qui lui est sous-jacent, sous ses deux aspects complémentaires, l’un négatif, l’autre positif : « Je ne revendique pas de terre qui ne soit le prolongement de celles qui m’appartiennent déjà. » – « Je n’abandonnerai jamais de territoire dont aucun obstacle physique ne me sépare. »
Cette notion de continuité, qui est essentiellement intellectuelle et témoigne d’une représentation cartographique de l’espace, peut s’étendre à des îles voisines, surtout si elles ne sont pas grandes ; mais l’insularité marque la psychologie des habitants. Que dire alors de la Corse ? Tout en étant européenne, et assez proche du continent, elle appartient plutôt à l’ensemble italien géographiquement, comme la Sardaigne voisine. Ce n’est donc pas seulement son originalité ethnique au sein de la population française qui explique la force du sentiment particulariste parmi les Corses et la persistance d’un courant séparatiste. Un détail du vocabulaire en témoigne : lorsqu’un « continental » parle de ses compatriotes, il pense en général à tous les Français, alors que, s’il est corse, il n’entend par là que les autres Corses… En octobre 1988, l’assemblée régionale n’a pas craint d’affirmer l’existence d’un peuple corse, comme si les Corses ne faisaient pas partie du peuple français. On peut donc penser que l’appartenance de la Corse à la France, au demeurant incontestable, est plus fragile que celle, disons, de la Bretagne. C’est pourquoi l’Etat a donné au principe de continuité territoriale une valeur administrative quand il s’agit de la Corse, en assurant des tarifs réduits et des communications commodes entre l’île et le continent (16).
Les possessions françaises d’outre-mer situées hors d’Europe sont si lointaines qu’on ne peut pas les regarder avec réalisme comme des parties du territoire national. Bien sûr, la Terre Adélie est à la France ; elle n’est pas la France. Cela n’implique pas qu’il ne faille pas défendre la souveraineté française sur ce territoire. Les Anglais ont livré bataille à l’Argentine pour défendre les Falklands (ou Malouines), bien que cet archipel ne fût qu’une colonie du Royaume-Uni. Ses habitants, descendants d’immigrants britanniques, ont une citoyenneté distincte de celle des Britanniques de la Métropole. Pour ce qui nous concerne, nous savons que la Nouvelle-Calédonie doit continuer d’appartenir à la France aussi longtemps que la majorité des habitants de l’île le voudra. Sa situation géopolitique n’est pas du tout semblable à celle de l’Algérie. Elle est bien plus facile à défendre, étant donné son isolement, ses dimensions et sa population. La France peut conserver un territoire qui présente pour elle un intérêt certain, sans encourir un coût prohibitif. La métropole ne risque pas non plus d’être submergée par des immigrants venus de Nouvelle-Calédonie. Alors que, si elle avait gardé les départements algériens, la France aurait été amenée à accorder aux Algériens la libre entrée en métropole, comme à des citoyens français. (Il est vrai que le gouvernement français a maintenu à peu près les mêmes facilités aux ressortissants algériens après l’indépendance. Cette mauvaise politique était une séquelle de l’utopie assimilationniste qui n’a pas cessé de miner notre identité nationale.)
La continuité du territoire présente des avantages d’ordre géométrique : elle facilite les communications entre les parties du pays ; de plus, comme les frontières sont relativement moins longues pour un État d’un seul tenant, les échanges, les contacts et donc les menaces sont réduits. Ce sont des considérations de poids au point de vue militaire ; il est difficile de tenir ensemble des forces dispersées. Jadis, en Europe, quand le pouvoir était aux mains de princes de droit divin, les facteurs stratégiques jouaient peut-être autant qu’aujourd’hui en faveur de la continuité du sol, alors que celle-ci ne donnait aucune légitimité particulière. Or, les États étaient morcelés. Sans doute le peuple éprouvait-il de l’attachement pour le sol de la patrie. Mais celle-ci n’avait pas de frontières bien définies et pouvait se rétrécir aux bornes du village. Le sens du territoire se manifestait à plusieurs niveaux, notamment dans la division des terres agricoles, sans donner encore lieu à un idéal politique. Bien que la continuité territoriale ait toujours été un atout pour les États, c’est l’idée nationale qui en a fait un critère de légitimité, en tirant parti d’une tendance inscrite dans la nature humaine. Une nation veut un territoire pour se regrouper, assurer son homogénéité et asseoir sa souveraineté. Lorsque la nation est achevée, les citoyens ne peuvent concevoir qu’on la partage à l’occasion d’une succession, comme l’empire de Charlemagne au traité de Verdun. Le territoire de la République est inaliénable. L’Alsace a été française avant la Lorraine sans que personne ne s’en offusquât. C’est que notre nation n’était point encore parfaite avant que sa souveraineté n’eût été solennellement proclamée et que la monarchie de droit divin n’eût été en conséquence abolie.
