Contre la société multiculturelle, maintenir l’identité nationale

par Yvan Blot

1) Les années 1850-1950 ont été le siècle du socialisme, parce qu’elles furent, pour l’humanité, celles des grands déracinements. En Europe, les populations ouvrières qui se sont concentrées dans de gigantesques banlieues, du fait de l’industrialisation et de l’urbanisation, avaient perdu leurs attaches paysannes. En Afrique et en Asie, le choc culturel et économique provoqué par la colonisation européenne a détruit en partie les traditions locales.

  Nous assistons aujourd’hui, à travers le monde, au retour des valeurs d’enracinement. Le déclin du socialisme s’ensuit inévitablement. C’est le développement des mouvements nationaux qui a conduit les anciennes colonies à l’indépendance. Dans les pays occidentaux, le sentiment national remonte dans l’opinion, après l’éclipse qui a suivi les deux guerres mondiales. Le symbole du drapeau tricolore, par exemple, a beaucoup de valeur pour plus de 70 % des Français, d’après les sondages (source S.O.F.R.E.S.), alors que ce taux était inférieur de 10 points il y a dix ans. Il faut dire que la présence de l’étranger renforce la conscience de l’identité. Le phénomène de colonisation à rebours que nous vivons en Europe favorise le développement de nouveaux partis politiques de sensibilité plus nationale, comme le Front national en France ou les partis du progrès au Danemark et en Norvège.

  Dans les pays multiculturels, le regain des identités transforme la vie politique. Ainsi, la Belgique devient peu à peu un État fédéral, pour répondre aux revendications du régionalisme flamand. Certains craignent même pour l’unité du royaume. Le cas de ce pays montre, une fois de plus, que l’intégration est une illusion, comme les Français eux-mêmes en ont fait l’expérience à l’époque de la crise algérienne.

  L’histoire nous enseigne que l’arrivée massive d’étrangers débouche tôt ou tard sur la guerre des ethnies, quand ils ne peuvent ou ne veulent assimiler la culture du pays d’accueil : le Liban, l’Irlande du nord, Ceylan, en témoignent en ce moment même, sans parler des difficultés d’Israël avec les territoires occupés. En Union soviétique, l’agitation des Arméniens, des Kazakhs, des Tatars, des Juifs ou des Baltes fait apparaître que la politique d’intégration des nationalités a finalement échoué, malgré les procédés totalitaires qui ont été mis en œuvre. Dans les Sudètes, après huit siècles de cohabitation, les Tchèques étaient restés distincts des Allemands, et ceux-ci (au nombre de 3,5 millions) ont été expulsés après la deuxième guerre mondiale. Ces exemples illustrent les difficultés de la cohabitation des ethnies, à défaut d’assimilation, même lorsque celles-ci sont proches.


  Il existe, certes, un pays où plusieurs ethnies vivent en harmonie : c’est la Suisse. Ce succès s’explique par une politique rigoureuse de « territorialisation » : sur un territoire, on n’admet qu’une seule culture. Une famille genevoise qui émigre à Zurich ne trouvera pas d’école de langue française pour ses enfants, elle devra s’assimiler. Il en sera de même pour des Zurichois qui s’installeront à Genève. Le canton de Berne, le seul qui n’ait pas respecté cette règle, a connu des conflits ethniques. Dans le Jura bernois, des îlots de langue germanique s’étaient constitués au milieu du pays romand. La réaction des francophones a été parfois violente : on a même vu des plastiquages. En définitive, il a fallu créer un nouveau canton pour eux.

  Pour préserver la paix civile, il faut maintenir l’identité culturelle de la communauté territoriale (nationale ou locale). La société multiculturelle est multiconflictuelle. Naguère, M. Jean-Jacques Servan-Schreiber avait expliqué la réussite suédoise, dans Le Défi américain, par l’homogénéité ethnique du pays, qui facilite le dialogue entre les partenaires sociaux.

  2) Il est largement admis au sein des partis de droite que l’identité nationale doit être défendue. Quoique le Front national, bénéficiant de l’évolution de l’électorat, ait précédé en cela le R.P.R. et l’U.D.F., il n’y a pas de fossé culturel ou doctrinal entre ces formations, contrairement à un préjugé complaisamment entretenu dans les media. Il est démystificateur, à cet égard, de comparer la plate-forme de gouvernement R.P.R.-U.D.F. du 16 janvier 1986 avec le programme du Front national, Pour la France, édité à la fin de 1985. On peut dire que l’union de la droite est non seulement possible, mais encore qu’elle existe déjà au niveau des programmes officiels des partis, puisque ceux-ci sont en complet accord sur 86 % des points ( ).

