Conclusion : quelle stratégie pour la droite ?

par Bernard Mazin

Le 15 juin 1988, en cette année funeste qui vit successivement la réélection de François Mitterrand et le retour au pouvoir de la gauche socialiste à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, après deux ans de cohabitation, le Club de l’Horloge organisait un séminaire politique sur le thème : « L’union de la droite est-elle possible ? ». Au cours de ce séminaire, Henry de Lesquen évoquait ainsi l’erreur stratégique fondamentale qui avait conduit à cette défaite de la droite :

« L’échec de la majorité est celui de la stratégie du recentrage, qui a consisté :
« 1) à accepter et à valider le langage et les valeurs de l’adversaire, sous prétexte de consensus…
« 2) à dénoncer le travail idéologique comme un danger ou une diversion…
« 3) à ramener la politique à la gestion et à l’économie, en expliquant qu’il n’y avait pas de vrais problèmes en dehors du chômage ou de la formation… considérés exclusivement dans leur dimensions économiques. »

4) Aux yeux du président de Lesquen, l’une des dimensions importantes de cette stratégie du recentrage était l’incapacité de la majorité sortante à désigner un adversaire, et sa tendance suicidaire à combattre sur deux fronts simultanément, à savoir contre le P.S. et contre le F.N..
Alors, quand on voit ce qui s’est passé en France au printemps 1997, l’on est tenté de s’interroger : l’histoire bégaie t-elle ? Et faut-il se résigner à admettre que, décidément, la droite française est bien, comme on l’a souvent dit, « la droite la plus bête du monde », et qu’en neuf ans elle n’a rien appris ni rien compris ?
Car, si l’on s’en tient aux quatre points qui viennent d’être résumés, force est de constater que la majorité sortante a pris un malin plaisir à retomber dans les ornières qui avaient mené à la défaite de 1988 :
– en ce qui concerne le langage et les valeurs, elle s’est évertuée à se couler dans le moule de l’idéologie égalitaire, en cultivant avec délectation des thèmes comme la lutte contre l’exclusion, ou la réduction de la fracture sociale, ou en menant des actions sectorielles que n’auraient pas reniées ses prédécesseurs : voir, par exemple, la politique culturelle de MM. Toubon et Douste-Blazy, par rapport à celle de Jack Lang ;
– en ce qui concerne l’attitude vis-à-vis de l’idéologie, elle n’a pas su, et de loin, se départir de sa défiance antérieure, en se cantonnant dans une conception aseptisée de l’action politique ;
– en ce qui concerne le « socio-économico-centrisme » et la conception gestionnaire de la politique, qui sont évidemment étroitement liés aux deux rubriques précédentes, de longs commentaires seraient superflus : depuis 1993, les gouvernements successifs de MM. Balladur et Juppé nous ont rebattu les oreilles de mesures contre le chômage – avec le succès que l’on sait -, de réduction des déficits budgétaires, de réforme de la Sécurité sociale, de passage à la monnaie unique… mais on chercherait en vain, derrière toutes ces mesures, l’ombre d’une réflexion sur leur cohérence avec une orientation économique libérale, à laquelle l’ex-majorité prétendait pourtant se rattacher : bien au contraire, nous avons vécu, nous l’avons souvent dit, sous l’empire des Tables de la Loi de la pensée unique : « Il n’y a pas d’autre politique possible » ;
– en ce qui concerne enfin la stratégie de combat sur deux fronts, la majorité issue des urnes de 1993 n’a fait que persévérer dans l’erreur de ses prédécesseurs de 1986. Alors qu’un Charles Pasqua se permettait en 1987 de déclarer que le R.P.R. et le F.N. avaient des valeurs communes, sans susciter de tollé considérable en dehors de la gauche bien-pensante, une telle attitude serait aujourd’hui, de la part d’un dirigeant de stature nationale, inconcevable et politiquement suicidaire, compte tenu de la diabolisation croissante du parti de J.-M. Le Pen. Bien plus, la majorité sortante, Alain Juppé en tête, a non seulement refusé de désigner clairement les forces qui véhiculent l’idéologie social-démocrate comme l’adversaire principal, mais est allé jusqu’à déclarer que le F.N. était un adversaire au moins aussi nocif que le P.S..
Le résultat de cette brillante stratégie de la droite classique est de nous ramener une fois de plus à la case départ, avec l’amertume de constater qu’avec des idées de droite majoritaires dans le pays, nous sommes, pour une période indéterminée, gouvernés par une coalition socialistes-communistes-verts, aussi hétéroclite que nuisible aux intérêts de la France.
Bien sûr, l’on peut être tenté de se réfugier dans l’ironie. Lorsqu’en première page du Monde du 9 septembre 1997 on lit : « La droite redoute d’être condamnée à de longues années d’opposition – Le R.P.R. et l’U.D.F. sont divisés sur leur stratégie de reconquête », un premier réflexe est de se dire qu’après tout ces partis récoltent le fruit de leur politique inconsistante, et que peut-être, enfin, ils vont tirer les leçons de leur nouvel échec. Une telle attitude serait toutefois empreinte de légèreté, compte tenu de la gravité de la situation.
