Les nouveaux enjeux du débat politique

par Didier Maupas

Il convient au préalable de s’arrêter sur la notion de débat politique.
Pour qu’un débat soit politique, il doit traduire un conflit de valeurs qui renvoie lui-même à des choix éthiques et à une certaine conception de l’homme et de la société. Le débat politique se déroule donc dans une logique d’affrontement, puisque l’acte politique essentiel est la désignation de l’ennemi, ce qui revient à désigner clairement ce que l’on refuse et ce que l’on choisit. Réfléchir aux nouveaux enjeux du débat politique revient donc à tenter de discerner les « grandes querelles » (comme disait le général de Gaulle) de demain, et qui définissent autant de lignes de partage politiques.
Rappelons, au préalable, quelles ont été les « grandes querelles » d’hier :
– la querelle du communisme et du capitalisme, ou la recherche d’une alternative à la libre entreprise (d’où aussi le thème de l’autogestion) ;
– la querelle de l’égalitarisme, ou comment répartir les fruits de la croissance pour une meilleure « justice sociale » ;
– la querelle de l’atlantisme et de l’indépendance nationale (ou du refus de l’alignement et des blocs) ;
– la querelle des institutions de la Ve République, ou la contestation des pouvoirs présidentiels.
Il y a eu bien sûr d’autres débats idéologiques, mais ceux-ci ont durablement structuré le paysage politique de ces vingt dernières années.
Or, ces querelles ont perdu leur pertinence :
– on n’a trouvé aucune alternative crédible au régime de la libre entreprise ;
– le mouvement des sciences, de même que l’expérience, ont sapé les bases intellectuelles de l’égalitarisme ;
– la croissance a disparu et la question est moins désormais de la répartir que de la retrouver ;
– la menace soviétique a disparu, de même que la raison d’être de l’atlantisme ;
– la gauche, ayant comme la droite exercé le pouvoir, se satisfait tout à fait des avantages que procure la Constitution de la Ve République ;
– enfin, et nous développerons ce point, le monde et la France ont changé.
On ne peut pas dissocier, en effet, la réflexion sur les enjeux politiques d’une mise en perspective des transformations que notre pays connaît ou auxquelles il se trouve confronté. De nouveaux enjeux politiques apparaissent, tout simplement parce qu’ils expriment un nouvel ordre des choses, et cela parce que :
– le monde a changé ;
– la société française change.
C’est justement la démarche que nous suivrons, en abordant successivement :
– le nouveau cadre dans lequel s’inscrit désormais l’action politique ;
– les nouvelles lignes de fracture, donc de débat politique, qui en découlent.

A) – AU PLAN MONDIAL, ON SOULIGNERA TROIS CHANGEMENTS PRINCIPAUX :

– La disparition de l’empire soviétique
Elle marque d’abord, bien sûr, la fin d’une époque, la mort de l’utopie communiste en Europe et de la menace qu’elle représentait. Mais elle induit aussi :
– la fin de l’équilibre de la terreur et, par conséquent, le retour à l’instabilité (par exemple, dans les Balkans) ;
– la fin de la coupure de l’Europe, ce qui pose en termes nouveaux la question de l’unité de notre continent et donc de ses limites ;
– la disparition du contrepoids soviétique face à la puissance américaine : la mort de l’empire soviétique laisse les États-Unis sans concurrent sérieux, ce qui ne peut pas ne pas conduire les Européens à s’interroger sur leur devenir, face à l’hégémonie américaine ;
– une conséquence psychologique enfin, liée à la disparition de l’U.R.S.S. comme incarnation du mal : cela déstabilise tous ceux qui avaient fait du communisme leur ennemi principal et qui ne se posaient qu’en déclarant s’y opposer. En perdant leur ennemi, ils ont perdu leur grille d’analyse.

– Le développement des échanges, du commerce, des communications, des migrations : ce que l’on nomme la mondialisation
Ce phénomène n’est pas nouveau, en particulier dans sa dimension économique, mais il revêt une ampleur particulière. Il induit, en outre, des conséquences psychologiques et politiques :
– il pose en termes renouvelés la question de la souveraineté des nations, alors que leur interdépendance s’accroît ;
– il nourrit le cosmopolitisme, en donnant l’illusion du dépassement nécessaire des nations et de l’unité du genre humain.

