Le paradoxe de la sécurité sociale

par Michel Leroy

C’est de paradoxes au pluriel qu’il faudrait parler, à propos de la sécurité sociale.

– Paradoxe d’un système qui coûte de plus en cher, et qui atteint pourtant la zone des rendements décroissants.

– Paradoxe d’un système qui est la dernière « vache sacrée » du socialisme à la française : dans une économie qui se libéralise, la sécurité sociale est un îlot -ou plutôt un continent – de socialisation, fondé sur le principe du monopole public, de la centralisation, du refus du marché et de la concurrence. On peut dire, comme F.A. Hayek (1), que le système de sécurité sociale est devenu « un substitut pour un socialisme passé de mode » : comme l’organisation planiste de la production est discréditée, le système de sécurité sociale sert à organiser la redistribution des revenus engendrés par une production libérale. La substitution d’un socialisme de la redistribution à un socialisme de la production a été rendue possible par le déguisement du premier sous la forme d’une assurance.

– Paradoxe qui résulte d’une confusion : si la sécurité sociale incarne aujourd’hui si bien la « tyrannie du statu quo », c’est parce que l’on a réussi à entretenir la confusion entre les objectifs du système (c’est-à-dire la protection sociale) et l’organisation même du système (c’est-à-dire le monopole), entre l’organe et la fonction. Or, nous voudrions démontrer que le maintien ou le renforcement de la sécurité sociale (de la fonction) passe par la libéralisation et la privatisation du système. Maintenir le système, c’est abaisser le niveau de protection sociale. Relever le niveau, c’est changer de système.

– Enfin, dernier paradoxe, et non le moindre : 94 % des Français (2) estimaient que la sécurité sociale constituait un dossier important de l’élection présidentielle. Et pourtant il y a eu un accord tacite des principaux candidats pour n’en point parler, et donc consolider le statu quo. La sécurité sociale souffre moins d’un déficit financier que d’un déficit d’imagination et de courage. Et cependant, il faut combler le second pour espérer combler le premier.


  I. Le système de sécurité sociale est entré dans la zone des rendements décroissants.


  Le filet de sécurité sociale a beau gagner en extension, il laisse de plus en plus de monde passer à travers les mailles. A mesure que se développe la nouvelle pauvreté, il apparaît qu’un système centralisé et monopolistique répond mal à l’infinité diversité des situations. C’est ainsi qu’on a évalué entre 1 et 2 millions le nombre des « exclus de la santé », ceux qui ne bénéficient d’aucune protection sociale : chômeurs en fin de droit, jeunes sans travail coupés de leur famille, femmes seules sans enfants… C’est ainsi, également, qu’en matière de prestations familiales sous conditions de ressources, beaucoup de familles sont incapables de faire valoir leurs droits. Le revenu minimum d’insertion voté à l’Assemblée s’apparente beaucoup aux dispositions qui ont échoué aux États-Unis, contribuant plus à développer l’assistance qu’à réinsérer les bénéficiaires dans le circuit du travail. En fait, la hausse du S.M.I.C. favorise l’éviction du marché du travail.

  Dans le domaine de la santé, on assiste à une montée des insatisfactions, malgré les progrès de la médecine et l’extension des prestations. C’est « le paradoxe du système de santé », selon la formule d’un médecin, chef de service à Harvard (3). Des sondages révèlent un plus grand nombre de symptômes somatiques, davantage d’épisodes d’incapacité, et un sentiment de malaise général beaucoup plus fréquent. Cet écart entre l’état de santé objectif et l’état subjectif a de multiples causes. On peut y voir une application de la loi de Tocqueville, selon laquelle c’est au moment précis où un mal est en voie de disparaître qu’il est le moins bien supporté ; mais aussi le fait qu’il faut investir de plus en plus de moyens pour obtenir des résultats de moins en moins tangibles.

  Surtout, les injustices du système apparaissent de plus en plus clairement. Les économistes libéraux n’ont pas attendu La Machine égalitaire d’Alain Minc pour décrire les effets pervers d’un système à prétention redistributive.

  La redistribution a nécessairement un coût, elle est toujours un jeu à somme négative. Le système redistribue moins qu’il ne prélève, puisqu’il comporte un coût direct, celui de l’appareil redistributif lui-même, et des coûts indirects, par les rigidités qu’il impose au système de production.

  Mais, en plus, la redistribution a des effets aberrants. On estime que l’État-providence redistribue les revenus pour 5 % et les maintient à l’identique pour 95 % – ce qui, compte tenu de la marge d’erreur des statistiques, signifie que la machine ne redistribue à peu près rien.