Une autre approche plus optimiste pourrait consister à parier sur un revirement rapide de l’opinion, compte tenu des erreurs commises par le nouveau gouvernement. En faveur de cette thèse, il est vrai que, de notre point de vue de libéraux nationaux, ce dernier accumule les bévues. A titre d’exemple :
– les mesures de « discrimination positive » dans le domaine de l’attribution des allocations familiales sous plafond de ressources ;
– l’accroissement de la pression fiscale dans le projet de loi de finances pour 1998, au nom de la justice sociale ;
– la politique des emplois-jeunes, par laquelle on tente maladroitement de camoufler l’incapacité à lutter efficacement contre le chômage, et qui est une véritable aberration économique, comme l’a justement fait remarquer J. Chirac, pour une fois bien avisé : on se croirait revenu au temps des chantiers nationaux de 1848 ;
– les projets de loi sur l’immigration, fondés sur le rapport de M. Patrick Weil, qui proposent de résoudre la quadrature du cercle entre les pressions du lobby de l’immigration et le souci « réaliste » de ne pas revenir sur les lois Pasqua-Debré, dont nous avons depuis longtemps démasqué le caractère « faux dur »…
Mais il faut se garder d’être trop confiant dans les erreurs de l’adversaire et lui reconnaître aussi un certain savoir-faire dans l’habillage de sa politique, vis-à-vis des Français, dont la plupart ne sont pas aussi rompus que nous le sommes à déjouer les pièges du langage et des concepts : si l’on reprend les exemples énumérés à l’instant, l’on s’aperçoit vite qu’outre la référence systématique à des mots chargés d’un contenu émotionnel fort – justice, solidarité, générosité – les initiateurs des mesures prennent garde à ne pas heurter de front une masse trop importante d’adversaires en puissance, et en tout cas veillent à créer en contrepartie un gisement de soutien équivalent.
Ainsi, sur les allocations familiales, Mme Martine Aubry, s’exprimant le 26 septembre 1997 devant la Commission des comptes de la Sécurité sociale, déclare : « La mise sous condition de ressources concernera moins de 8% des foyers qui perçoivent aujourd’hui les allocations familiales, soit environ 2,3% des familles. Peut-on, au regard de ces chiffres, évoquer les classes moyennes ? »
De même, lorsque Claude Allègre part en guerre contre l’absentéisme des enseignants, ou la pratique consistant à prendre les congés-formation pendant les périodes de cours, toutes choses au demeurant connues depuis des années, il s’aliène peut-être la sympathie des syndicats, mais gagne bien au delà en popularité parmi les parents d’élèves, même réputés de droite.
Aussi, il serait vain de tabler sur une hypothèse dans laquelle la balance pencherait inéluctablement du côté des erreurs. A supposer que cette hypothèse se réalise, elle se traduirait à terme par un retour de la droite dans le désenchantement.
De même, il ne suffira pas d’incantations pour nous libérer du retour de la gauche. Monsieur Sarkozy, il est trop facile, dans un entretien au Monde du 16 septembre 1997, d’accuser le nouveau Premier ministre d’être un « socialiste dogmatique », dont les choix économiques alourdissent le rôle de l’État. C’est sans aucun doute exact, mais qu’avez vous fait, vous et les vôtres, lorsque vous étiez aux affaires ?
Car telle est bien la problématique de fond : à quelles conditions la droite peut-elle reprendre la main et mener un stratégie volontariste de reconquête du pouvoir ? Est-il encore temps, ou sommes-nous condamnés à quinze ou vingt ans de social-démocratie ?
J’exclurai de cette esquisse tout ce qui a trait aux stratégies partisanes : le « désarroi » du R.P.R., les péripéties qui agitent périodiquement le microcosme politique à propos d’une éventuelle fusion R.P.R.-U.D.F. ne nous concernent pas plus que les rivalités exacerbées entre la droite parlementaire et le Front national pour occuper le terrain et conquérir les électeurs. C’est bien entendu une dimension que l’on ne peut méconnaître, et qui constitue un obstacle sérieux à l’émergence d’une ligne politique unitaire de droite. Mais il n’appartient pas au Club de l’Horloge, qui est indépendant à l’égard des partis, de réduire sa réflexion à l’aune des contingences de la politique politicienne.
Tout au plus peut-on suggérer, dans ce domaine, que les dirigeants des mouvements de l’opposition parlementaire seraient bien inspirés de prendre en compte les aspirations de leur base militante – à supposer qu’il en reste une – et en tout cas de leur électorat, tant le fossé qui les sépare paraît de plus en plus irréductible, et contribue à les mettre encore plus en situation d’échec.