– L’accroissement des inégalités économiques
La mort de l’Union soviétique a marqué aussi la mort du mythe de la convergence des systèmes économiques (très en vogue dans les années soixante-dix).
Le mythe du « développement » du tiers-monde est également ébranlé, en raison des crises continuelles que connaît notamment le continent africain.
Enfin, la mise en œuvre des politiques de « flexibilité », de réduction du poids de l’État-providence, et la montée du chômage conduisent à augmenter les inégalités sociales, notamment en matière de revenus.
Il faudra s’interroger sur les conséquences politiques possibles de cette mutation, en particulier parce qu’elle vient tout à la fois contredire le discours égalitaire (qui pouvait paraître reposer sur une évolution naturelle des sociétés) – et donc l’affaiblir – mais aussi remettre en cause la dynamique de constitution d’un « grand groupe central » social et politique au sein des sociétés développées, ce qui peut être source de plus grande instabilité politique.

B) – LA SOCIETE FRANÇAISE CONNAIT AUSSI DES EVOLUTIONS EN PROFONDEUR.

On se bornera à en souligner cinq principales.

– Le retour de la misère et du chômage
La situation actuelle constitue à bien des égards une inversion de la période des « trente glorieuses » (avec un taux de croissance bas, des taux d’intérêts réels positifs, un taux de chômage élevé, l’appauvrissement relatif des jeunes générations, un taux de prélèvements obligatoires élevé).
On assiste ainsi au retour de la question sociale, qui prend plusieurs formes :
– le retour de la pauvreté (un ménage sur six vit en dessous du seuil de pauvreté au sein de l’Union européenne ) ;
– l’extension de l’inactivité :
. un ménage sur quatre a fait l’expérience du chômage ;
. 55% seulement de la population en âge de travailler occupe un emploi continu ;
. le taux de chômage en 1996 était de 11,3% pour les Français, de 32,3% pour les étrangers non européens (49% pour les jeunes non européens de 15 à 24 ans) . Pour mémoire, le nombre de chômeurs aidés en 1936 s’élevait à 435.300…
– un fossé séparant ceux :
. qui ont un emploi dans un secteur protégé (hors marché) ;
. qui ont un emploi dans un secteur concurrentiel ;
. qui n’ont pas d’emploi et vivent de la charité publique.

Au plan politique, la poursuite de cette évolution :
– conduit à l’éclatement du « grand groupe central » constitué à partir des années soixante ;
– peut susciter le retour de conflits de « classes », source d’instabilité politique ;
– et une demande politique prioritaire de résorption du chômage (sujet n° 1 de préoccupation dans les sondages).

– Le vieillissement de la population
Conjugué à la progression de l’inactivité, le vieillissement de la population française a plusieurs conséquences, en particulier la crise des régimes sociaux fondés sur une logique de répartition. Il induit également plusieurs lignes de rupture :
– entre les bénéficiaires de prestations sociales et les autres (compte tenu de la politique de rationnement des prestations et de plafonnement pratiquée afin d’équilibrer les comptes sociaux) ;
– entre les Français et les étrangers non européens (exemple : cas du plafonnement des prestations familiales, qui aboutit à subventionner la natalité des étrangers non européens) ;
– entre les générations :
. le niveau de vie des moins de vingt-cinq ans recule depuis dix ans (- 15% en cinq ans) ;
. la pauvreté a fortement reculé chez les retraités, sous l’effet de la progression des revenus du patrimoine.

Au plan politique, les effets du vieillissement de la population sont difficiles à interpréter, mais on peut penser qu’ils devraient aller dans le sens d’un plus grand conservatisme (par exemple, pour maintenir en l’état les systèmes sociaux). On ne peut pas non plus exclure l’hypothèse d’un conflit de générations (qui se doublerait d’un conflit social) ; à noter toutefois que, compte tenu de la tendance des jeunes à entrer plus tardivement dans la vie active et des revenus relatifs des retraités, les grands-parents sont de plus en plus disposés à aider leurs petits-enfants et leurs enfants.

– L’immigration
Le sujet est bien connu et nous n’évoquerons que quelques aspects de cette
problématique :
– avec la mise en place en 1976 de la politique du regroupement familial, l’immigration a changé de nature pour devenir une immigration de peuplement ;
– l’immigration illégale (illustrée par l’affaire des « sans-papiers ») correspond à une part importante des flux migratoires (d’après Pierre Milloz, 1,5 millions, pour 5,1 millions d’étrangers en séjour régulier) : c’est une immigration hors la loi, donc hors de la volonté générale des Français ;
– le taux d’inactivité des étrangers non européens est élevé (trois fois plus que celui des Français) : c’est une source de tensions très forte ;
– l’État a rompu avec la tradition française de l’assimilation des étrangers : cela ne peut pas ne pas avoir des conséquences sur l’unité du corps social (assimilation est un mot savant pour dire francisation) ;
– il y aura lieu de s’interroger sur les effets politiques à moyen terme de l’arrivée sur le marché politique des jeunes Français issus de l’immigration (exemple, le P.S. compte, semble-t-il, sur l’effet de l’inscription automatique des jeunes sur les listes électorales). Compte tenu des taux de chômage et des politiques sociales, les jeunes issus de l’immigration constituent en outre les clients naturels de l’État-providence et sont donc des soutiens des partis sociaux-démocrates.

