Hervé Le Bras, prix Lyssenko en 1991 pour ses analyses de l’immigration étrangère et de la natalité française

M. Hervé Le Bras, démographe, a mérité le prix Lyssenko pour deux motifs précis. D’une part, en raison des projections de la population étrangère résidant en France qui ont été établies sous sa direction en 1980, à l’intention du Haut Comité de la population, et qui comportaient une grave erreur. D’autre part, en raison de la controverse sur la natalité qu’il a suscitée artificiellement en 1990, en invoquant la notion de descendance finale, qu’il voulait opposer à l’indice conjoncturel de fécondité.

1980 : « UN GENOCIDE STATISTIQUE »

Une erreur incroyable, mais incontestable, a affecté les résultats des projections officielles de la présence étrangère en France établies en 1980 sous la direction d’Hervé Le Bras, conduisant à la disparition de près de deux millions d’étrangers à l’horizon 2015 (soit une population équivalente à celles de la Picardie ou du Languedoc-Roussillon, ou même à celle de Paris). Ces résultats, publiés dans le rapport du Haut Comité de la population « Démographie, Immigration, Naturalisation » (diffusé par la Documentation Française), et remis en juin 1980 au ministre du travail et de la participation, ont été présentés officiellement au président de la République et discutés au cours d’une table ronde présidée par le directeur de la population et des migrations au ministère du travail et de la participation, lors du « colloque national sur la démographie française » organisé à Paris par l’I.N.E.D. (institut national d’études démographiques) les 23, 24 et 25 juin 1980. Cette monstrueuse « erreur » n’a fait l’objet d’aucun rectificatif, bien qu’elle ait servi de référence à d’importantes réflexions et à de graves recommandations qui ont contribué à définir la politique de la France en matière d’immigration. C’est ainsi, notamment, que le rapport préconisait « un regroupement familial aussi intense que possible ». On trouvera ci-contre l’article de Philippe Bourcier de Carbon et Pierre Chaunu qui a dévoilé ce « génocide statistique ». Après la publication dans Le Figaro-Magazine, le 26 octobre 1985, de projections alarmantes, mais réalistes, sur l’évolution du nombre des étrangers non européens, M. Le Bras s’est livré à des attaques inadmissibles contre les auteurs des travaux dont Le Figaro-Magazine avait rendu compte, notamment Gérard-François Dumont.

1990 : LA CONTROVERSE SUR LA NATALITE

Exploitant un article imprudent publié par Gérard Calot, directeur de l’I.N.E.D., dans Population et sociétés (n° 245, avril 1990), M. Hervé Le Bras s’est répandu dans les media en mai 1990 pour exposer que la natalité française était suffisante et que le renouvellement des générations était assuré. Pour Hervé Le Bras :

– L’I.N.E.D. a menti ;

– Il n’y a pas dénatalité, mais simple retard de calendrier, la descendance finale restera égale à 2,1 enfants par femme. En réalité, comme le montre les documents ci-joints établis par Jean Legrand : – Il y a bien dénatalité (la pyramide des âges est érodée) ;

– Il y aura diminution de la descendance finale pour les générations nées après 1960, sans qu’on sache de combien ;

– En outre, un simple retard de calendrier aurait des résultats comparables à la dénatalité proprement dite.

