Nous avons cherché à dégager les conditions nécessaires à l’existence d’une nation. Il n’est pas évident qu’elles soient suffisantes. Ainsi que le souligne le Pr. Raoul Girardet, « l’histoire de la formation des nations est pleine de virtualités non réalisées, tributaire des accidents de la politique, étroitement dépendante de l’événement » (25). Ne sous-estimons pas la part du hasard en histoire. La nation française n’était pas préformée dans l’Hexagone. Il nous semble seulement qu’elle devait apparaître, dès lors que l’ethnie française était constituée, vers le milieu du moyen âge, et quoique les frontières de la France aient encore dépendu de bien des contingences historiques.
La nation n’a pas été construite artificiellement par une dynastie et un Etat. Les rois, qui ont eu un rôle éminent dans la genèse de la France, ont incarné la volonté de puissance de l’ethnie française de langue d’oïl. C’est parce qu’ils étaient plus « français » et moins « francs », donc moins germaniques, que les Robertiens-Capétiens ont pu évincer la dynastie carolingienne. La forte centralisation que l’on reproche à la France n’est qu’un effet pervers de cette pulsion d’unité qui a fait entrer des populations assez différentes dans l’orbite de l’hégémonie française, au sens ethnique du terme.
Il n’est pas faux de dire que c’est l’État qui, en France, a fait la nation, à condition de préciser que cet État était l’agent des aspirations d’une ethnie et concrétisait un début de conscience nationale. L’État est indispensable à la nation, puisque c’est à travers lui qu’elle devient souveraine. Mais il faut bien les distinguer. L’idéologie qui confond l’État et la société est d’essence totalitaire. C’est le socialisme qui nous fait dire « nationaliser » pour étatiser – comme si une entreprise était moins nationale quand elle appartient aux citoyens. Dans une variante nationaliste, le socialisme a donné naissance au fascisme. En France, le néosocialiste Marcel Déat, proche du mouvement planiste, devait fonder un parti fasciste concurrent de celui de Doriot (26).
On peut voir maintenant comment tous ces éléments objectifs dont nous avons parlé se combinent pour donner corps à la nation, lorsque cet idéal politique particulier qui la définit lui a donné son âme en saisissant un peuple, groupé autour d’une ethnie prépondérante, de la volonté de s’unir. L’État, son bras séculier, est chargé de la défense ou de l’attaque, de conserver ou de conquérir le territoire où doit s’exercer la souveraineté nationale, puis de maintenir dans ce cadre l’ordre social qui reflète sa manière d’être. Mission éminente de l’État, justifiée par sa fin, qui est l’épanouissement d’une civilisation.
(25) Communication à l’auteur, 13 février 1989
(26) Le Club de l’Horloge, Socialisme et fascisme, op. cit.