La gauche et le péché originel

par Yves Daoudal

En juillet 1997, le ministre communiste des transports Jean-Claude Gayssot est allé à Crépy-en-Valois, pour participer à la cérémonie commémorative de la terrible catastrophe autoroutière de Beaune qui coûta la vie, il y a 15 ans, à 53 personnes, dont 44 enfants de cette localité de l’Oise.
Dans son allocution, le ministre Gayssot a déclaré qu’il refusait « l’idée même de fatalité », et qu’il réunirait à l’automne un « comité interministériel contre la fatalité ».
Je n’ai pas entendu reparler de ce comité interministériel contre la fatalité. Ce qui est certain est que, si Gayssot le réunit, il pourra trouver un large consensus. Il pourra même associer l’opposition à son comité et il trouvera sans peine non pas seulement un large consensus, mais une véritable unanimité. On ne voit pas, en effet, qui se prononcerait en faveur de la fatalité qui tue les enfants sur une autoroute…
Le problème est que l’on peut réunir tous les comités que l’on veut et voter toutes les lois que l’on voudra contre la fatalité, on n’empêchera pas les accidents de la route, sauf à supprimer les routes.
Lorsque Henry de Lesquen m’a demandé de parler sur le thème : la gauche et le péché originel, j’ai aussitôt pensé à cette anecdote. Car, on a ici la gauche dans ce qu’elle a de plus massif, bétonné, brut de décoffrage, la gauche indiscutable. Jean-Claude Gayssot est le représentant type du communisme pur et dur, le stalinien des staliniens du parti communiste, l’intraitable et intransigeant gardien des dogmes marxistes-léninistes, il y même une loi qui porte son nom et qui en témoigne. Or, ce qu’a exprimé Gayssot, homme de gauche jusqu’à la caricature, à Crépy-en-Valois, c’est une négation du péché originel, jusqu’à la caricature. Nous allons voir en quoi, mais il nous faut d’abord remonter une année. Car Gayssot n’est pas de génération spontanée.

La campagne contre la fatalité, dont Gayssot a manifesté le désir de se faire le héraut, avait commencé l’été précédent. L’été 1996, il y eut coup sur coup plusieurs catastrophes, les plus dramatiques étant la dévastation du camping de Biescas, dans les Pyrénées espagnoles, et un chalutier qui coula au large d’Oléron avec de nombreux touristes à son bord. Au jugement des experts, le camping de Biescas répondait à toutes les normes de sécurité, et l’accident était imprévisible. Idem pour le chalutier d’Oléron. Mais il se développa une campagne dans les media, pour trouver des responsables, pour trouver des coupables. La gauche écolo-médiatique mobilisa ses prétendus experts pour nous certifier que le camping de Biescas était « à risque », et que le patron du chalutier avait certainement commis des imprudences. A force de vouloir trouver, à force de vouloir prouver, on finit par trouver et prouver tout ce que l’on veut. Et l’on apprit que 3.870 campings français étaient « à risque ». 3 870 ! Eh oui, évidemment. Mais pourquoi établir ce décompte ? Tous les campings français sont à risque. Et tous les campings du monde. Et tous les coins de rue sont à risque. Et votre escalier. Et votre descente de lit. Evidemment.
La dernière découverte dans le genre, c’est celle des hôpitaux à risque. Il y en a 478, paraît?il. Mais oui, il y a des hôpitaux où l’on meurt. Et l’on a établi des statistiques, avec des pourcentages. On a malencontreusement oublié de nous parler de ces services appelés par antiphrase d’orthogénie, et qui sont aussi des services par antiphrase, lorsqu’il s’agit d’endroits où le service consiste à massacrer des enfants, où l’orthogénie, c’est-à-dire la naissance correcte, la bonne mise au monde, si l’on en croit l’étymologie, consiste à tuer le fœtus. S’il y a des hôpitaux à risque, c’est bien là que le risque est maximal. Car il est de 100 %. 100 % des avortoirs sont à risque mortel à 100 %. Mais cela, ce n’est pas dans la fameuse enquête.