Comme dans l’affaire Lyssenko, on ne peut pas dire qu’il y ait eu à proprement parler un débat « scientifique ». Aucun démographe compétent n’a pris au sérieux les affirmations péremptoires de M. Le Bras. Celui-ci n’a fait qu’ameuter des media trop crédules ­ ou complaisants ­ pour servir une cause idéologique en exerçant le terrorisme intellectuel à l’égard de ses contradicteurs. M. Hervé Le Bras a eu recours dans cette affaire à des procédés odieux et démagogiques qui illustrent parfaitement les méthodes du lyssenkisme. Il utilise systématiquement l’argument par les intentions pour déconsidérer ses adversaires. Le moindre de ses compliments consiste à les taxer d’idéologie nataliste. Ce type d’objection est hors de propos dans un débat scientifique. La controverse sur la natalité par Jean Legrand La désinformation est fréquente en démographie. Le lobby malthusien, contraceptif et abortif, a toujours cherché à cacher ou à minimiser l’effet des nouvelles techniques antinatales sur la fécondité en Europe, d’où un acharnement à nier l’évidence, comme l’effet de l’avortement sur la baisse de la fécondité en France, comme l’augmentation du chiffre des avortements à partir de 1975, etc. Certains démographes dans le passé n’ont pas hésité à falsifier la réalité, confondant les décès imputables aux pratiques abortives, lorsque l’avortement était interdit, et la totalité des décès d’origine obstétricale, dont la majorité se produisait lors d’accidents liés à l’accouchement. Comme le chiffre des avortements était estimé à partir des décès qui lui étaient imputés (60 par an en 1963), le taux d’1 pour 1000 retenu impliquait 60.000 avortements l’an, mais on a retenu 300 décès obstétricaux pour laisser accroire 300.000 avortements l’an (cinq fois plus) vers 1963, alors qu’aujourd’hui, après la législation, la réalité semble d’environ 200.000. Certains démographes, comme Gérard Calot, directeur de l’I.N.E.D., pensent maintenant que c’est le « choc des nouvelles techniques antinatales » (pilule, avortement, stérilet) qui est à l’origine de l’effondrement de la fécondité en France et chez nos voisins, à cause de la brutalité du phénomène et de son ampleur. La situation actuelle (la dénatalité perdure depuis 1975) est source d’inquiétude (vieillissement, retraites). C’est pourquoi M. Hervé Le Bras a voulu, en 1990, laisser accroire qu’il n’y avait pas de dénatalité, et la presse de grand tirage a, en général, acquiescé. M. Le Bras a remarqué que, après la chute de la descendance finale de 2,64 (génération 1930) à 2,11 enfants par femme (génération 1948), les générations suivantes jusqu’à la génération 1956 (femmes ayant 35 ans ou plus), pour lesquelles on peut encore estimer avec assez de précision le nombre d’enfants qu’elles mettront au monde (à 35 ans la descendance est constitué à 88 %, l’erreur concerne les 12 % restants), il y avait maintien du niveau à 2,10 enfants par femme. Cela ne veut pas dire que les générations 1948-1956 seront remplacées (compte tenu de la mortalité réelle de ces générations, il eût fallu de 2,16 à 2,25 enfants par femme, selon les années de naissance, pour assurer ce remplacement), mais nous n’en sommes pas loin. L’I.N.E.D. a montré que stricto sensu seules les générations nées de 1922 à 1943 ont été remplacées. M. Le Bras, ignorant l’érosion de la base de la pyramide des âges, clame qu’il n’y a pas de dénatalité. Or, cela est faux. L’indice conjoncturel reste autour de 1,8 enfants par femme depuis 1975. Si la tendance de stabilisation de la descendance finale observée depuis la génération 1948 devait perdurer au-delà des générations 1956-1958, l’indice conjoncturel aurait dû remonter pour se rapprocher de 2,1, alors qu’il tend plutôt à décroître : 1,84 en 1986 ; 1,80 en 1990. Si l’indice reste à 1,8, c’est que la fécondité a considérablement diminué jusqu’à 24 ans, ce qui annule l’effet de la remontée au-delà de 30 ans. Il y a même légère baisse de 25 à 29 ans en 1989. Cette évolution préoccupante s’explique par la chute brutale de la nuptialité que l’on constate à partir de la génération 1958. Jusqu’à cette génération, environ la moitié des femmes étaient mariées l’année de leur vingt-deuxième anniversaire. Or, on tombre de 51,6 % (génération 1956) à 19,1 % (génération 1967). La descendance atteinte à 24 ans passe de 0,88 enfants par femme (génération 1950) à 0,76 (génération 1956) et à 0,53 (génération 1964). On tend actuellement vers 0,40 à 24 ans, au vu de l’indice conjoncturel. Sauf à considérer une situation sans précédent historique où la moitié de la descendance serait constituée à 30 ans et au-delà, ce qui paraît improbable, la descendance finale des générations nées au cours des années soixante devrait s’inscrire en diminution sensible. On le saura d’ici à l’an 2000. Si, cependant, aussi improbable (1 chance sur 100) que cela puisse paraître, compte tenu de l’insuffisance de notre politique familiale, les générations nées au cours des années soixante devaient encore mettre au monde 2,1 enfants par femme, l’indice conjoncturel devrait se redresser rapidement (ce qu’il n’a pas fait jusqu’ici), pour atteindre 2,1 après l’an 2000. L’âge moyen à la maternité s’élèverait de 27 ans (générations nées en 1950) à presque 30 ans, ce qui n’est pas indifférent quant à la pyramide des âges. Cela voudrait dire qu’une population P répartie en 27 générations serait remplacée par une population identique, mais étalée sur 30 générations. Il y aurait rétraction de la pyramide des âges, les effectifs des générations qui naissent devenant les 27/30e de celles qui procréent. Ce qui implique une réelle dénatalité. En effet, les mathématiques montrent que, lorsque les générations s’allongent et que l’âge moyen à la maternité augmente, elles rétrécissent (ce qu’on pourrait appeler « théorème de la bretelle », si l’on fait un peu d’humour !). Les calculs concernant les projections en 2.040 selon trois hypothèses montrent que le maintien de la descendance finale à 2,1, mais avec une augmentation d’environ 10 % de l’âge moyen à la maternité, se traduit par une pyramide des âges intermédiaire entre l’hypothèse 2,1, sans changement de l’âge moyen à la maternité, et l’hypothèse 1,8, mêmes conditions. Population en 2040 1) projection 2,1 enfants par femme taux de fécondité par âge identique à la génération 1951 66,9 millions 2) projection 2,1 enfants par femme âge moyen à la maternité tendant vers 29,6 enfants pour les générations nées vers 1970-1974 61,6 millions 3) projection 1,8 enfants par femme I.N.S.E.E. (1985) 55,6 millions (15 décès pour10 naissances) Il n’est pas exclu que la démographie entre dans une ère Lyssenko, où la désinformation deviendrait la règle. Tel semble déjà être malheureusement le cas chez certains de nos voisins.

