Les crises économiques ont des aspects catastrophiques, mais aussi des aspects cathartiques. Ces derniers concernent aussi bien le domaine économique et financier – par élimination des canards boiteux – que celui des idées et de la connaissance. La crise provoque en effet une multitude de commentaires et d’analyses où se révèlent les attitudes et l’esprit de leurs auteurs. Dans ce foisonnement de prises de position, Bernard Maris occupe une place de choix, tant par son accès privilégié aux media que par la quantité de ses publications.
Après une présentation de la personnalité de cet auteur, une analyse de ses thèses permettra de justifier son choix comme lauréat du prix Lyssenko.
1 – Qui est Bernard Maris ?
Né à Toulouse, la ville rose, en 1946, Bernard Maris y fait ses études, et décroche en 1975 un doctorat de sciences économiques à l’université de Toulouse 1, sous la direction du professeur Jean Vincent, bien connu pour ses options marxo-keynésiennes. La thèse porte sur la distribution personnelle des revenus, c’est-à-dire la distribution opposant salariés et capitalistes, dans une vision marxiste primaire. Près de vingt ans après, en 1994, Bernard Maris devient professeur des universités… toujours à Toulouse, et se trouve actuellement en poste à l’université de Paris VIII.
Ce parcours universitaire, bien que d’une qualité relative, fait de Bernard Maris un économiste pouvant prétendre à la scientificité. Il tente quelques publications de style académique :
– en 1985, « Eléments de politique économique : l’expérience française de 1945 à 1984 » ;
– puis, en 1999, « Keynes ou l’économiste citoyen« , où il apparaît comme un fervent défenseur de la politique de Jacques Delors et des idées du maître de Cambridge. Sa connaissance de Keynes est certaine, mais, sans doute blessé de ne pas avoir été reconnu plus tôt par l’Alma Mater, il se met, avec un certain bonheur médiatique, à cracher dans la soupe.
– Sont ainsi publiés, en 1990, « Des économistes au-dessus de tout soupçon ou la grande mascarade des prédictions« ,
– en 1991, « Les sept péchés capitaux des universitaires« ,
– en 1999, « Lettre ouvert aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles« ,
– puis un « Antimanuel d’économie » (tome 1 en 2003, tome 2 en 2006),
– pour finir en janvier 2009 avec « Capitalisme et pulsion de mort« , co-écrit avec un autre universitaire toulouso-keynésien, Gustave Dostaler. Nous reviendrons plus longuement sur ce dernier ouvrage, qui synthétise et clôt pour l’instant le parcours de Bernard Maris – économiste à prétention scientifique -.
Auparavant, il convient de rappeler que Bernard Maris a une vie sociale, initialement annexe, mais qui finit par vampiriser son activité universitaire. Dès la fin des années 1990, il se tourne vers le journalisme avec des publications d’ouvrages telles que « Ah Dieu ! que la guerre est jolie » (1998), « La bourse ou la vie – la grande manipulation des petits actionnaires » (2000), « Malheur aux vaincus : ah, si les riches pouvaient rester entre riches ! » (2002, en collaboration avec Philippe Labarde), ou encore « Petits principes de langue de bois économique » (2008). Il écrit aussi des articles pour différents journaux tels que Le Nouvel Observateur, Le Monde, Marianne, et surtout – sous le pseudonyme d’Oncle Bernard – Charlie Hebdo, dont il devient le directeur adjoint de la rédaction, et dont il détient 11 % du capital, ce qui lui a rapporté en 2006 plus de 100.000 euros de dividendes. Il a été retenu par France Inter pour donner une chronique économique quotidienne, du lundi au jeudi, à 6 h 50, et le vendredi pour participer à 7 h 15 à un débat sur un thème d’actualité. La télévision aussi fait appel à son « talent », tant la chaîne I-Télé qui en fait le chroniqueur de son émission « Y’a pas que le CAC », que France 5 qui le fait souvent intervenir dans l’émission « C’est dans l’air ».
Désormais membre de l’intelligentsia parisienne, Bernard Maris a aussi tenté l’aventure de l’écriture romanesque, avec la publication de « L’enfant qui voulait être muet » en 2003 et du « Journal » en 2005. Moins prosaïque est son aventure politique, puisqu’il a été membre du conseil scientifique d’ATTAC, s’est présenté aux législatives en 2002 à Paris dans le XXe, sous l’étiquette des Verts, parti dont il est adhérent.
Ces éléments de biographie permettent de situer quelque peu le personnage. Nul doute que Balzac se serait régalé à romancer ce cheminement d’un Rastignac contemporain. De Rastignac, il a l’origine, l’énergie et le pouvoir de séduction ; d’aujourd’hui, il a, en commun avec le milieu médiatique, la (dé)formation de l’école française des sciences humaines aux relents de sociologie marxiste, d’économie keynésienne et de psychologie freudienne. Cette connivence intellectuelle permet au nouveau dandy parisien d’être sous le feu des sunlights et de diffuser sous une apparence savante une idéologie d’un autre âge. Le statut d’universitaire ne garantit malheureusement pas la scientificité dans un pays où le tortionnaire Boudarel peut être membre de l’enseignement supérieur. Et, pour interpréter le présent, la référence à des penseurs d’autant plus grands que sont grandes leurs erreurs ne peut que relever de la permanence d’une pensée idéologique.