  Le programme du Front national, s’il est nettement plus audacieux que celui du R.P.R. et de l’U.D.F. en ce qui concerne l’identité nationale, n’est pas différent en profondeur de ce dernier et relève, sur ce sujet, de la même philosophie. Au demeurant, quelles que soient leurs divergences, qui ne sont certes pas négligeables, la position du Front national, qui préconise une politique de type suisse à l’égard des étrangers (préférence nationale pour l’emploi et carte de séjour à durée limitée), ne peut en aucun cas être qualifiée de raciste. Elle n’est pas non plus contraire à la démocratie : la Suisse pourrait nous donner des leçons sur ce terrain, puisqu’elle donne la parole au peuple grâce au référendum d’initiative populaire.


  A ce propos, il est curieux que certains responsables du R.P.R. et de l’U.D.F. s’opposent à la préférence nationale (et européenne), laquelle est pourtant formellement inscrite dans les programmes de ces deux formations… au chapitre de l’agriculture. La préférence communautaire, pilier de la politique agricole commune, est un précédent important que personne n’ose attaquer, compte tenu du poids de l’électorat agricole.

  Le R.P.R. et l’U.D.F. affirment, comme le Front national, que la protection de l’identité nationale est un impératif majeur de leur politique. Alors, on est en droit de demander à M. Noir, du R.P.R., ou à M. Stasi, de l’U.D.F., sur quels fantasmes ils fondent leur dénonciation du Front national. A moins que ces personnalités ne soient opposées à la plate-forme de gouvernement du R.P.R. et de l’U.D.F. !

  En réalité, lorsqu’il s’agit de l’identité nationale, le clivage n’est pas entre le Front national d’une part, le R.P.R. et l’U.D.F. d’autre part, il est à l’intérieur du R.P.R. et de l’U.D.F., où une minorité de responsables acquis à l’idéologie de gauche a pris une importance anormale, au grand dam des électeurs et des militants de ces partis. Cette minorité, qui a fait pression sur le gouvernement pour que la plate-forme R.P.R.-U.D.F. de 1986 ne soit pas appliquée, est en grande partie responsable de la victoire électorale de M. Mitterrand en 1988.

  3) Je voudrais, pour conclure, préciser les conditions institutionnelles d’une politique de protection et de promotion de l’identité nationale.

  Notre démocratie dite représentative fonctionne mal. Les députés, pris par leur circonscription électorale, font fort peu leur métier de législateur. Les rapports sont préparés par les administrateurs des deux Assemblées, fonctionnaires de haute qualité au demeurant, mais qui ne sont pas mandatés par le peuple. Les propositions de loi des parlementaires ne sont presque jamais discutées. Les projets de loi du gouvernement, qui monopolisent l’ordre du jour, émanent des ministères. En réalité, c’est l’administration qui gouverne la France, en condominium avec les lobbies médiatiques, syndicaux et autres, bien davantage que le peuple. Parfois même, c’est la foule, comme on l’a vu dans l’affaire Devaquet, quand les manifestations ont obligé le gouvernement à retirer le projet de loi sur la réforme de l’université.


  Une telle situation est malsaine : il y a contradiction entre les principes affirmés et la réalité vécue, et la démocratie s’efface devant la technocratie ou l' »ochlocratie » (le gouvernement des foules). Pour rendre aux représentants du peuple la capacité de légiférer, il faut adopter un scrutin de type proportionnel, afin que le député ne soit plus obligé de jouer le rôle d’une assistante sociale dans sa circonscription. Il faut également – et c’est encore plus important – instituer le référendum d’initiative populaire, pour que le peuple puisse se prononcer directement sur les grands sujets, tels que ceux qui touchent à l’identité nationale. Le Front national a pris position le premier pour cette réforme et l’a inscrite dans son programme. Cependant, plusieurs parlementaires du R.P.R. et de l’U.D.F. ont déposé de leur côté une proposition de loi constitutionnelle sur ce sujet et M. Chirac s’est déclaré lui-même favorable au référendum d’initiative populaire, entre les deux tours de l’élection présidentielle. Sur ce point, également, la droite pourrait se retrouver : il s’agit de défendre l’identité nationale et, pour cela, de donner la parole au peuple, qui a seul l’autorité pour décider les mesures qui s’imposent ; qui ne souscrirait à un tel objectif ?

  Ce que je reproche à ceux qui divisent la droite, ce n’est pas seulement de faire gagner la gauche par l’indigence de leur pensée stratégique, c’est de mépriser le jugement du peuple. L’union de la droite est nécessaire, et elle sera possible dès lorsque l’on tiendra compte de la volonté des électeurs. Cela suppose que certains appareils politiques acceptent mieux l’esprit de la démocratie.