Annexe 1) Longitudinal Générations Descendance finale estimée (enfants/femme) Niveau nécessaire au remplacement Taux net 1930 2,64 2,35 1,12 1935 2,58 2,29 1,12 1943 2,29 2,27 1,01 1948 2,11 2,20 0,96 1956 2,11 2,16 0,97 * compte tenu des conditions de mortalité réellement vécues par ces générations A partir de la génération 1944, il n’y a plus remplacement (Population, n° 6 – 1990 – J.P. Sardon, « Le Remplacement des générations en Europe depuis le début du siècle »). Naissances réduites Part de la fécondité à 35 ans et plus Année Enfants par femme (35 ans et plus) Indice conjoncturel 35 et + %Total 1981 0,1634 1,945 8,4 1983 0,1541 1,787 8,6 1986 0,1807 1,843 9,8 1989 0,2105 1,809 11,6 On peut estimer la descendance finale pour les femmes ayant 35 ou plus, pour lesquelles la descendance est constituée pour 88 %. L’erreur ne concerne que les 12 % restants. On additionne la descendance réalisée et le reste estimé par l’indice transversal. La descendance finale des générations diminue rapidement à partir de la génération 1935 jusqu’à la génération 1948, passant de 2,58 à 2,11 enfants par femme. Génération Descendance finale (enfants par femme) 1935 2,58 1940 2,41 1945 2,22 1948 2,11 1956 2,11 Puis on observe pour les générations 1948 à 1956 (1956 est la dernière génération pour laquelle on puisse effectuer le calcul) un palier à 2,10-2,11 enfants par femme – correspondant à un taux net de remplacement de 0,96-0,97, compte tenu des conditions réelles de mortalité de ces générations -, tandis que s’élève régulièrement l’âge moyen à la maternité.

