par François-Georges Dreyfus
Un de mes étudiants a écrit une thèse sur la correspondance de Maurras avec le monde intellectuel et politique de son temps, jusqu’en 1944. Maurras est monarchiste, il n’est pas démocrate, c’est le moins que l’on puisse dire, et il est même, de temps en temps, antisémite. On dirait aujourd’hui qu’il est d’extrême droite. Et les gens qui lui écrivent ne sont pas négligeables. Raymond Poincaré, président de la République, entretient une correspondance avec Maurras, aussi bien qu’Anatole France ou Gide, que Clemenceau… et tout le monde trouve cela normal. Que dirait-on aujourd’hui, si Claude Simon ou Michel Serres, Michel Rocard ou Alain Madelin, correspondaient régulièrement avec des responsables du Front national, qui est pourtant républicain, et qui n’a rien dit contre la démocratie ? Que ne dit-on pas, quand Alain Peyrefitte ou Jean-Pierre Soisson parlent raisonnablement du Front national ! La diabolisation du Front national n’aurait aucune importance s’il représentait 1 % des électeurs, au lieu de 15 %. Aujourd’hui, elle met la droite française dans une situation dramatique, comme le montre le résultat des élections, de 1993 à 1997. Que ce soit en 1993 (élections législatives), en 1995 (élection présidentielle) ou en 1997 (élections législatives), l’extrême gauche et la gauche obtiennent ensemble 10.700.000 voix environ. La droite parlementaire a 10.800.000 voix en 1993, et elle gagne les élections. En 1995, elle monte à 11.600.000, pour chuter à 8.860.000 en 1997. Quant à la droite non parlementaire, en d’autres termes, le Front national, elle passe de 3.180.000 en 1993 à 6.000.000 en 1995, en ajoutant les 1.400.000 du mouvement de M. Philippe de Villiers, et en 1997, à 3.800.000 suffrages. Un certain nombre d’électeurs de la droite ont voté blanc, d’autres se sont abstenu, d’autres ont voté pour le Front national.
Pourquoi cette défaite de 1997 ? Comme en 1986, la droite parlementaire a fait, en 1995, et même, dans une certaine mesure, en 1997, une campagne sur l’immigration, la famille, la sécurité et la nation. Seulement, en 1997, les électeurs sont échaudés, car en 1993, comme en 1986, on n’a pas tenu les engagements qui avaient été pris. La droite parlementaire, qui n’a pas voulu réfléchir sur ce qu’elle représentait, a été contaminée par le « politiquement correct » : surtout, ne faisons pas de peine aux media, au Nouvel Observateur, à L’Evénement du jeudi, au Monde, à la télévision. Voilà comment l’on devient peu à peu social-démocrate.
Il y a une social-démocratie de gauche et, en face, une social-démocratie « de droite », qui se fonde sur le « libéralisme avancé » cher à M. Valéry Giscard d’Estaing. Une série de mesures vont être prises, dès 1975, qui vont détruire la famille, fondement de notre société : la majorité à dix-huit ans, le divorce par consentement mutuel ; l’I.V.G.. On a consacré l’union libre : le taux de nuptialité, en France, a baissé d’un tiers en vingt ans, et il y a maintenant un tiers d’enfants naturels ou illégitimes. Rappelez-vous aussi que Jacques Chirac a glorifié le « travaillisme à la française » dans son discours d’Egletons, en novembre 1976.
Nous devrions tous avoir à l’esprit cette phrase du général de Gaulle : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. » Or, cette idée de la France, les successeurs du général de Gaulle, depuis Pompidou, l’ont oubliée. Quand on parle de la France, de la nation, de la patrie, en 1997, on se fait traiter de fasciste. Mais lisez la circulaire de Jules Ferry du 27 juillet 1882. Elle dit : 1) le devoir fondamental des instituteurs est d’apprendre l’amour de la patrie ; 2) ils ont à inculquer le respect de la famille dans les cours de morale ; et 3) ils doivent glorifier le travail. Or, ce refus de la nation qui existe à gauche, bien que les communistes appellent à acheter français, nous conduit à une euro-manie qui devient insupportable et à une soumission constante à l’égard des États-Unis.