Bien sûr, quand il y a une catastrophe, quand il y a des dysfonctionnements, surtout quand il y a mort d’homme, il est normal et légitime de chercher d’éventuelles responsabilités, des négligences, des fautes. Mais il ne s’agit plus de cela. C’est un principe qui est désormais édicté. Et ce principe, c’est qu’il n’y a pas de fatalité, c’est qu’il y a forcément des responsables. Un orage ne peut pas ravager un camping. Une tempête ne peut pas faire chavirer un bateau, on ne peut pas mourir à l’hôpital. C’est interdit.
Dans l’industrie, on parle de l’objectif du « zéro défaut », et, entre parenthèses, on voit notre ministre (de gauche) de l’Education nationale transposer ce principe du zéro défaut à l’enseignement, à l’industrie de l’enseignement, donc à la fabrique de citoyens.
Sur le plan de l’environnement et de la santé, le dogme est le « risque zéro ». Et le risque zéro est devenu un des droits de l’homme, comme le zéro défaut est devenu une nécessité industrielle, y compris dans la fabrication des petits citoyens. Et cela commence bien avant l’école. Car on a appris depuis longtemps aux parents que leur enfant devait lui aussi être de la catégorie zéro défaut. Et qu’il y a l’avortement pour corriger la fatalité, comme dirait Gayssot. C’est pourquoi on ne parle pas des avortoirs dans l’enquête sur les hôpitaux. L’avortoir n’est pas un lieu à 100 % à risque mortel, c’est un lieu où l’on corrige les défauts. Un correcteur radical de naissance. C’est le sens nouveau d’orthogénie.
L’avortoir est aussi l’un des lieux où s’exprime de façon radicale le libre choix. La revendication du libre choix est l’un des thèmes majeurs de notre époque. Le choix, pour la femme, de la maternité quand je veux et avec qui je veux, voire sans père. Le choix, pour l’homme et pour la femme, de la relation sexuelle avec qui je veux et quand je veux, homo ou hétérosexuelle. Le choix de soi?disant nouveaux modes de relations familiales à géométrie variable. Le couple conçu comme un contrat à durée déterminée ou indéterminée, quoi qu’il en soit conçu comme un emploi précaire. Et puisqu’il n’y a plus un modèle unique de famille, puisqu’on doit prendre en compte les soi?disant nouveaux types de relations familiales, on ne parle plus de la famille. La famille, vu de gauche, c’est « vichyste ». Comme la paysannerie, c’est « vichyste ». Etc.. Et, comme chacun sait, « vichyste » est actuellement le terme qui disqualifie de façon radicale : être vichyste, c’est être coupable du seul crime imprescriptible.

Cette revendication du libre choix est une révolte contre l’ordre naturel. Et cela se voit de façon évidente en ce que ce choix est en réalité le choix du refus de la transmission de la vie. Si l’on fait des enfants, ils seront sans père ou sans mère, hémiplégiques de l’hérédité, dans le meilleur des cas. Mais les soi-disant nouveaux modèles familiaux impliquent le plus souvent la contraception et l’avortement. C’est le libre choix de celui qui peut tuer sans risque. Le risque zéro du libre choix. Voilà qui associe de façon étroite les deux principales revendications du monde de la révolte contre le don de la vie et les conditions réelles de la condition humaine.
Il y a bien un monde du risque zéro et du zéro défaut, mais ce n’est pas notre monde. C’est le monde originel, celui qui est sorti des mains de Dieu au matin de la Création. Ce que Dieu a créé ne change pas, et ce monde existe bel et bien, il est même le seul qui existe vraiment. Mais, depuis le péché originel, il n’est plus le monde dans lequel les hommes naissent et meurent. Ce que nous appelons le monde, parce que c’est celui que voient nos yeux de chair, ce monde dont le diable est le prince, est un monde brisé par le péché originel. Un monde solidaire de l’homme du péché originel, de la corruption du péché originel. L’homme blessé par le péché originel naît et meurt dans un monde blessé par le péché originel.