Que se passe-t-il après ? Tout laisse à penser qu’on observera une diminution de la descendance finale, car le « retard » pris de 15 à 25 ans semble trop important pour être compensé après 30 ans, puisque, de 25 à 29 ans, il y a même un recul en 1989 ! Ainsi, la génération 1950 avait mis au monde à la fin de l’année où elle avait eu 24 ans 0,88 enfants, la génération 1956, 0,76, la génération 1964, 0,53. Si la baisse de la génération 1956 (0,12 enfant de moins à 24 ans que la génération 1950) a été compensée par une fécondité plus tardive (les deux générations devraient mettre au monde environ 2,10 enfants), l’écart avec la génération 1964 (0,35 enfant de moins à 24 ans que la génération 1950, et 0,23 de moins que la génération 1956) est trop important pour être comblé et l’on devrait, à politique familiale inchangée, observer une baisse de la descendance finale pour les générations nées après 1957-1958. Et c’est pourquoi l’indice conjoncturel reste autour de 1,80, alors qu’il aurait dû sinon se relever. On peut remarquer une concomitance entre la baisse de la descendance à 24 ans et la proportion de femmes mariées à 22 ans. Génération Femmes mariées à 22 ans (%) Descendance à 24 ans (enfant) 1950 56,9 0,88 1956 51,6 0,76 1964 27,5 0,53 1966 21,1 non connu 1967 19,1 non connu

1966-1991 : UN QUART DE SIECLE DE DESINFORMATION EN DEMOGRAPHIE

Par Jean Legrand

Cette désinformation est le fait d’un lobby contraceptif et abortif qui a bénéficié de la complaisance et de la connivence de nombreux media depuis vingt-cinq ans. Tous les moyens ont été employés, des plus frustes aux plus subtils : le mensonge pur et simple, l’omission, la rétention des informations, la falsification des données ou des hypothèses de base afin d’obtenir des projections erronées, mais conformes à l’objectif, la sémantique, etc. En résumé, les objectifs relèvent d’une même dogmatique antinatale. 1) Affoler l’opinion de nos pays d’Europe sur la surpopulation. Pour cela, on ressasse à tout bout de champ la surpopulation du tiers monde. On gonfle les projections à moyen et long terme de la population du globe pour convertir les jeunes à la famille de plus en plus réduite et les culpabiliser contre la famille normale ou assez nombreuse. 2) Dissimuler ou nier le rôle majeur des techniques antinatales modernes sur la baisse de la fécondité depuis vingt-cinq ans. 3) Minimiser les conséquences funestes de la dénatalité (vieillissement, paiement des retraites). 4) Minimiser l’effet de l’immigration. La réussite a été parfaite, étant donné l’ignorance tant du public que des personnalités politiques en matière de démographie. Il y a vingt-cinq ans, la très sérieuse revue Population ouvrait l’ère de la désinformation. Dans ce numéro historique de juillet-août 1966, il s’agissait d’évaluer le chiffre des avortements clandestins qu’on déduisait des décès imputés aux pratiques abortives, à raison d’un décès pour 1.000 avortements. Comme ces décès étaient au nombre d’une soixantaine, ce qui signifiait 60.000 avortements par an environ, on préféra considérer la totalité des décès d’origine obstétricale (300 à 400 par an), décès liés pour leur immense majorité aux accidents de l’accouchement. Les 397 décès de 1963 laissaient accroire 397.000 avortements l’an, dont 250.000 provoqués (les autres spontanés), au lieu des 60.000 probables, soit quatre fois la réalité.