  Il y a même des effets contre-redistributifs : c’est-à-dire qu’on redistribue, non pas du riche vers le pauvre, mais souvent du plus pauvre au moins pauvre. L’essentiel des transferts financiers s’effectue à l’intérieur même des classes moyennes.

  En matière de santé, le système actuel de l’assurance-maladie se perpétue grâce au mythe de l’accès d’égalité aux soins. En fait, on sait que la consommation médicale est proportionnelle au niveau culturel de la population et que les cadres supérieurs font trois fois plus appel à la médecine de ville que les salariés agricoles. La gratuité profite davantage aux revenus élevés.


  Le système national de santé britannique a ainsi entraîné des effets pervers (4) : dans les dix ans qui ont suivi l’instauration de la médecine gratuite, le taux de mortalité des classes aux revenus les plus faibles n’a cessé d’augmenter, pendant que celui des classes plus aisées continuait de régresser. Pourquoi ? Parce que la gratuité a entraîné une formidable inflation de la demande, qui a davantage profité aux classes moyennes ou supérieures. Mais comme les ressources ne sont pas infinies, la demande a été limitée par le rationnement, avec les conséquences que l’on connaît sur la qualité des services. Les classes les plus aisées, elles, ont eu les moyens de recourir aux prestations hors service des médecins privés.

  En matière de retraite, le système actuel a de nombreux effets pervers, qui vont à l’encontre des principes les plus élémentaires de la justice : par exemple, les compensations entre les différents régimes, décidées arbitrairement par l’État depuis la loi du 24 décembre 1974. L’État prélève sur la caisse nationale d’assurance vieillesse (celle des salariés de l’industrie et du commerce) pour subventionner les retraites de la fonction publique et des entreprises nationalisées. Or, ces dernières sont souvent plus élevées, l’âge de départ en retraite est souvent plus bas. Le système actuel tend à disjoindre le rapport, qui serait pourtant équitable, entre les cotisations et les prestations (5).

  Pourquoi cet effet de contre-redistribution ? Parce que l’État-providence obéit moins aux principes de la justice sociale (qui en est l’idéologie légitimante) qu’aux lois du marché politique. « L’État-providence, dit Pierre Lemieux (6), est surtout un instrument de redistribution à l’usage des politiquement forts au détriment des politiquement faibles » – qui sont aussi, bien sûr, les plus pauvres. Ce mécanisme explique l’instauration de la retraite par répartition, en 1945 : en effet, ce mécanisme repose sur un transfert entre générations. Les bénéficiaires sont électeurs, tandis que ceux qui en supportent le coût sont les générations à venir : autrement dit, les « politiquement faibles ». En 1945, avec le baby boom, le calcul était habile, du moins à court terme. On accuse souvent le marché de myopie ; l’État nous offre malheureusement de multiples symptômes de cette affection de la vue.

  Si le rendement va décroissant, le coût, lui, va croissant. Les prélèvements obligatoires continuent de monter, en dépit des efforts pour alléger la fiscalité : 44,4 % en 1986 ; 44,7 % en 1987. La masse des cotisations sociales a augmenté plus vite que les salaires (5,1 % au lieu de 2,5 % pour les salaires). Ce qui s’explique par le prélèvement de 0,4 % sur les revenus, l’augmentation des cotisations de l’assurance-vieillesse et de l’assurance-maladie.


  Les dépenses de santé sont en très vive croissance. Elles représentent 9,5 % du P.N.B. ; en l’an 2000, elles devraient en absorber 13 %, et constituer le premier poste de dépenses des ménages. Cette augmentation des dépenses n’est pas anormale : elle est due en particulier à l’évolution démographique ; elle tient à l’évolution de l’offre et des techniques médicales ; elle est due aussi à des facteurs culturels : la santé est un sentiment de bien-être, où la subjectivité a sa part. Il n’est pas aberrant, dans un pays développé, que les consommateurs arbitrent en faveur des biens de santé ; et les dépenses médicales ont elles-mêmes des effets économiques bénéfiques. La santé n’est pas nécessairement un mauvais investissement, pour un individu comme pour un pays. Ce qui est pernicieux, c’est l’importance des dépenses collectivisées. Il faut que les consommateurs puissent exprimer leur choix, sans que ce choix soit faussé par des mécanismes pervers qui leur font consommer davantage de soins qu’ils ne le souhaiteraient, en payant plus cher qu’ils ne sont objectivement prêts à le faire.