Les Capétiens ont poursuivi une politique d’extension du pré carré qui donnait peu à peu à la nation la forme de l’Hexagone, au fur et à mesure de son développement, et donnait corps à son unité en rapiéçant son étendue. L’idée des frontières naturelles, attribuée à Richelieu, est devenue une mystique. Il ne suffit pas que la nation soit d’un seul tenant. Elle veut trouver dans l’espace des repères visibles où elle puisse arrêter sa vue, en même temps que ses ambitions. L’Océan, la mer, les Pyrénées, les Alpes remplissent assez bien cet office. Au nord-est, on ne trouve guère entre nous et les peuples germaniques de frontières incontestables, sinon celles que l’histoire a tracées (17). Aussi naturelles soient-elles, les frontières sont toujours une convention, et tirent leur existence de la volonté que nous avons de les maintenir. La frontière, barrière imaginaire, est la limite idéale de notre identité. Quelle que soit la valeur de la théorie du « sanctuaire » – qui fait trop bon marché de la « bataille de l’avant » -, il est clair que la dissuasion vaut surtout pour le sol de la nation et qu’elle peut difficilement jouer pour les territoires d’outre-mer. Dans l’hypothèse d’une agression contre l’un d’entre eux, le gouvernement français aurait le devoir de riposter avec énergie par tous les moyens classiques et serait probablement mal avisé d’élever le conflit au niveau nucléaire. La Grande-Bretagne ne l’a pas envisagé pendant la guerre des Malouines.
On s’imagine souvent, lorsque naît une nouvelle formation culturelle, qu’elle est indépendante de la nature humaine, puisqu’elle n’a pas toujours existé. C’est une profonde erreur, qui relève de la « pensée dichotomique »stigmatisée par Konrad Lorenz (18). « Culture » et « nature » sont indissociables et toute communauté forme un système bioculturel dont les éléments interagissent en permanence, de génération en génération. D’ailleurs, l’idéal de la nation n’était pas entièrement nouveau, puisqu’il est la réplique moderne de la cité antique. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un phénomène idéologique, qui dresse dans l’ordre politique une nouvelle vision des rapports sociaux, en s’appuyant sur une tendance enracinée dans la nature humaine : l’instinct du territoire.
L’homme, en effet, est un animal territorial. Les travaux des éthologues comme Konrad Lorenz, Irenäus Eibl-Eibesfeldt, V. C. Wynne-Edwards, ont montré la force de l’instinct territorial chez de nombreuses espèces, y compris l’homme. Ces animaux, comme l’homme, s’attribuent un territoire qu’ils défendent avec ardeur contre leurs congénères. C’est la division du sol qui établit des relations pacifiques à l’intérieur d’une espèce : les conflits de frontières sont rares (19).
La sélection naturelle a inscrit l’instinct de territoire dans notre héritage phylogénétique. C’est lui qui donne à la nation cette énergie vitale si caractéristique. C’est pourquoi le territoire est la condition prioritaire de la formation du sentiment national. Cependant, le programme génétique de l’homme est ouvert. C’est en ce sens, que, selon Arnold Gehlen, « l’homme est par nature un être de culture ». L’idéal de la nation n’est pas la seule expression de cet instinct, sans quoi, en effet, on ne comprendrait pas qu’il n’ait pas toujours existé. On peut faire un parallèle entre famille et nation, propriété et souveraineté, domicile et territoire, et regarder la nation comme une famille étendue, si l’on ne recherche pas dans la métaphore une précision qui ne peut s’y trouver. La famille, comme la nation, s’approprient l’espace à leur échelle, et s’attachent à des territoires.