« C’est la loi de la montagne », disaient les braves paysans de Biescas. « C’est la loi de la mer », disent les marins pêcheurs. Fatalisme ? Non, reconnaissance de la réalité de ce monde. On daube souvent sur le « fatalisme » des peuples musulmans qui disent Inch’Allah. Mais les chrétiens de langue arabe disent eux aussi Inch’Allah, tout autant que les musulmans.
Inch’Allah, ce n’est pas en soi une expression du fatalisme. Cela veut simplement dire : « Si Dieu le veut. » C’est tout simplement l’équivalent des vieilles expressions françaises « à Dieu vat », « à la grâce de Dieu », « s’il plaît à Dieu »… Des expressions qui existent dans toutes les langues des peuples qui savent qu’il existe ce que Gayssot appelle la fatalité, qui n’est rien d’autre que la fragilité de l’existence terrestre. Quiconque sait que ce monde est marqué par le péché originel se reconnaît comme démuni face aux risques permanents de la vie marquée par le péché originel, qui est une vie provisoire pour tout un chacun. Et tout un chacun ne peut que s’en remettre à la grâce de Dieu. On peut entreprendre tout ce que l’on veut, mais on ne sait ce qu’il en adviendra.
Inch’Allah, si Dieu le veut, à Dieu vat, à la grâce de Dieu, ce n’est pas du fatalisme, c’est la reconnaissance que nous sommes dans les mains de Dieu, et cette reconnaissance est, quoi qu’il arrive, la voie du salut éternel, car elle est le fondement de l’humilité : ce que l’on appelle l’humilité chrétienne, ce n’est rien d’autre qu’un regard lucide sur ce que nous sommes. Alors que la revendication du risque zéro, du soi-disant refus de la fatalité, n’est qu’une impasse, et surtout, un mensonge. Ce n’est qu’un reflet de cet orgueil constitutif du péché originel : l’homme à qui il ne peut rien arriver de fâcheux, l’homme qui défend le droit à ce qu’il ne lui arrive rien de fâcheux, c’est l’homme qui se prend pour Dieu, qui se met à la place de Dieu, qui se croit créateur de sa vie et maître de sa vie en toute autonomie.
Ce serait risible si ce n’était l’objet du drame essentiel, du plus immense et permanent scandale de l’existence humaine. Car cet homme-là, comme tous les hommes, va mourir. Il ne sait ni le jour ni l’heure, mais il va mourir. La seule, l’unique certitude que chacun d’entre nous puisse avoir sur son avenir, c’est qu’il va mourir. Il va mourir parce que le péché est entré dans le monde, et avec lui, la mort. Ce n’est pas un risque à pourcentage, c’est une certitude à 100 %. Cela rend proprement dérisoires les revendications du droit au risque zéro, qui est sur le plan médical le prétendu droit à la santé, dont le risque zéro à l’hôpital n’est qu’une conséquence.

Vous vous rappelez peut-être, il y a un an et demi, en 1996, la polémique qui a suivi le courageux rapport Philibert-Sauvaigo sur l’immigration. L’un des principaux principes que la gauche opposait aux conclusions de ce rapport était le « droit à la santé ». Parce que les membres de la commission parlementaire qui avaient rédigé ce rapport voulaient, disait-on, restreindre l’accès aux soins pour les immigrés en situation irrégulière. Et l’on brandissait le serment d’Hippocrate : le médecin a le devoir de soigner l’indigent. Mais oui, bien sûr, et le rapport ne mettait pas cela en cause, il relevait seulement quelques abus criants.
Bien sûr que le médecin a le devoir de soigner l’indigent ; il a même le devoir de soigner l’ennemi de la patrie, et Hippocrate lui-même, en personne, en a donné l’exemple. Et aussi, parce qu’il doit sauver toutes les vies dans la mesure de ses possibilités, le médecin n’a pas le droit de tuer l’enfant dans le ventre de sa mère. Le serment d’Hippocrate comporte aussi l’interdiction explicite de l’avortement.
Voilà qui signe l’imposture. Car ce sont les partisans de l’avortement, les partisans du soi-disant « droit à l’avortement », qui prétendent se faire les garants du « droit à la santé ». De même que les aboyeurs du risque zéro à l’hôpital font silence sur le risque à 100 % des avortoirs.