  Or, le système actuel ne permet aucun arbitrage effectif des consommateurs ; il ne dispose d’aucun frein à la dépense et d’aucune incitation à l’économie. Il se caractérise par son opacité : l’assuré ignore ce qu’il paie réellement pour couvrir ses risques de maladie. Il se caractérise par l’irresponsabilité : l’augmentation de la protection accroît la consommation médicale, dans la mesure où son prix, en apparence, diminue pour chacun. Ces coûts supplémentaires sont supportés par la collectivité, qui paye ainsi des dépenses de santé supérieures à ce que chaque individu souhaiterait rationnellement.

  Ce système économiquement aberrant ne peut fonctionner que grâce à la contrainte étatique. Un organisme privé offre des services spécifiques basés sur un contrat ; il prend en charge un besoin qui se déclare indépendamment de la volonté du bénéficiaire, et qui peut être prouvé en fonction de critères objectifs. Au contraire, un service étatique disposant d’un monopole peut satisfaire un besoin indépendamment de toute obligation contractuelle. Et si le besoin dépasse les provisions constituées par les cotisations, il suffit d’augmenter autoritairement le volume global des prélèvements, ce qu’un organisme de droit privé ne peut évidemment pas faire. Cela explique tout à la fois la pérennité du système de monopole et la croissance de son coût.

  Des mécanismes semblables sont à l’œuvre pour la retraite, puisque nous avons affaire à un système généralisé et uniforme d’épargne forcée. Le cotisant n’a aucune maîtrise du montant de sa retraite. Autant la capitalisation implique un choix conscient des cotisants, autant la répartition appelle le monopole, ou des concessions exclusives accordées par l’État, qui change, quand il le veut, les règles du jeu. Les mécanismes du marché politique ont favorisé l’alourdissement de la barque des retraites, avec l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans – si bien que les régimes de retraite sont aujourd’hui pris en tenaille entre l’évolution démographique et le ralentissement de la croissance, qui diminuent le nombre des actifs. A évolution constante, selon les experts du Plan, il faudra à l’horizon 2000 ou bien augmenter les cotisations de 50 à 80 %, ou bien diminuer de moitié les pensions, ou bien reculer l’âge de la retraite à 67 ou 70 ans, comme le font d’ailleurs d’autres pays.


  L’envolée des coûts de la sécurité sociale a suscité le développement de contrôles bureaucratiques, qui ont encore accru les défauts inhérents à un système monopolistique. C’est ainsi que le blocage des honoraires médicaux incite à la multiplication des actes ; le remplacement du prix de journée à l’hôpital par le budget global depuis 1984, encourage à la reconduction systématique des dépenses, sans inciter aux économies ; le blocage des prix des médicaments asphyxie l’industrie pharmaceutique et contribue à remplacer des spécialités françaises par des spécialités étrangères, plus coûteuses. Le rationnement qui se met peu à peu en place induit des effets pervers, avec notamment l’émergence d’une médecine à plusieurs vitesses, comme en Grande-Bretagne.

  Aujourd’hui, notre système de sécurité sociale est enfermé dans une boucle implosive, où les facteurs économiques, sociaux, démographiques se combinent en une synergie destructrice. L’alourdissement de l’État-providence réduit la compétitivité des entreprises, ce qui aggrave le chômage, diminue le nombre des actifs, restreint les recettes de l’État-providence et provoque l’emballement des dépenses ; d’autant plus que le système, favorisant la prévoyance collective, n’incite pas à la prévoyance individuelle, que ce soit sous la forme de l’épargne ou de la fécondité – ce qui contribue à ruiner ses bases humaines et financières.

  Face à un tel défi, nous n’avons eu que des solutions de colmatage : diminuer le niveau des prestations, augmenter le taux des cotisations, ou bien des remèdes placebos, comme l’élection des représentants des syndicats aux conseils d’administration des caisses, qui ne disposent pratiquement d’aucune marge de manœuvre ; ou bien nous avons eu l’organisation des États généraux – mais contrairement au précédent historique, ces États généraux n’ont engendré aucune révolution. Le rapport des sages s’arrête là où il commençait à poser les bonnes questions. Après avoir évoqué les recettes traditionnelles du colmatage, les sages s’interrogent : « On ne peut exclure qu’un tel dispositif se révèle insuffisant pour permettre la maîtrise de la croissance des charges de l’assurance-maladie et des prélèvements obligatoires qui en résultent. Le pays devrait alors, en temps opportun, opter entre deux grandes voies de réformes : accentuer la centralisation du système de régulation des dépenses de l’assurance-maladie, ou élargir la place accordée en ce domaine à la concurrence. »

  Seule cette deuxième voie, que nous nous proposons d’explorer, semble permettre de maintenir le niveau de protection sociale et de répondre à la double exigence de justice et d’efficacité.