Si, de 1981 à 1986, après le choc de 1981, la droite a lancé des propositions solides en matière d’immigration, de sécurité, de renaissance économique, de fiscalité ou de réforme de l’État, elle s’est empressée de les oublier de 1986 à 1988, comme après 1993. En récusant le Front national et en le diabolisant, comme on le fait depuis les municipales de Dreux, en 1983, la gauche est dans son rôle. La droite parlementaire, elle, ne fait que le jeu de la gauche. Laurent Fabius l’avait compris, en 1985 : « Le Front national pose de bonnes questions, mais il apporte de mauvaises réponses. » La droite parlementaire aurait pu chercher à apporter de bonnes réponses à de bonnes questions. Mais il est vrai que la droite parlementaire, si elle s’affirme de droite quand elle est dans l’opposition, ce qui lui permet de gagner les élections en 1986 et en 1993, s’empresse de récuser cette vision des choses quand elle est au pouvoir, ce qui fait qu’elle perd les élections qui suivent : en 1981, 1988 et 1997, car ses électeurs trahis sont allés ailleurs.
En fait, la droite a abandonné les valeurs de la France et de la République, c’est-à-dire la liberté, qui n’est pas le libertarisme, l’égalité, qui n’est pas l’égalitarisme, et la fraternité, qui n’est pas le socialisme. Ce sont des valeurs chrétiennes : la liberté des enfants de Dieu ; l’égalité : « Il n’y a ni juif ni Grec, ni maître ni esclave » ; et la fraternité : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Aujourd’hui, on a diabolisé l’extrême droite, parce qu’on la confond systématiquement avec le fascisme. Le fascisme, création des marxistes soviétiques, n’est qu’un mythe et c’est un traquenard dans lequel les « droites libérales » européennes sont tombées. Il n’y a pas grand-chose de commun entre le fascisme italien, qui n’est pas totalitaire, et le nazisme. Les politologues sérieux, allemands ou américains, quand ils analysent le nazisme, montrent toujours ses liens avec le totalitarisme soviétique. Ce sont des régimes qui cherchent, l’un comme l’autre, à annihiler ce qui est contraire à leur essence propre. Pour les nazis, il faut éliminer les sous-hommes, tous ceux qui n’ont pas l’honneur d’appartenir à la race nordique. Et, pour les bolcheviques, Lénine a déclaré, en 1919 : « De même que pour éliminer le typhus, le médecin écrase les poux, de même pour sauver la Révolution, il faut écraser les contre-révolutionnaires. » La formule sera appliquée d’abord aux bourgeois, puis à l’Eglise orthodoxe et, de Staline à Gorbatchev, on l’utilisera contre tous les opposants : koulaks, juifs, Baltes, Caucasiens, etc..
Selon l’universitaire allemand Kohn, qui est juif et qui a quitté le Reich en 1933, le national-socialisme de Hitler et le bolchevisme de Lénine et Staline ont nombre de points communs : tous les deux sont dirigés par des chefs issus des classes inférieures, et par des partis qui sont hostiles aux classes dirigeantes traditionnelles, qui luttent contre la religion, qui prétendent à la vérité absolue, qui se croient la jeunesse du monde ; les uns le font au nom de la liberté à venir, les autres au nom de l’impérialisme ; le résultat est le même et, quand on divise le nombre des victimes du bolchevisme, d’un côté, du nazisme, de l’autre, par le nombre d’années où ils ont régné, on s’aperçoit qu’ils ont fait en moyenne 500.000 victimes par an : d’un côté, de 1917 à 1987, de l’autre, de 1933 à 1945.