Ce mensonge a pesé lourd dans l’attitude de nombreux parlementaires lors du vote de la loi Veil, en novembre 1974. Et dans Le Figaro du 7 mai dernier, ce sont encore ces mêmes chiffres : 387 décès, 250.000 avortements, que retient Mme Roudy. Tout le monde croit encore à ce mythe. – Le 24 novembre 1976, le plus haut responsable de la nation annonce, lors d’un voyage dans l’est de la France, une reprise « vigoureuse » de la natalité en France. Le Monde du 2 décembre titre : « La reprise de la natalité en France », alors qu’en 1976 le chiffre des naissances tombre à 720.000, niveau jamais atteint depuis la fin de la guerre. Le simple arrêt de la baisse est devenu « reprise ». La fécondité est tombée en trois ans de 2,4 à 1,8 enfants par femme. Comme tous les freins antinataux (avortement, pilule) sont serrés, la natalité pour l’instant ne peut baisser davantage. – La dénatalité perdure depuis 1975. Les prestations familiales ne couvrent plus que 17 % à 20 % du coût réel de l’enfant, contre 60 % après la Libération. Cette situation est source d’inquiétude (vieillissement, retraites). Certains démographes comme Gérard Calot, directeur de l’I.N.E.D., pensent maintenant que c’est « ce choc des nouvelles techniques antinatales » (pilule, avortement, stérilet) qui est à l’origine de l’effondrement de la fécondité, à cause de la brutalité du phénomène et de son ampleur. C’est dans ce contexte que M. Le Bras a voulu relancer les thèses antinatalistes quelque peu mises à mal, en laissant accroire qu’il n’y avait pas dénatalité, et les media ont, en général, acquiescé à son argumentation. Au départ, un numéro de Population et Sociétés d’avril 1990, où M. Calot effectue une comparaison entre la fécondité en Suède et en France ; comparaison équivoque qui laisse entendre que les générations françaises nées jusqu’en 1956 ont été peu à peu remplacées et que l’indice conjoncturel peut être trompeur… dans le cas d’un simple retard de calendrier des naissances. L’époque choisie par M. Le Bras, en mai 1990 (le samedi 5 mai), pour son coup médiatique, au début d’un pont de quatre jours, est propice ; M. Calot est en mission à l’étranger ; un grand démographe, Jean Bourgeois-Pichat, vient de disparaître ; Alfred Sauvy, père du code de la famille, vient de tomber gravement malade (il devait succomber quelques mois plus tard).