  II. Il s’agit donc de changer le système pour maintenir le niveau de protection sociale, d’en modifier le fonctionnement pour en préserver la fonction.

  En matière de santé, il faut sans doute maintenir l’obligation d’assurance, mais permettre la concurrence entre les organismes de protection et de soins, donner le libre choix au consommateur. Pour cela, un principe : la liberté ; une méthode : la transparence.


  Le système américain du H.M.O. ou réseau de soins coordonnés nous livre, de ce point de vue, une expérience intéressante. Le H.M.O. offre une prise en charge complète des soins, en contrepartie d’une prime forfaitaire annuelle. Les recettes sont indépendantes de la quantité des soins. Il doit minimiser ses coûts pour réaliser des bénéfices. Dans la mesure où l’adhésion est volontaire, il doit fournir des soins de qualité pour garder ses adhérents. On estime que les H.M.O. coûtent 10 à 40 % moins cher que les systèmes classiques, parce qu’ils sont encouragés à guérir le malade de la manière à la fois la plus efficace et la moins coûteuse. Ce système a pu être critiqué ; il est évident que tous les H.M.O. ne sont pas de la même qualité : mais, du moins, celui qui pense ne pas être bien soigné a-t-il la faculté de changer d’organisme (7).

  Il faudrait éviter de plaquer la démarche des H.M.O. sur la réalité française, et de l’appliquer d’une manière à la fois systématique et centralisée. C’est une des méthodes qui peuvent être utilisées pour ouvrir le champ de la concurrence. Elle n’est pas exclusive d’autres expériences, d’autres approches ; c’est d’ailleurs la justification même de la concurrence. Nous n’avons pas à dire quel est le meilleur système, mais à favoriser la concurrence entre les divers systèmes, et à donner à chaque assuré la liberté de quitter l’organisme public pour choisir un organisme privé, français ou européen.

  La privatisation de l’assurance-maladie suppose que les cotisations maladie (patronales et salariales) soient versées par les entreprises aux salariés : ces derniers, dans un premier temps au moins, seraient obligés de s’assurer, mais il leur appartiendrait de choisir les conditions de prix et le niveau de garantie. Le choix doit porter davantage sur les organismes que sur le niveau de prestation.

  La transparence des coûts peut permettre, dans une certaine mesure, l’arbitrage entre la consommation de biens de santé et la consommation d’autres biens ; elle peut inciter à la prévention individuelle, pour certains risques. C’est ainsi que le recul de la consommation de tabac, aux États-Unis, s’explique par la pression collective qui s’exerce, dans les entreprises, sur les fumeurs. En effet, beaucoup d’entreprises sont liées par contrat à des organismes de soins intégrés ou d’assurance : la morbidité engendrée par le tabac augmente les risques, et par conséquent élève les cotisations versées au niveau de l’entreprise – ce qui constitue une incitation à réduire l’usage du tabac.

  La même logique suppose la privatisation des hôpitaux publics, dont la gestion a obéi trop souvent naguère aux exigences du marché politique (« les hôpitaux électoraux »), et, aujourd’hui, aux contraintes tout aussi arbitraires du rationnement, facteur d’appauvrissement du système hospitalier. C’est le moyen d’établir une certaine régulation, qui fait cruellement défaut : pourquoi, par exemple, la durée d’hospitalisation pour une opération de la cataracte est-elle de 11 jours en France, de 8 jours en Grande-Bretagne et de 4 jours aux États-Unis ? Il est probable que ces distorsions et ces dysfonctionnements seraient considérablement réduits, si l’hôpital était géré comme une entreprise.

  En matière de retraite, il est clair que le système de répartition ne peut plus offrir une réelle garantie. La France est le seul pays qui ait misé uniquement sur la répartition (entre cotisants et retraités). Le prétexte en est le mauvais souvenir laissé par l’érosion du patrimoine des caisses de retraite, entre les deux guerres. Mais on oublie de dire que les caisses étaient contraintes de placer leurs fonds en obligations d’État. Le système de la répartition a des effets néfastes sur la formation de l’épargne, sur l’accumulation du capital, sur le fonctionnement du marché du travail, sur l’emploi, sur la fécondité (8). Il est un facteur d’inflation. Le système de répartition n’offre pas assez de garantie, car les revenus des retraités dépendent des fluctuations de la démographie et de la croissance de l’économie française.