2. La possession d’une langue
Après le territoire, la langue est le deuxième signe de l’identité nationale. Toute nation possède une langue, qu’elle regarde comme la sienne, qu’elle cultive avec amour et qu’elle défend contre les intrusions étrangères, tout en cherchant éventuellement à en répandre l’usage hors de ses frontières. Il peut se faire que cette langue ne lui soit pas propre, et il arrive aussi que tous les nationaux ne la parlent pas, elle reste nonobstant un élément constitutif de l’identité nationale.
On cite souvent la Suisse pour alléguer qu’une nation peut exister sans langue nationale. Ainsi, Renan : « La Suisse, si bien faite, puisqu’elle a été faite par l’assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l’homme quelque chose de supérieur à la langue : c’est la volonté. La volonté de la Suisse d’être unie, malgré la variété de ces idiomes, est un fait bien plus important qu’une similitude de langage, souvent obtenue par des vexations. » (20) Il est aisé de voir que le prétendu contre-exemple suisse ne vaut rien : historiquement et géographiquement, la Suisse est une nation de langue allemande, qui englobe des minorités linguistiques. Morceau détaché du Saint-Empire, dont elle faisait officiellement partie jusqu’aux traités de Westphalie (1648), la Confédération helvétique fut formée à l’origine par des cantons purement germaniques, dont celui qui a donné son nom à l’ensemble (Schwyz). Longtemps, elle est restée presque exclusivement allemande. Si l’on dit que Rousseau, citoyen de Genève, était suisse, c’est un anachronisme : sa ville n’est entrée dans la confédération qu’en 1822.
Aujourd’hui encore, plus des deux tiers des Suisses ont l’allemand comme langue maternelle. La capitale, Berne, et la ville principale, Zurich, parlent allemand. La minorité de langue italienne est marginale (à condition de ne compter que les nationaux) et la minorité romanche, d’ailleurs très germanisée, est négligeable. Seule la minorité romande, d’expression française, a quelque importance. Mais Genève, malgré son prestige, est excentrée et ne représente pas la Suisse. Les Romands, sans doute, ne reconnaissent pas la langue de Berne et de Zurich comme leur langue nationale. Se sentent-ils suisses, ou bien genevois, vaudois, jurassiens ? A Genève, pour parler des Alémaniques, on dit : les Confédérés…
Il s’en faut donc de beaucoup que les quatre langues de la Suisse soient sur le même plan. Il est vrai que sa langue nationale, l’allemand, ne lui appartient pas en propre, pas plus que l’espagnol à l’Argentine ou l’anglais aux États-Unis. Le fait est incontestable : la communauté de langue ne suffit pas pour faire une seule nation. Cependant, si des nations distinctes peuvent parler la même langue, il est intéressant de relever qu’il s’établit dans l’usage qu’elles en font certaines différences, et que celles-ci ont tendance à s’accentuer avec le temps, non seulement à cause d’une dérive spontanée, mais parce que chaque nation cherche à affirmer son identité en cultivant sa différence. Les Suisses parlent des dialectes allemands assez particuliers et l’on observe à l’heure actuelle que le Schwytzerdütsch est de plus en plus utilisé à la place de l’allemand officiel. Malgré l’étroite connexion que les media tissent entre les deux rives de l’Atlantique, l’anglais des Etats-Unis se détache peu à peu de celui de la Grande-Bretagne. On voit déjà des livres « traduits de l’américain » ; la formule, pour être abusive, n’en dénote pas moins une tendance. Il s’est produit un phénomène assez comparable quand les Norvégiens se sont rendus indépendants des Danois et qu’ils se sont efforcés de retrouver dans l’idiome des paysans ce qui pouvait constituer une langue norvégienne à part entière. De même, quand les Boers ont intronisé leur dialecte afrikaner à la place du néerlandais comme langue officielle de l’Afrique du sud.