Personne, donc, pour contredire M. Le Bras en haut lieu. La polémique lancée par Hervé Le Bras, arguant de ce numéro de Population et Sociétés, a pour objectif de briser le consensus national qui, depuis le vote du code de la famille en juillet 1939, unissait tous les partis politiques sur la nécessité de compenser les charges des familles. L’enfant était un investissement collectif nécessaire à la survie de la France, et non un simple objet de consommation privée. Pour M. Le Bras, l’I.N.E.D. a menti : il n’y a pas dénatalité, mais simple retard de calendrier ; les Françaises ont suffisamment d’enfants, mais les ont plus tard. La classe politique doit en déduire qu’il n’est pas besoin d’augmenter les allocations familiales. A terme, on pourrait même aligner notre politique familiale, à l’heure de l’ouverture de nos frontières (1993), sur celle (inexistante) de nos proches voisins. La plupart des media entérinent les arguments développés par Hervé Le Bras sans en détecter la faille. Or, où se situe la faille ? L’érosion de notre pyramide des âges à la base montre qu’il y a bien dénatalité, dénatalité que confirme l’indice conjoncturel, voisin de 1,8 enfant par femme depuis quinze ans. En apparente contradiction est la descendance finale, l’autre indicateur d »mographique. S’il y a eu baisse rapide de la descendance finale entre la génération féminine née en 1935 (2,58 enfants par femme) et celle née en 1948 (2,11), pour les générations suivantes nées jusqu’en 1956, pour lesquelles on peut encore estimer, sans grand risque d’erreur, quelle sera leur descendance, celle-ci se maintient à 2,10 enfants par femme. Il y a donc un palier correspondant à un taux net de remplacement de 0,96-0,97 (compte tenu des conditions réelles de mortalité de ces générations), tandis que s’élève régulièrement l’âge moyen à la maternité. Que se passe-t-il ensuite pour les générations plus récentes ? Ces générations ont de moins en moins d’enfants tôt. La descendance atteinte à 24 ans passe de 0,88 (génération 1950) à 0,76 (génération 1956) et 0,53 (génération 1964). La tendance est vers 0,40 pour les générations nées ultérieurement, au vu de l’indice conjoncturel (moins de la moitié de la génération 1950). Sauf à considérer une situation sans précédent historique où la moitié de la descendance serait constituée à 30 ans et au-delà, ce qui semble très improbable (29 % pour la génération 1950), la descendance finale des générations nées au cours des années soixante devrait s’inscrire en diminution sensible par rapport aux générations 1950-1956. Combien ces générations plus récentes auront-elles d’enfants ? Nous le saurons vers l’an 2000. Il ne s’agit donc pas d’un simple retard de calendrier. Cette évolution préoccupante s’explique par la chute brutale de la nuptialité qui concerne les générations à partir de la génération 1958. Jusqu’à cette génération, plus de la moitié des femmes étaient mariées l’année de leur vingt-deuxième anniversaire. Or, on tombe 51,6 % (génération 1956) à 19,1 % (génération 1967) de femmes mariées à cet âge, ce qui semble en corrélation avec la baisse de la descendance atteinte deux ans après, à vingt-quatre ans, car la « cohabitation » qui se substitue au mariage est moins féconde que l’union légitime. Notons que d’autres facteurs affectent la fécondité avant 25 ans pour ces générations : l’allongement de la scolarité (32 % des femmes de 20 à 24 ans continuent leurs études, c’est quatre fois plus qu’en 1969) et le chômage, qui touche 25 % des actives ayant moins de 25 ans.

Telle est la raison principale pour laquelle M. Le Bras a tort : les générations nées jusqu’en 1956 ont mis au monde 2,1 enfants, les suivantes qui se marient peu et font de moins en moins d’enfants avant 25 ans ont pris un tel retard que celui-ci semble impossible à combler. C’est pourquoi l’indice conjoncturel reste à 1,8 et tend plutôt à diminuer (1,84 en 1986, 1,80 en 1990), l’accroissement de la fécondité à 30 ans et au-delà (femmes nées avant 1961) ne compense pas la diminution avant 25 ans (femmes nées après 1965). Si M. Le Bras avait raison, et si c’était un simple retard de calendrier, l’indice conjoncturel aurait dû remonter nettement depuis quelques années. Néanmoins, imaginons qu’un tel miracle se produise. Dans ce cas, statistiquement très improbable, l’âge moyen à la maternité passerait de moins de 27 ans (génération 1950) à plus de 30 ans (générations 1970-1974), à descendance finale inchangée. L’indice conjoncturel reviendrait progressivement vers 2,1 – valeur atteinte en 2010 – mais la pyramide des âges resterait rétrécie à cause de trente années (1975-2005) de dénatalité et, après l’an 2000, les générations réduites seraient en âge de fécondité à leur tour… Il y aurait un déficit global des naissances de 2.800.000 jeunes (le déficit cumulé actuel, en 1991, est de 1.600.000). Les démographes avaient trouvé dans le concept de remplacement des générations leur loi de Newton. L’indice conjoncturel est un indice de natalité a priori pour le court terme, la « descendance finale » est connue seulement pour les femmes ayant achevé leur vie féconde, elle est quelque peu obsolète et a posteriori. Ces deux indices renseignent sur les tendances à court et long terme. Le premier est plus « frais » que le second. Loi de Newton, disons-nous ; car, comme la loi de Newton a son domaine de validité, le concept de descendance finale est trompeur, lorsque l’âge moyen à la maternité varie (à descendance finale constante). Si I est l’intervalle moyen entre deux générations, c’est-à-dire encore l’âge moyen à la maternité, on dénombre que le nombre des naissances reste constant dans cet intervalle, même quand I varie à descendance finale constante. Dans le cas envisagé, une population P comprenant vingt-sept générations serait remplacée par une même population P répartie en trente générations. Chacune de ces trente générations serait donc les 27/30e des précédentes. Il y a bien réduction, rétraction de la pyramide des âges et dénatalité par conséquent.