Le Club de l’Horloge ne prétend pas détenir la panacée pour réaliser l’union de la droite et reconquérir le pouvoir perdu en juin 1997. Au demeurant, si cette reconquête devait se solder par un retour à la politique menée depuis 1993, serait-ce vraiment ce que nous voulons ? Evidemment non.
Dans mon intervention en clôture de l’université de 1996, j’épinglais la « perte des repères idéologiques » des dirigeants de l’époque. Cette critique demeure entièrement d’actualité, même si M. Sarkozy – encore lui -, dans la même interview au Monde, bat sa coulpe, en déclarant que, « lors des dernières élections, c’est moins les socialistes qui l’ont emporté que nous qui avons perdu. Ce ne sont pas nos idées qui ont été battues, mais plutôt la façon dont nous avons donné l’impression de ne pas les défendre qui a été sanctionnée ».
Etait-ce d’ailleurs une impression ? Rien n’est moins sûr. Dans le même numéro du Monde, Jérôme Jaffré, dans un article sur « la droite, la défaite et le Front national », expliquait cette défaite avant tout par le fait que le R.P.R. et l’U.D.F. n’avaient « pas su faire apparaître une politique différente de celle conduite précédemment par les socialistes et… faire émerger une identité de droite clairement identifiée ». Selon lui, la droite n’a désormais d’autre choix que de « retrouver une identité idéologique », et de dédiaboliser le Front national, faute de quoi elle sera condamnée à voir ce dernier se renforcer à son détriment.
Le commencement d’une stratégie serait donc, pour la droite, de renoncer à communier dans les mêmes valeurs que ses adversaires, ce qu’elle n’a cessé de faire depuis des années, comme on l’a vu. Dans ce domaine, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a « du pain sur la planche », tant les hommes politiques présumés de droite ont tendance à renier leurs convictions pour faire « moderne » et se bercer de l’illusion qu’ils vont ainsi rallier à leur cause une partie de l’électorat de gauche. Alain Madelin, dont nous avons eu l’occasion à maintes reprises de faire l’éloge, croit-il faire avancer son projet politique en déclarant qu’il n’y a pas de sujet tabou et que, par conséquent, il est prêt à discuter du contrat d’union civile et sociale et de la dépénalisation des drogues douces ?
Une telle déclaration illustre parfaitement le fait que le phénomène de perméabilité entre les idéologies de gauche et de droite se produit toujours à sens unique : pour la gauche, il y aura toujours des sujets tabous sur lesquels elle ne transigera jamais – l’égalitarisme, les vertus de l’État-providence et de la redistribution, le multiculturalisme… -, alors que, pour la droite parlementaire, l’on est non seulement toujours prêt à examiner « dans un esprit d’ouverture » les idées de « ceux d’en-face », mais l’on n’ose pas, tant l’action de culpabilisation a été efficace et tenace, avouer que l’on a aussi des valeurs non négociables, et que l’on est prêt à les défendre jusqu’au bout.
Dans un tel contexte, l’on peut esquisser deux orientations très générales de ce que pourrait être une stratégie de la droite :
– Identifier les lignes de fractures idéologiques entre la droite et la gauche et se positionner clairement par rapport à elles ;
– Au delà des différentes sensibilités et des divisions qui existent au sein de la droite, tenter la recherche du socle, du plus grand commun dénominateur idéologique, qui permette de retrouver une adéquation entre les aspirations de la majorité de nos concitoyens et la politique menée par leurs gouvernants.