  La capitalisation, au contraire, permettrait de diversifier les patrimoines, en investissant dans d’autres pays : le marché intérieur européen va d’ailleurs favoriser ce mouvement, en créant une véritable concurrence entre les divers produits d’épargne européens. Là encore, il n’est pas indispensable de passer d’un système homogène de répartition à un système homogène de capitalisation, les deux systèmes étant d’ailleurs deux aspects complémentaires d’une même procédure d’assurance : on peut imaginer une pluralité de formules mixtes, selon la voie tracée par le plan d’épargne retraite. Et il faut donner aux assurés la liberté, soit de rester dans le système actuel, soit d’en partir.

  Le domaine des accidents du travail est sans doute celui qui pourrait être le plus rapidement privatisé : les cotisations sont payées par les employeurs, c’est une branche bénéficiaire, qui n’est passée au régime de la sécurité sociale que depuis la guerre. Il est possible de faire une comparaison en grandeur réelle des avantages de la privatisation : les Belges bénéficient d’un système qui assure un même niveau de garantie, en mettant en concurrence les caisses, les mutuelles, les compagnies d’assurances. Or, ils paient des cotisations sensiblement moins élevées que les Français.

  En revanche, le financement des allocations familiales relève de la logique de l’entraide ou de la solidarité, et non pas de la logique de l’assurance : l’enfant n’est pas un risque. Elles doivent être assises sur l’impôt, et non pas sur des cotisations versées par les entreprises. L’aide aux familles est justifiée par la nécessaire solidarité entre les générations ; elle obéit à des objectifs démographiques, à des visées natalistes ; il est donc légitime d’en réserver le bénéfice aux Français, car ce n’est pas le rôle de l’État d’inciter à la natalité étrangère.


  Enfin, parmi les fonctions qu’assume la sécurité sociale, il y a l’assistance aux plus démunis ; une assistance qui, pour l’instant, s’exerce mal. Dans la mesure où il s’agit d’un besoin qui n’est pas spontanément satisfait par le marché, l’action des pouvoirs publics (État ou collectivités territoriales) est ici légitime – qu’elle recoure à la méthode du revenu minimum, qui risque d’enfermer les bénéficiaires dans leur situation, ou qu’elle recoure plutôt à diverses formules d’aide personnalisée, comme les chèques sociaux, qui sont des bons d’achat permettant d’accéder aux services de santé, d’enseignement, de vacances, etc.. Encore faut-il que l’État n’exerce pas un monopole en ce domaine : il y a place pour un mécénat humanitaire, qui reste embryonnaire en France, faute d’un régime juridique et fiscal approprié pour les fondations.

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  Voilà les pistes que nous voulons explorer. Les obstacles à la privatisation de la sécurité sociale ne sont pas d’ordre technique : la technique est l’alibi traditionnel du statu quo. Ils sont de nature politique : d’abord, parce qu’il faut avoir le courage de faire bouger les choses ; ensuite, parce qu’il faut savoir comment les changer. La volonté ne suffit pas ; il faut aussi une méthodologie, capable d’entraîner l’opinion et d’engager le changement, sans déclencher de bouleversements. Il ne s’agit pas de démanteler la sécurité sociale, mais de satisfaire à l’exigence légitime de protection, d’assurance et d’assistance, en créant des mécanismes plus efficaces, moins coûteux et plus justes. Voilà le message que nous devons faire passer, si nous voulons convaincre l’opinion et créer les conditions favorables à une indispensable réforme. Il faut mettre la sécurité sociale à l’heure du XXIe siècle, à l’heure de l’Europe, à l’heure de la liberté, à l’heure de la justice et de l’efficacité économique.

(1) F.A. Hayek, The Constitution of Liberty, 1960

(2) Sondage I.P.S.O.S., Le Journal du Dimanche, 6 mars 1988

(3) New England Journal of Medicine, 18 février 1988

(4) Henri Lepage, Demain le Capitalisme, Pluriel, Hachette, 1978

(5) Bertrand Jacquillat, Désétatiser, R. Laffont, 1985

(6) Pierre Lemieux, La Souveraineté de l’individu, P.U.F., 1987

(7) Alan Enthoven, « L’Assurance-maladie : crise et remèdes », Commentaire, n° 27, automne 1984

(8) André Babeau, La Fin des retraites, Pluriel, Hachette, 1985