2- Que pense Bernard Maris ?
L’importance quantitative des écrits et des interviews de Bernard Maris devrait a priori rendre difficile la présentation de sa pensée. En fait, cette logorrhée est facile à épurer : l’essentiel se trouve dans son dernier ouvrage, Capitalisme et pulsion de mort. Véritable concentré de la manière BMiste, ce texte de 168 pages présente une analyse du capitalisme et de la crise actuelle dont l’avantage est de faire une synthèse des clichés de l’intelligentsia gauchiste. Plutôt que de le déconstruire ligne à ligne – cf. à cet égard le travail intéressant de Marius Letellier disponible sur Internet -, il convient aujourd’hui d’en souligner le caractère lyssenkiste où la pseudo-scientificité tente de masquer des affirmations idéologiques.
Bernard Maris projette ainsi en 3D sa vision des choses : il assemble des éléments partiels de chacun de ses grands maîtres, Marx, Keynes et Freud, pour une lecture morbide du capitalisme censé être animé d’une pulsion destructrice illustrée par la crise.
De Marx, il retient la lutte des classes et le rôle de la bourgeoisie, qualifiée de surcroît de « prédatrice et cupide, vulgaire, plus stupide sans doute que cynique, qui n’est animée par aucun idéal… ». Une sociologie de comptoir, oublieuse du rôle des classes moyennes ou de celui des élites qu’un Vilfredo Pareto avait su cerner. Une sociologie holiste, oublieuse des travaux d’un Raymond Boudon, pour lequel, si les strates sociales existent, elles ne peuvent être affublées d’un volonté propre, seule la capacité d’action des individus permettant d’expliquer les phénomènes sociaux.
Cette conception holiste se retrouve aussi dans la démarche macro-économique de Keynes qu’admire Bernard Maris. Il privilégie l’analyse monétaire de son idole, la fameuse préférence pour la liquidité, qui devient un « désir d’argent » au pouvoir destructeur. Oubliées les limites de la théorie de la préférence pour la liquidité, qui néglige l’hétérogénéité des titres, la subjectivité de l’évaluation des risques, la bancarisation et même l’inflation, pour restreindre les comportements à un seul arbitrage monnaie-titres. Oubliés les prolongements monétaristes de Keynes, qu’un Milton Friedman a développés, sans peut-être se rendre compte des erreurs que peut engendrer une approche patrimoniale de la monnaie. Forçant le trait du « désir d’argent », Bernard Maris tente de faire croire bien maladroitement (p. 73) que Keynes assimile monnaie et excrément (ou immondice), ce qui doit faire retourner dans sa tombe ce jouisseur des biens de ce monde. (Sauf à considérer que les préférences sexuelles du maître le conduisent à apprécier l’analité…)
Quant à Freud, son introduction dans l’analyse relève de l’escroquerie intellectuelle à plus d’un titre. D’abord, parce que l’on sait maintenant à quoi s’en tenir sur l’homme lui-même, menteur, plagiaire, caractériel (cf. Le livre noir de la psychanalyse), au point que la boutade de Karl Popper définissant le psychanalyste comme un malade qui croit que sa maladie est un médicament s’approche avec lui de la vérité. Ensuite, parce que la psychanalyse ne relève pas de la démarche scientifique, ses hypothèses, telles que la pulsion de mort, étant auto-immunisées contre des réfutations factuelles (admettant la thèse et son contraire, selon le cas). La pulsion de mort n’est qu’une hypothèse invérifiable qui n’a pas le statut d’une explication, et il peut y avoir bien d’autres fondements aux actes ou aux envies de destruction. Enfin, même en admettant cette hypothèse de type individuel, rien ne justifie de la transposer au plan social, encore moins par le biais d’un système économique tel que le capitalisme.
C’est sur ces bases, bien éloignées de la science, que Bernard Maris donne sa lecture de la situation :
La pulsion de mort est censée « expliquer » le pouvoir destructeur du capitalisme illustré par la crise financière et la crise du climat. Une bourgeoisie animée par le désir morbide de liquidité est à l’origine du « credit crunch » des banques, et l’histoire – à laquelle la psychanalyse est par ailleurs allergique – ne ferait que se répéter, la crise contemporaine n’étant qu’un remake de celle de 1929. Oubliée l’origine étatique des problèmes, la volonté politique de faire des prêts immobiliers à des gens insolvables, les fausses garanties d’agences parapubliques telles Freddy et Fannie, la réglementation absurde imposée aux banques d’évaluer leurs actifs aux valeurs de marché (« marked to market »), etc. La soif de liquidités provient de ces mauvaises incitations , et ce n’est pas en la comblant que les Etats régleront le problème. Cette politique « de desperado » (Hayek) , inspirée des idées keynésiennes chères à Bernard Maris, porte en elle l’annonce de bulles futures qui n’auront rien à voir avec une pulsion de mort.
Merci Bernard Maris, le faux savant que vous êtes nous conduit sur de fausses routes, et pour l’ensemble de votre œuvre, permettez que l’on vous délivre le prix Lyssenko.
Gérard Bramoullé