Sans contester le rôle de la volonté dans la vie d’une nation, nous entendons montrer que, pour durer, celle-ci doit s’appuyer sur des facteurs objectifs, notamment sur une langue nationale. Une nation veut une langue nationale, et quand elle doit la partager, elle la transforme pour se l’approprier. Il n’est pas nécessaire que tous les nationaux la parlent. L’Irlande en fournit une preuve extrême, puisque le gaélique n’y est plus guère qu’un symbole et ne peut faire concurrence à l’anglais. En France, les jacobins de toutes les époques se sont efforcés de faire disparaître les langues régionales et y sont presque parvenus. Cet excès de zèle unificateur n’a fait qu’appauvrir la France en l’uniformisant. La France était assez forte pour tirer parti de traditions culturelles enracinées dans nos terroirs, que des siècles de vie commune avaient harmonisées sans les confondre. Il n’est pas indifférent, du reste, que ces langues soient toutes des membres de la grande famille indo-européenne, à la seule exception du basque, d’ailleurs très peu parlé dans notre pays. Dans l’Espagne voisine, l’autonomie de la Catalogne, dont la langue est proche du castillan, n’a pas soulevé les mêmes difficultés que celle du Pays Basque, qui semble habité par la volonté farouche de rompre avec l’Espagne.
3. Des symboles à partager
Avec le territoire et la langue, une nation en formation doit se doter d’une symbolique ; d’abord un nom : la France, l’Allemagne, l’Italie ; puis une devise, un hymne, un petit nombre d’emblèmes chargés d’une intense affectivité. Toute véritable communauté a besoin de ces symboles qui manifestent son identité, la permanence de ses traditions, qu’il s’agisse d’un ordre, d’une école, d’une corporation, d’une entreprise – ou de la nation (21). Il n’est pas d’idéal désincarné qui soit authentique, et l’idéal de la nation, si dynamique, s’exprime dans ces rites parareligieux où les citoyens réaffirment leur volonté de vivre ensemble, de poursuivre à travers leur descendance l’aventure commencée par les générations précédentes, réunis dans ces « lieux de mémoire » qui parsèment le sol où ont vécu leurs ancêtres (22). La guerre elle-même prend un tour cérémoniel et l’on meurt pour son drapeau par amour de son pays.
Ici, nous sommes en présence d’objets qui n’ont de valeur que par ce qu’ils signifient, de formes pures que le mythe emprunte pour se révéler à nous comme, par le son, la présence de l’esprit.
(16) Ce système dit de la continuité territoriale, en vigueur depuis 1976, est régi par la loi du 30 juillet 1982 sur le statut particulier de la Corse. « Il permet, dit François Grosrichard, de faire comme si la mer n’existait pas et comme si les marchandises et les voyageurs transportés par avion ou par bateau empruntaient le réseau de la S.N.C.F. ». (Le Monde des 2-3 avril 1989) L’État prend en charge la différence entre le prix de revient du transport et le prix de vente du billet.
(17) Cf. Fernand Braudel, L’Identité de la France, t. 1, « Espace et histoire », Arthaud-Flammarion, 1986, troisième chapitre, « La géographie a-t-elle inventé la France ? », et Michel Foucher, Fronts et frontières, Fayard, 1988
(18) Konrad Lorenz, L’Envers du miroir, Flammarion, 1975
(19) Cf. Henry de Lesquen et le Club de l’Horloge, La Politique du vivant, Albin Michel, 1979, et les livres de Konrad Lorenz, Irenäus Eibl-Eibesfeldt, etc., indiqués en bibliographie
(20) Ernest Renan, « Qu’est-ce qu’une Nation ? », op. cit., p. 97
(21) Cf. Ferdinand Tönnies, Communauté et société, Retz-C.E.P.L., 1977
(22) Cf. Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, Gallimard, 1985