Le « droit à la santé » n’existe pas. Ce qui existe, depuis le péché originel, c’est un droit à la maladie et un droit à la mort. Et s’il y a des gens qui échappent aux graves maladies, personne n’est privé de son droit à la mort. C’est là le seul droit universellement garanti, à toutes les époques et sous tous les régimes.
Ce qui existe aussi, et c’est l’honneur de la civilisation, c’est le droit aux soins de santé. Un droit dont les chrétiens, et particulièrement les catholiques, peuvent légitimement se considérer comme les principaux promoteurs. Parce qu’il s’agit de l’application concrète sur le plan du corps de ce que le christianisme apporte quant au salut de l’âme. Le Dieu des chrétiens est un médecin qui est venu sur terre pour guérir les hommes de la maladie du péché originel et leur procurer le salut éternel. L’imitation du médecin divin implique le soin du corps par la médecine humaine et le soin de l’âme par les sacrements de la foi. De fait, aucune autre religion ne peut rivaliser avec la somme de dévouement, d’héroïsme, de science médicale, déployée par les congrégations religieuses hospitalières, par les médecins catholiques, et je me permettrai de citer ici deux noms de médecins français, profondément catholiques au point qu’ils mériteraient d’être portés sur les autels, mon compatriote breton René Laënnec et notre ami, l’ami du pape, Jérôme Lejeune.
L’un et l’autre furent l’objet de campagnes systématiques de dénigrement de la part des défenseurs des soi-disant droits de l’homme, des droits de l’homme sans Dieu. Laënnec, au XIXe siècle, parce qu’il était intolérable pour l’intelligentsia de gauche que ce catho breton mette au jour les erreurs patentes des chirurgiens de l’établissement. Lejeune, à notre époque, parce qu’il était intolérable pour l’intelligentsia de gauche que ce professeur de génétique mette sa renommée mondiale au service du combat pour la vie de l’enfant à naître.
Ce ne sont pas les aboyeurs du droit à la santé et du droit au risque zéro qui œuvrent pour le bien de l’homme blessé, mais ceux qui savent que l’homme est ontologiquement blessé. Car ils travaillent efficacement à la lumière de la vérité, au lieu d’aboyer des slogans idéologiques dans la nuit du mensonge.
Je ne sais pas si vous l’avez déjà remarqué, mais l’on trouve des choses étonnantes dans les dictionnaires. J’ai cherché comment les dictionnaires définissaient le mot « gauche » dans son sens politique. Et, dans le Littré, j’ai trouvé ceci : « La gauche, parti de l’opposition dans les chambres françaises. »
Voilà qui paraît bien naïf et inconséquent, a priori, de la part d’un homme aussi sérieux qu’Emile Littré. Comment peut-il définir que la gauche est l’opposition, une fois pour toutes, comme s’il était exclu par principe que la gauche puisse venir au pouvoir ? Comme si la gauche était forcément et pour toujours l’opposition ?
Sans doute Littré donnait-il aux mots le sens qu’ils avaient de son temps, et, de son temps, celui du Second Empire, la gauche était l’opposition. Une élémentaire prudence aurait toutefois voulu qu’il ne fasse pas l’impasse sur la possibilité que la gauche ne soit plus l’opposition lors d’une éventuelle (et probable) réédition de son dictionnaire. Mais non. Il en est resté là. Sans même essayer de définir en quoi la gauche était l’opposition.
Cela est lourd de conséquences. Nous n’y engagerons pas Emile Littré en personne, car ce positiviste agnostique ne nous suivrait certainement pas. Mais c’est bien lui qui nous dit que la gauche est l’opposition, toujours, et tout le temps. C’est dans une réédition abrégée imprimée en 1994, il y a à peine trois ans, que je lis cela : « La gauche, parti de l’opposition dans les chambres françaises. »
C’est qu’en effet la gauche est le parti de l’opposition. Même quand elle est au pouvoir, surtout quand elle est au pouvoir, elle s’oppose. Car elle s’oppose à la réalité des choses. Elle s’oppose à l’ordre de la création. Elle s’oppose aux lois naturelles qui régissent l’ordre de la création. Elle refuse l’ordre naturel dans les aspects de bonté originelle que notre monde a conservés malgré les blessures dues au péché originel, et elle refuse les sages traditions d’organisation sociale élaborées au cours des siècles, qui procurent à l’homme les meilleures conditions de vie dans la perspective de son salut éternel. Des traditions réalistes, car elles intègrent toute la réalité, la justice originelle, la bonté de la création, les implications familiales et sociales de la nature humaine, le péché originel et ses séquelles sur les hommes et sur la nature.