Le président de l’association internationale de sciences politiques, Karl Friedrich, énonce les six critères qui font un régime totalitaire : ce sont une idéologie officielle, un parti unique conduit par un dictateur, un contrôle policier, une organisation solide de la propagande, la concentration des forces armées dans les mains du dictateur, le contrôle et la direction de l’économie entre les mains de l’État. Le texte de Karl Friedrich date de 1951, l’étude d’Hannah Arendt sur le totalitarisme, qui dit à peu près la même chose, date des années 1960. En 1936, à la suite d’une conférence qu’Elie Halévy a faite à la société française de philosophie, Marcel Mauss lui écrit : » Votre déduction des tyrannies italienne et allemande à partir du bolchevisme est tout à fait exacte. Peut-être, faute de place, vous me laisserez le soin d’en indiquer deux autres traits : la doctrine fondamentale dans tout ceci est celle des minorités agissantes, telle qu’elle était énoncée dans les milieux syndicalo-anarchistes de Paris et telle surtout qu’elle fut élaborée par Sorel, lorsque j’ai quitté le mouvement socialiste plutôt que de participer à sa campagne. Doctrine de la minorité, doctrine de la violence ont été propagées sous mes yeux, de Sorel à Lénine et à Mussolini. Les trois d’ailleurs l’ont reconnu. Et voici mon deuxième point : (…) j’ai longtemps vécu dans les milieux du parti socialiste révolutionnaire russe, j’ai moins suivi les sociaux-démocrates, mais j’ai connu les bolcheviques du parc Montsouris, j’ai vécu même un peu avec eux en Russie, la minorité agissante était, en réalité, là-bas, le complot perpétuel. Ce complot dura toute la guerre et le parti communiste est resté une secte secrète (…). Le parti communiste reste campé au milieu de la Russie comme le parti hitlérien campe sans artillerie et sans flotte, mais avec tout l’appareil policier. »
Evidemment, le Front national ne correspond ni à la définition du fascisme ni à celle du totalitarisme. On ne devrait utiliser le terme de fascisme que pour les partis qui le méritent, bruns ou rouges.
Si l’on devait diaboliser un parti, il faudrait commencer par le parti communiste français, parce qu’il est, au moins jusqu’en 1991, lié à Moscou, financé par le parti communiste de l’Union soviétique, comme Montaldo et Revel l’avaient démontré courageusement. En 1979, un gouvernement – dit de droite – a les preuves qu’un parti français est financé par un État étranger, considéré comme notre adversaire, et il ne réagit pas, alors que les articles 75 et suivants du Code pénal d’alors permettaient des poursuites sévères. Que le P.S., au pouvoir après 1981, ne l’ait pas fait, cela est compréhensible ; que la droite n’ait pas réagi est aberrant, car, si l’on avait diabolisé le P.C.F., le P.S. eût été obligé d’aller seul au combat électoral et, évidemment, il l’aurait perdu. Plusieurs années après la chute de l’Union soviétique, en 1991, il serait temps d’expliquer les crimes du bolchevisme aux Français, et d’en tirer les conséquences politiques. M. Chirac aurait été mieux inspiré, comme l’a dit M. Messmer, de faire ce genre de déclaration, plutôt que celle qu’il a faite au mois de juillet 1995…
Le drame de la droite française, c’est que, depuis la Libération et plus encore depuis les années soixante, elle a laissé le communisme s’intégrer dans le jeu de la politique dite républicaine, telle que la conçoit le parti socialiste français. Il est intéressant de comparer le programme du P.S., et ce qu’il est en train de faire, avec les positions de Tony Blair en Angleterre, du S.P.D. en Allemagne, de Felipe Gonzalez en Espagne : c’est totalement différent. Le socialisme français est terriblement marxisé.
Pour lutter contre ce Satan qu’est le Front national, la formule à la mode, c’est le « front républicain ». C’est une absurdité. Mais elle est logique pour des hommes comme F. Bayrou, F. Léotard ou P. Séguin, dont l’idéologie réelle est ancrée à gauche. Faire élire un socialiste ou un communiste pour barrer la voie au F.N., c’est accélérer la marche de la France vers la soviétisation (il suffit de penser aux déclarations de l’un des partis de la coalition gouvernementale, le parti communiste, lors de la fête de L’Humanité). C’est accepter le programme de la C.G.T., qui demeure la courroie de transmission du parti communiste ; or, la C.G.T., ne l’oublions pas, a tué la marine marchande française, les ports français, et elle risque aujourd’hui d’accentuer les difficultés d’Air France et de France Télécom. Nous allons avoir les 35 heures, et même Le Nouvel Observateur se pose de sérieuses questions sur cette loi, qui, en principe, aurait pour but de lutter contre le chômage.
Et puis, le gouvernement socialo-communiste est revenu à la lutte des classes, en supprimant les allocations familiales, au delà d’un certain seuil de revenus. Pour le P.S., la famille ne compte pas.