Il n’y a pas identité entre dénatalité et non-remplacement des générations, puisqu’il peut y avoir dénatalité et remplacement des générations ! L’indicateur de descendance finale devient alors inadéquat. Il faut lui substituer le concept de « forces vives » et de « conservation des forces vives », par analogie mécanique. La perte des forces vives est le déficit cumulé des naissances. Ainsi, en 1990, il eût fallu 889.000 naissances au lieu de 764.000 pour que l’indice conjoncturel soit à 2,1 au lieu de 1,8, d’où un déficit ou perte de forces vives de 125.000 naissances. Le déficit cumulé des naissances depuis 1975 est supérieur à 1.600.000. Ce théorème de démographie peut s’énoncer simplement : lorsque l’âge moyen à la maternité augmente (ou lorsque les générations s’allongent), les générations rétrécissent (la réciproque est vraie). Pour le comprendre simplement, prenons l’exemple d’une maison où demeurent les différentes générations en vie d’une même famille. Si, dans la première famille, les femmes ont toujours eu leurs enfants de bonne heure (vers 20 ans), il y a quatre générations qui vivent ensemble : enfants, parents, grands-parents, arrière-grands-parents. Si, dans la deuxième famille, au contraire, les enfants viennent au monde sur le tard, vers 40 ans, il n’y a que deux générations ensemble : enfants et parents. Les grands-parents et arrière-grands-parents ont disparu. Et lorsque l’on passe d’un rythme à un autre, la population diminue. On a supposé égale à 80 ans la durée de vie. Nous avons calculé pour la France la pyramide des âges en 2040 selon trois hypothèses : Hypothèse 1 : 2,1 enfants par femme Fécondité analogue à la génération 1950 (2,1 enfants par femme – âge moyen à la maternité 26,7 ans). Hypothèse 2 : simple retard de calendrier (2,1 enfants par femme) âge moyen à la maternité s’élevant peu à peu : 29,6 ans Hypothèse 3 : hypothèse de l’I.N.S.E.E., 1,8 enfants par femme En 2040, il y 66,9 millions dans la première hypothèse, 61,6 dans la seconde et 55,7 dans la troisième. Durant une quinzaine d’années (si l’on ne considérait que le chiffre global des naissances et non la répartition selon l’âge de la mère), on n’observe aucune différence entre les pyramides 2 et 3 (naissances entre 1975 et 1990). Le concept de « forces vives » peut être approché en considérant dans une pyramide des âges l’ensemble de la population âgée de moins de quarante-cinq ans, comprenant les enfants, adultes en devenir et la population en âge de procréer. En mathématiques, on parlerait de « vecteur d’état », c’est-à-dire de la mémoire minimale du passé permettant de calculer le futur, l’évolution du système. Etant donné les hypothèses choisies pour la fécondité et la mortalité, la population actuelle de plus de quarante-cinq ans n’intervient pas dans le calcul de la pyramide des âges dans cent ans, en 2091. En conclusion, après vingt-cinq ans de désinformation, la démographie est-elle mûre pour tomber dans une ère Lyssenko ? Le pire a pu être évité, grâce au combat de quelques chercheurs isolés, mais la lutte reste indécise.