A la vision réaliste des choses et des problèmes, la gauche substitue une idéologie qu’elle plaque sur la réalité. Une idéologie qui déforme sa vision et aggrave les problèmes au lieu de les résoudre.
Cette opposition de la gauche est un refus de la réalité, de toute la réalité, de toutes les réalités. Son action suit la méthode de Jean-Jacques Rousseau : d’abord, écartons tous les faits. A commencer par les plus gênants. Et le fait le plus gênant, c’est la mort. Pour conjurer la mort, on édicte un droit à la santé. Un droit à la santé pour tous, et, bien sûr, pour les plus pauvres, les plus faibles, les plus démunis. Et, contre la fatalité de la mort, un droit au risque zéro. Ce refus de la mort n’étant qu’une inversion idéologique caricaturale du don du salut, il s’affirme en réalité comme un refus de la vie, pour les plus pauvres, les plus faibles, les plus démunis : et c’est encore un prétendu droit : c’est le « droit à l’avortement ».

Le refus idéologique de la mort est une négation du péché originel qui a introduit la mort dans le monde. C’est l’orgueil fou, délirant, du péché originel lui-même, de l’homme qui se croit Dieu, c’est le refus du don de la vie, un refus de Celui qui seul a le pouvoir de donner la vie et de la reprendre. C’est aussi, par le fait même, le refus de la Rédemption. Et sa caricature, ou plutôt sa profanation. Puisque l’on refuse la verticale du salut, de la terre au ciel, on la brise, et on en fait une horizontale. On projette ainsi le salut dans l’avenir, dans un avenir purement humain. Et c’est la dérision de fausse eschatologie du marxisme-léninisme, qui après avoir fait du passé table rase annonce des lendemains qui chantent au bout de la construction de la société communiste. Au prix d’une dictature féroce, de goulags et de génocides. Et, au lieu de voir se constituer le paradis sur terre – comme si l’on pouvait édifier un paradis par la persécution et l’esclavage -, on a vu l’effondrement de tout le système, dans la ruine et la misère.
Ce qui paraît proprement hallucinant est que nous avons aujourd’hui, en France, près de dix ans après l’effondrement du système soviétique, des ministres communistes au gouvernement. Et particulièrement ce Gayssot qui part en guerre contre la fatalité, et qui est un pur produit du marxisme-léninisme soviétique. Et il n’est même pas besoin d’être un spécialiste du parti communiste pour connaître le personnage : la loi qui porte son nom, que les socialistes firent voter, est une loi authentiquement stalinienne. Elle l’est de façon générale parce qu’il s’agit d’une loi d’exception soi-disant « antiraciste », c’est-à-dire antinationale, et que l’antiracisme est devenu une arme essentielle de l’arsenal dialectique du communisme (la grande victoire récente du communisme étant d’avoir fait adopter la dialectique antiraciste par une multitude d’idiots utiles dans les rangs de ce que l’on appelle la droite, et par l’ensemble des chefs de formations politiques théoriquement anticommunistes).
Et la loi Gayssot est stalinienne de façon très précise en ce qu’elle impose comme vérité historique l’histoire écrite par un tribunal militaire placé sous l’influence de Staline en personne.