I – En ce qui concerne les lignes de fracture idéologiques, je ne pense pas qu’il soit utile de s’étendre bien longuement. Didier Maupas, dans sa communication sur « les nouveaux enjeux du débat politique », comme dans des réflexions récentes sur le même sujet, a dessiné le contour de la problématique en la matière.
Il discerne ainsi plusieurs oppositions autour desquelles va s’organiser inéluctablement toute la vie politique pour les dix ans à venir, notamment :
– opposition démocratie/oligarchie ;
– opposition liberté/social-démocratie ;
– opposition cosmopolitisme/identité ou mondialisme/nationalisme.
Chacune de ces oppositions se décline en sous-thèmes, dans lesquels on retrouve naturellement les sujets de nos universités annuelles et de nos colloques de ces dernières années. Par exemple, le premier débat évoqué ? démocratie/oligarchie – ramène à la fois à l’idée de redonner la parole au peuple, à la réflexion sur le règne du droit et sur le rôle de l’État, au constat sur l’hypertrophie des pouvoirs parallèles (media, juges, commissions de sages, « autorités morales », etc.) ou encore à la volonté de rétablir la souveraineté nationale par rapport à l’hégémonie américaine et aux institutions européennes irresponsables.
Cette simple évocation permet de se rendre compte que si l’identification des grandes lignes de fracture est chose relativement aisée, le positionnement des partis institutionnels de la droite – et aussi ceux de la gauche, dans une large mesure, d’ailleurs – par rapport à elles est une tout autre affaire : Didier Maupas nous dit à cet égard que ces partis ont réussi jusqu’ici à repousser les échéances par le recours aux politiques du « ni-ni », et à la « pensée unique », mais que cette possibilité va s’amenuiser dans les prochaines années, car les oppositions idéologiques vont peser d’un poids croissant, obligeant la classe politique a faire des choix clairs sur des sujets aussi sensibles que le fédéralisme, la social-démocratie, l’école, l’immigration, la protection sociale, la sécurité ou la dénatalité.
Cette situation est à hauts risques pour la droite, pour de multiples raisons :
– la forte imprégnation du consensus social-démocrate ;
– la propension corrélative de la droite classique à se laisser piéger dans des faux débats qui la ramènent toujours sur le terrain de l’adversaire : l’affaire des immigrés illégaux (ou « sans-papiers ») en a offert une illustration particulièrement criante, prolongée actuellement par les discussions sur le devenir des lois Pasqua-Debré. On ne parle à aucun moment de l’immigration, mais uniquement des modalités techniques d’accueil et d’expulsion des immigrés. En outre, la droite accepte de se laisser culpabiliser, dès lors qu’elle reprend à son compte le langage de l’adversaire, en l’occurrence le terme de « sans-papiers », au lieu de celui d’immigré illégal ;
– la difficulté de lutter contre le dispositif de diabolisation mis en place contre une partie de la droite par les partisans de la gauche, mais avec la complicité, parfois pour des raisons de conviction, mais plus souvent pour des raisons purement tactiques, d’une partie de la droite.