On parle toujours de revenir aux valeurs républicaines : relisons le décret-loi de juillet 1939, signé Lebrun et contresigné par Daladier et Reynaud, qui instituait les allocations familiales dans le code de la famille. Selon ce texte, les allocations familiales sont strictement réservées aux ressortissants français. Elles n’ont pas pour but d’aider une famille à vivre, mais de favoriser la natalité en France, alors qu’il y avait eu en 1938 plus de décès que de naissances. Cette politique, qui sera reprise par le maréchal Pétain, sera renforcée au début de la IVe République et au début de la Ve. Pour défendre la famille, il y a eu de grandes manifestations à Paris et en province, en 1997, mais il n’y avait pas beaucoup de parlementaires de la droite parlementaire ; et ils étaient là à titre individuel.
Le front républicain aurait comme conséquence la social-démocratisation accélérée de notre pays, avec tous les risques que cela comporte de dérive totalitaire : le jour où les gens commenceront à se révolter, on utilisera peut-être d’autres moyens, comme dans les régimes communistes. Je ne pense pas que la droite parlementaire doive faire une alliance en bonne et due forme avec le Front national, mais qu’ils doivent coexister sans se jeter d’anathèmes.
La droite parlementaire, si elle veut survivre, doit comprendre plusieurs choses. Et d’abord, qu’à l’idéologie pluriculturaliste que développe un Wievorka, par exemple, il faut opposer la tradition républicaine de la nation et de l’assimilation, avec tout ce que cela implique. Il faut un contrôle de la population étrangère, pour que celle qui est là légalement puisse peu à peu s’assimiler. Les immigrés illégaux sont des délinquants, il ne faudrait pas l’oublier.
Vous me permettrez de parler d’un cas personnel, celui de mes arrière-arrière-grands-parents. Quand, en 1787, par une décision de Louis XVI, les juifs qui vivent en France obtiennent des droits de citoyens français, les juifs d’Alsace ne parlent pas français, mais le yiddish, qu’ils écrivent en caractères hébraïques. Quand mon arrière-arrière-grand-père, en 1816, décide d’envoyer son petit garçon Léopold Dreyfus au collège royal de Vesoul, il écrit au principal, qui est un prêtre : » Je vous demande une chose, Monsieur l’Abbé, que vous fassiez de mon fils un bon sujet du roi, un vrai Français qui connaisse parfaitement la langue de notre pays. Je vous demande simplement de ne pas toucher à ses valeurs religieuses. » C’est cela l’assimilation. C’est vrai aussi que, parmi les arrière-arrière-petits-enfants de Léopold Dreyfus, il n’y en a plus beaucoup qui soient juifs. Mais il est évident que c’est cela la tradition républicaine et nationale, celle de toute la France, depuis un texte de François Ier que l’on a à peine célébré, l’ordonnance de Villers-Cotterêts sur l’emploi de la langue française dans tous les actes officiels.
Deuxième élément, il faut que la droite française comprenne que face à un économisme statolâtre, au refus du profit et de la croissance prôné par les marxistes, les socialistes, et même par les Eglises, il faut réhabiliter les valeurs de l’économie de la société libérale. Il faut rappeler que les fractures sociales de notre temps ont, certes, des raisons économiques, mais aussi des raisons morales.
Troisième élément, à l’euro-manie il faut substituer une conception pluri-nationale ou pluri-étatiste et réellement démocratique de l’union européenne. Cela n’empêche pas de faire une union européenne qui n’a pas besoin d’être fédérale. Quant à la monnaie unique, vous me permettrez de rappeler qu’elle existait de 1855 à 1914, dans le cadre de l’union latine ; les francs belge, français, suisse, la lire italienne, la peseta espagnole et un peu plus tard la drachme de Grèce, n’étaient alors que des noms différents pour désigner la même unité monétaire, et cela n’impliquait absolument pas une politique économique commune.
La droite française, au sens le plus large, majoritaire dans le pays, ne peut redevenir une force de gouvernement que si elle défend, sans arrière-pensée :
– la nation et la grandeur de la patrie ;
– la famille ;
– l’ordre et la sécurité, qui impliquent renforcement et réforme de l’État ;
– le libéralisme qui, seul, permet la croissance économique et l’harmonie sociale.
Après tout, rappelons-le à ceux qui l’ont oublié : « Les principes de la République sont la patrie, la famille, l’ordre et la propriété. » (Préambule de la Constitution de 1848).