Comment les socialistes français ont-ils pu faire de Gayssot un ministre aussi important, avec les conséquences que cela peut avoir, comme on l’a vu avec l’affaire Air France ? A propos de cette affaire, il est amusant de voir comment Michel Rocard est monté au créneau pour proclamer, contre Gayssot, qu’il fallait absolument privatiser Air France, que c’était la condition nécessaire de la survie et du développement de la compagnie. Et lorsque le gouvernement s’est soumis au diktat communiste, Michel Rocard a déclaré, je cite : « Je partage la décision prise par le gouvernement. » Parce que finalement, c’est épatant de laisser Air France sous la coupe de l’État ? Non, c’est parce que les communistes ne voulaient pas de la privatisation, et que l’essentiel est de maintenir la cohésion de la majorité… C’est le même Rocard qui, lorsqu’il était premier ministre, fit voter la loi Gayssot. Car on a beau être un socialiste libéral, de la deuxième gauche, de la gauche américaine, que sais-je ?, on considère qu’en dernière analyse ce sont les communistes qui ont raison.


Les socialistes français d’aujourd’hui sont beaucoup plus héritiers du marxisme-léninisme que du vieux socialisme français. On le voit par ce respect qu’ils ont du parti communiste, comment ils font élire un nombre de députés communistes sans commune mesure avec l’influence électorale du parti, jusqu’à faire dépendre de ces députés communistes la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et comment ils ne craignent pas de mettre la France dans le club peu enviable des derniers pays, la Chine, Cuba, la Corée du nord, à avoir des ministres ouvertement communistes. Mais on voit surtout l’imprégnation marxiste-léniniste dans la politique qu’ils mettent en œuvre. Depuis le refus de voir la réalité et les enseignements du passé jusqu’à l’annonce des lendemains qui chantent grâce aux recettes dictées par l’idéologie. Par exemple dans le domaine de l’emploi.
A défaut, pour le moment, de comité interministériel contre la fatalité, on a eu, il y a une semaine, une autre mascarade : la conférence sur l’emploi, les salaires et le temps de travail. Le dessein premier de Lionel Jospin, selon ses propres propos, était qu’il entendait, par cette conférence, combattre l’idée que le chômage soit une… fatalité. Le mot est décidément à la mode chez les socialo-communistes. La différence est qu’ici on ne peut que donner raison à Jospin : assurément le chômage n’est pas une fatalité. Mais il est tout aussi inutile de vouloir combattre l’idée absurde que le chômage serait une fatalité, que de refuser ce que Gayssot appelle la fatalité des accidents de la route. Personne ne pense que le chômage soit une fatalité. Il suffit de regarder autour de nous pour constater que le chômage n’existe quasiment pas ou plus aux États-Unis (où il est passé en dessous de ce que les spécialistes considéraient il y a quelques années comme le taux incompressible), au Japon, ou plus près de nous en Grande-Bretagne, sans parler de la Suisse ou du Luxembourg.
Il n’y a donc aucune fatalité, il y a au contraire des moyens avérés de combattre le chômage. Et ces moyens sont bien connus. Ils consistent à établir un taux aussi bas que possible d’impôts et de charges sociales, et à permettre la flexibilité du travail et de l’emploi. Après la mise en scène du refus de la fatalité du chômage par sa conférence sur l’emploi, Jospin a annoncé les décisions arrêtées par le gouvernement : elles sont diamétralement opposées à celles qui permettent de lutter contre le chômage. Ce sera une nouvelle loi contraignante, sur la durée légale du travail, sur le travail temporaire et les heures supplémentaires, et pour que les entreprises appliquent cette loi on leur donnera de l’argent, sous forme d’exonérations de charges sociales. Pas assez pour ne pas les mettre en difficulté, mais beaucoup trop pour ne pas devoir augmenter les prélèvements qui devront compenser le manque à gagner. Cette gauche est celle qui, en 1982, avait baissé la durée du travail de 40 à 39 heures, pour créer des emplois. Le résultat, mirifique, fut la création de 1 500 emplois, perdus dans une marée montante de millions de chômeurs. Mais la gauche s’enferre dans sa désastreuse utopie du partage du travail, au lieu de voir la réalité. La réalité des choses. La réalité des lois économiques, de la loi naturelle en matière économique. La réalité de ce qui se passe dans les autres pays. La réalité de leurs erreurs passées.
Il est vrai, hélas, que les hommes politiques des partis opposés à la gauche sont souvent contaminés par cette idéologie, et même ceux qui la combattent en paroles ne la combattent pas en actes lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Comme ils poursuivent plus ou moins, et plus ou moins honteusement, dans la même voie, ils échouent, et les élections suivantes ramènent la gauche avec ses promesses flamboyantes.