Donc, le risque est important. Mais il faut le prendre, car il peut être aussi une chance pour la droite. En effet, si l’on considère que le clivage gauche-droite est toujours opératoire, et je pense que les travaux de cette université ont contribué à vous convaincre que tel est bien le cas, il faut absolument clarifier le débat d’idées, proposer des solutions qui soient authentiquement ancrées à droite, correspondant aux vœux des Français, et, si nécessaire, lever les nombreuses ambiguïtés qui planent sur le positionnement exact des organisations qualifiées de droite, généralement par la gauche, par rapport aux idées et aux solutions clairement de droite.
En somme, l’objectif est que la gauche soit à gauche et que la droite soit à droite, même si cette clarification doit se traduire par une décomposition, puis une recomposition des forces qui évoluent sur l’échiquier politique en France.

II – Ce repositionnement idéologique de la droite par rapport à la nouvelle idéologie dominante est indissociable du second point que je souhaite aborder maintenant, à savoir la recherche d’un dénominateur commun à la droite. En effet, à examiner de près les programmes, les déclarations, les prises de position, et les actes, quand ils sont aux affaires, des partis classés à droite, on peut avoir le sentiment d’une irréductible cacophonie idéologique, qui n’est pas seulement liée à la pénétration des idées social-démocrates au-delà de ses frontières naturelles, mais aussi à des différences de sensibilités pas toujours superficielles au sein de ces différents partis.
C’est ainsi qu’au sein du Club de l’Horloge, nous avons coutume de considérer que la droite est traversée par quatre courants distincts :
– un courant que l’on peut qualifier de libéralisme social, et qui converge nettement vers la social-démocratie, en ce qu’il marie une faible dose de libéralisme économique à une absence de remise en cause des composantes idéologiques fondamentales du socialisme (État-providence, redistribution, interventionnisme de l’État dans l’économie, etc.) ;
– un courant libéral-mondialiste, ou libéral utopique, qui n’a pas d’incidence directe sur des mouvements politiques particuliers, mais qui exerce un magistère d’influence non négligeable, à travers les économistes ultra-libéraux, et qui dénie par principe à l’État tout droit d’intervention dans le domaine socio-économique ;
– un courant social-protectionniste, qui, à l’inverse du précédent, charge le libre-échange de tous les maux dont souffre la France, et considère qu’une dose importante de protectionnisme permettrait de sauvegarder l’Etat-providence, qui serait dans la tradition française ;
– un courant libéral-national, enfin, auquel appartient le Club, qui renvoie dos-à-dos le libéralisme utopique et la social-démocratie en proposant de ramener l’État de l' »État obèse » à l' »État fort », et en affirmant qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre libéralisme économique, seul moyen d’assurer la prospérité, et la défense de l’identité nationale contre l’idéologie mondialiste.
A lire l’énumération de ces quatre courants, que l’on peut s’amuser à démultiplier ou essayer de recouper avec les clivages partisans, l’on peut avoir le sentiment que l’élaboration d’un socle idéologique de droite s’apparente à la quadrature du cercle. Pourtant, il ne faut pas céder au découragement. Des divergences qui paraissent aujourd’hui irréductibles peuvent être demain atténuées, sous la poussée de l’opinion. N’oublions pas qu’en 1986 le programme électoral R.P.R.-U.D.F. était pour l’essentiel un programme de droite, et que, au demeurant, s’il avait été appliqué, il aurait probablement ralenti la montée de l’électorat du F.N., puisqu’il ne présentait pas de propositions foncièrement inacceptables par cet électorat, notamment sur des sujets sensibles tels que l’immigration, le code de la nationalité, etc..

