par le Dr. Jacques Goreux
« La feuille de paye vérité » est l’un des objectifs que l’U.N.A.M. s’est fixés depuis 25 ans. Sur les feuilles de paye actuelles ne figurent que le salaire brut et les déductions retenues à chaque salarié.
Il y a 20 ans, lorsqu’a été créée la sécurité sociale des travailleurs non salariés, ces derniers, appartenant aux professions dites indépendantes, ont été stupéfaits de constater qu’on leur demandait des sommes qu’ils jugeaient très importantes, alors que leur couverture sociale était beaucoup moins large que celle des salariés. Certains ont vivement protesté. On leur a expliqué que les salariés versaient une part des cotisations et que l’autre part était versée par l’employeur. Dans ces conditions, quand on faisait le total, on s’apercevait que les professions indépendantes payaient, directement ou indirectement, beaucoup moins que les salariés. Or, si les membres des professions indépendantes sont dans cet état d’esprit, il est évident que la plupart des salariés ne savent pas ou ne veulent pas admettre que les prestations de sécurité sociale sont alimentées par des cotisations salariales, mais aussi patronales, et venant également des professions indépendantes.
Si le salarié a un salaire de base de 6 000 F, on lui retient pratiquement 1 000 F ; et lorsque l’on comptabilise sur une autre fiche de paye, que nous avons appelée la « feuille de paye vérité », ce que d’une part, on retient et ce que d’autre part, le salarié touche indirectement, parce que son employeur cotise pour lui, on s’aperçoit que ce n’est plus 5 000 F que l’on verse sur son compte en fin de mois, mais 9 000 F, qui représentent le salaire direct et indirect.
Dans ces conditions, nous avons estimé qu’il était tout à fait souhaitable de faire connaître aux assurés la réalité de ces prélèvements, de façon qu’ils aient conscience de ce que cela représente. Nous estimons que c’est nécessaire, parce que beaucoup de gens pensent que la sécurité sociale a des revenus illimités et qu’elle doit rembourser le plus possible. Personne ne peut évidemment regretter que les assurés soient bien remboursés et il est indispensable que, pour des maladies coûteuses et de longue durée, la prise en charge à 100% soit maintenue. Un malade atteint d’une maladie grave, qui doit être hospitalisé pendant de longs mois et subir un traitement coûteux, ne pourra pas faire face à ces dépenses. Ceux qui peuvent payer doivent participer et ceux qui ne le peuvent pas, soit faute de moyens financiers, soit parce qu’ils sont atteints de maladies redoutables et très coûteuses, doivent être pris en charge, car on ne peut pas refuser les soins. Par contre, il n’est pas possible de considérer qu’on doit rembourser sans limite. A l’heure actuelle, on ne peut se permettre de tout rembourser à 100%, puisqu’on sait très bien que si ce remboursement intégral est maintenu, il se traduira inévitablement par une augmentation des cotisations, sous une forme ou sous une autre : ces cotisations représenteront un coût global pour l’économie du pays et on ne peut augmenter indéfiniment les prélèvements sociaux.
Nous estimons que ce bulletin de paye vérité est indispensable et c’est pour cela que nous le réclamons depuis 25 ans. Le docteur Savy s’est battu pendant plus de vingt ans pour obtenir ce résultat et il a décidé, comme il n’arrivait pas à obtenir cette modification dans les fiches de paye, que le mieux était d’aller directement là où les décisions sont prises, c’est-à-dire qu’il a sollicité un mandat parlementaire. Il a fait voter une loi qui rendra obligatoire cette feuille de paye vérité. Cette loi a été votée en juillet 1986 et le gouvernement a décidé de rendre cette obligation effective à partir du 1er janvier 1989.
Bien sûr, des objections ont été avancées : « Mais si on dit aux gens qu’on leur prend tant d’argent pour les soins et leur remboursement, ils vont en demander de plus en plus. » Peut-être, mais, à l’inverse, ils auront conscience que plus on demande, plus la taxation des charges sociales s’élève, plus cela se répercute sur le budget familial, et moins l’on a de pouvoir d’achat. C’est d’autant plus nécessaire que cette feuille de paye vérité permettra d’établir la transparence des avantages indirects dont bénéficient telle ou telle catégorie de salariés, en sachant que certains reçoivent des prestations que les autres n’ont pas, ou des retraites beaucoup plus précoces ou intéressantes que les autres.
Cette feuille de paye vérité constitue un véritable progrès, dans le sens de l’information, de la vérité et de la transparence.