Et parmi ceux qui s’y opposent on trouve les tenants de l’erreur symétrique : celle du libéralisme. Le libéralisme idéologique croit donner toute leur vigueur aux lois naturelles du marché. Mais il ignore lui aussi le péché originel, donc les innombrables injustices que les hommes sont capables de générer dans les rapports économiques et sociaux. Le libéralisme du renard libre dans le poulailler libre n’obéit pas à la loi naturelle, car il y a une loi morale supérieure aux lois du marché. Ces lois qui se dégradent en loi du plus fort, du plus cynique, du plus dépourvu de sens moral, doivent être contrôlées par une organisation juridique et sociale qui harmonise les intérêts des uns et des autres.

Un autre exemple frappant, et plus frappant encore, beaucoup plus signifiant, est l’affaire des emplois-jeunes. D’abord, c’est dans les pays de l’Est que l’on créait des emplois bidon, de faux emplois, afin de montrer à l’ignoble monde capitaliste comment la solidarité des travailleurs et l’expansion de l’économie planifiée mettaient un terme au fléau du chômage (et l’on a vu le résultat). Mais surtout viennent s’ajouter à ce constat les explications de Martine Aubry. Ce ne sont pas de faux emplois, dit-elle, ce sont de « nouveaux métiers ». Des métiers qui n’ont jamais existé, qui vont être créés par l’État, et qui vont être exercés de but en blanc par des jeunes qui n’ont pas la moindre idée de ce à quoi ils ressemblent. « Nous inventons les métiers de demain », prophétise Martine Aubry. Mais un vrai métier, c’est d’abord un métier d’hier, un métier que l’on apprend auprès des anciens. On ne crée pas de nouveaux métiers. Les nouveaux métiers naissent des anciens métiers, ils sont le fruit du développement d’un ou plusieurs métiers existants, et c’est le fruit du travail de professionnels héritiers d’une longue expérience. On peut encore moins inventer les métiers de demain. Et l’État moins que quiconque.
Cette attitude est inspirée par la fausse eschatologie horizontale du marxisme-léninisme, la projection du salut dans l’avenir : nous faisons un monde nouveau, avec des métiers nouveaux qui feront le bonheur des jeunes.
En brisant la verticale spirituelle de l’eschatologie chrétienne et en la renversant dans la boue du temps, en la profanant, on renverse tout : à la vérité se substitue le mensonge, à la foi l’idéologie totalitaire, à l’espérance les faux espoirs, à la charité la fausse solidarité.
Briser la dimension spirituelle verticale de l’homme, celle qui le relie à Dieu, c’est abattre l’arbre de vie du paradis de l’origine et croire qu’on va se servir du tronc mort, pourri, comme d’un pont vers le paradis qu’on va se créer plus loin.
C’est une illusion dès le départ, car on ne peut pas briser l’arbre de vie. Cette illusion, c’est le péché originel, et l’orgueil du péché originel. Ce qui est vraiment brisé, c’est la justice originelle dans laquelle l’homme avait été créé, et ce qui est vraiment pourri, c’est le monde que l’on prétend créer en s’éloignant de l’arbre de vie.
L’arbre de vie, qui n’est pas du tout un arbre mythique, mais qui est l’axe du cosmos, a été manifesté il y a deux mille ans dans le bois de la croix du Christ. La Rédemption par le bois de la Croix rétablit la justice originelle. L’idéologie de gauche (comme toute idéologie, mais il s’agit de l’idéologie dominante de ce siècle) manifeste essentiellement le refus de l’ordre de la Rédemption.

Et c’est bien, en fait, ce que Gayssot appelle le refus de la fatalité. Car la fatalité, c’est que nous sommes entre les mains de Dieu. Vivre cette fatalité, c’est s’abandonner à la miséricorde de Dieu, dans l’espérance que cette vie de fatalité soit le prélude et les prémices d’une vie éternelle. Celle de l’amour de Dieu qui nous a créés pour vivre cette vie. Fatalement bienheureuse…