Pour autant, il est évident que la tâche ne sera pas simple. Il nous semble, quant à nous, que la stratégie libérale-nationale est la seule qui permette de sortir la France de l’ornière dans laquelle l’ont plongée quinze ans de socialisme ou d’avatars du socialisme. Sans esquisser un programme à proprement parler, on peut dire que le dénominateur commun comporte quelques idées forces, parmi lesquelles :
– sur le plan international, une politique de puissance et de grandeur qui refuse tant l’hégémonie américaine que la dilution dans un fédéralisme européen indifférencié, mais qui accepte la conception gaullienne de l’Europe des nations ;
– sur le plan économique, la référence au libéralisme économique, au capitalisme et au libre-échange, sans toutefois exclure que des éléments de protectionnisme soient parfois justifiés ;
– le recentrage de l’État sur ses missions régaliennes, ce qui doit entraîner une révision totale des systèmes dérivés de l’idée d’État-providence, et d’une manière plus générale de toutes les institutions qui souffrent d’un excès d’interventionnisme étatique (entreprises publiques, système éducatif, etc.). En contrepartie, l’État doit mener une politique beaucoup plus volontariste et ferme dans le secteur de la protection de l’identité nationale (immigration, identité culturelle), de la défense et de la sécurité des citoyens.

En conclusion, on peut, bien entendu, se demander si une telle stratégie est réaliste, dans le contexte que nous avons décrit. En d’autres termes, l’union de la droite que nous appelions de nos vœux il y a dix ans a t-elle des chances de voir le jour, à l’aube du troisième millénaire ?
Les données objectives dont nous disposons, et les multiples obstacles déjà évoqués, n’inclinent guère à l’optimisme, il est vrai. Les réflexions de Philippe Chaumette sur « la droite et la gauche aujourd’hui » montrent que, parmi les scenarii possibles, celui d’une « grande coalition » n’est pas le plus improbable. Ce scénario pourrait résulter à la fois de la poursuite de la contamination d’une partie de la droite institutionnelle par les idées adverses, et du refus de cette droite d’accepter une union avec le F.N. dans laquelle elle n’aurait plus qu’un rôle subalterne. En outre, la répétition des situations de cohabitation constitue une forme d’apprentissage de la grande coalition.
Un autre élément peu encourageant est cette sorte d’acharnement quasi structurel de la droite à cultiver ses divisions internes. Non que la gauche n’ait pas ses propres dissensions internes à gérer. Mais il y a tout de même une différence de nature entre les deux situations. Dans le cas de la gauche, des nuances entre courants au sein du P.S., qui n’intéressent que les initiés ; des divergences d’appréciations entre les socialistes, les communistes et les verts sur des dossiers techniques ; mais les convergences de fond restent intactes : Robert Hue déclarait en octobre 1997 que la crise que venait de connaître la coalition gouvernementale en Italie, du fait de la défection momentanée des communistes refondateurs, était inconcevable en France… A droite, au contraire, un refus affiché des états-majors de travailler ensemble pour le bien du pays. N’oublions pas qu’après le résultat des élections du printemps dernier, Julien Dray incitait ses amis du P.S. à avoir le triomphe modeste, car ils ne devaient leur victoire qu’à la bêtise de leurs adversaires.

Alors, faut-il se résigner à subir pour quelques décennies supplémentaires le poids de la social-démocratie, à cause de l’absence de clairvoyance des dirigeants des partis de droite ? Je crois que, si le salut doit intervenir, il proviendra de la base, et pas du sommet. Car, à la différence là encore de la situation qui prévaut à gauche, l’union de la droite est souhaitée par les électeurs, mais pas par les états-majors. Il ne faut donc pas exclure, si la France continue de s’enfoncer dans le marasme, grâce aux bons soins de la coalition au pouvoir, qui ne réglera aucun des problèmes cruciaux qui se posent, et notamment pas celui du chômage, que la pression de l’opinion devienne si forte qu’elle conduise les chefs de parti à prendre enfin conscience des enjeux, créant ainsi une synergie dans le sens de l’union.
Si une telle hypothèse devait se concrétiser un jour, il faudrait encore que la droite – et ici je reprends une réflexion de Didier Maupas que je juge très importante – trouve un discours qui donne aux Français des raisons d’espérer. Ce ne sera pas facile, car il ne s’agit pas de verser dans le messianisme ou le constructivisme, mais de refuser le fatalisme et de reformuler, sous une forme réaliste, l’aspiration à un monde meilleur qui est en chacun de nous, ce qui n’est pas tellement dans la tradition ni dans la culture de la droite. Mais quand ce sera fait, c’est alors que pourra s’engager le redressement de la France.