– La crise morale
Cette crise, qui n’est pas sans rappeler celle de l’entre-deux-guerres, se manifeste de plusieurs façons :
– par la crise de l’institution familiale (baisse de la nuptialité, progression des naissances hors mariage, montée des familles monoparentales, du divorce, revendication d’égalité de statut pour les couples homosexuels) ;
– par le déclin des religions traditionnelles et l’apparition des « nouvelles religions » (sectes) ;
– par le développement de la violence et de la délinquance des jeunes, y compris dans les milieux non défavorisés ;
– par l’ampleur des phénomènes de corruption.

Au plan politique, cette crise des références se traduit par une plus grande instabilité et par l’apparition de mouvements populaires imprévisibles et, semble-t-il, spontanés (exemple, en Europe, la « marche blanche » des Belges, les manifestations des Espagnols contre l’assassinat d’un conseiller municipal par l’E.T.A., ou la ferveur entourant la mort de la Princesse de Galles). Il n’est pas à exclure que ces mouvements d’opinion brusques et imprévisibles (auxquels on peut ajouter les conflits sociaux se développant en dehors des centrales syndicales) trouvent un jour une expression politique organisée, voire révolutionnaire.

– La crise du système politique
On peut affirmer, de ce point de vue, que les institutions, telles qu’elles ont été conçues en 1958, ne fonctionnent plus :
– la coupure est durable et croissante entre le peuple et la représentation nationale (progression de l’abstention et du vote blanc, déclin rapide des cotes de confiance, qui dépassent en outre rarement 50%, volonté affichée de la classe politique de ne pas céder au « populisme » ou « d’interpréter » la volonté populaire , c’est-à-dire de ne pas répondre aux attentes du corps électoral) ;
– la cohabitation bouleverse le système institutionnel (le président n’est plus en phase avec la nation) ;
– le système majoritaire est déstabilisé, avec la progression de l’abstention et d’une troisième force politique, constituée par le F.N. et non représentée au Parlement ;
– de nouveaux pouvoirs sont apparus, qui modifient l’équilibre constitutionnel :
. le pouvoir médiatique, qui est devenu l’arbitre de la moralité politique ;
. le pouvoir des comités et « autorités morales », qui sont les seuls, en définitive, à trancher les questions de société (exemple, en matière d’immigration) ;
. le pouvoir des juges, qui cherchent à devenir toujours plus autonomes et qui finissent par jouer un rôle directement politique (cf. la répression du « racisme ») ou idéologique.
Désormais, la question constitutionnelle redevient d’actualité.

A l’issue de ce rapide survol des principales mutations qui conduisent à dessiner un nouvel ordre des choses, on peut dégager trois conclusions :

– le premier clivage politique sépare ceux qui perçoivent ces évolutions et leurs conséquences de ceux qui ne les voient pas ou ne veulent pas les voir ou qui ne prennent en considération que certaines d’entre elles (exemple, ceux qui réduisent tout à la mondialisation). La crise de la représentation politique provient justement du fait que l’électeur a le sentiment que la classe politique et les appareils établis se comportent comme si rien n’avait changé et se montrent incapables de relever les nouveaux défis, car ils ne les identifient pas, tout simplement (exemple, refuser de voir le caractère ethnique d’une certaine délinquance).

– notre pays entre dans une période d’échéances, qu’il est de moins en moins possible d’éloigner par des manœuvres d’évitement. On peut évoquer au moins quatre sortes d’échéances :
. le chômage et la montée de la misère ;
. la crise des systèmes sociaux (Sécurité sociale, Education nationale, Justice) ;
. le défi posé par la persistance des flux migratoires ;
. la mise en place d’institutions fédérales en Europe (exemple, monnaie unique).

Cela signifie que l’heure des choix se rapproche, ce qui pose la question des élites dirigeantes : seront-elles capables de dépasser l’approche gestionnaire qui a été leur trait dominant depuis trente ans – Seront-elles capables d’assumer les choix nécessaires (au lieu de préconiser le « ni-ni » qui traduit bien le refus de choisir) – La France a des élites molles, habituées pour l’essentiel à la sécurité et à la facilité, alors que nous entrons de nouveau dans une période dure de notre histoire (les élites politiques, pour la première fois, n’ont pas connu la guerre et proviennent, pour une large part, du secteur protégé de la fonction publique).

– la question du pouvoir, question politique par excellence, se pose maintenant en termes nouveaux :
. les institutions ne fonctionnent plus et ce sont les lobbies, le pouvoir médiatique et les autorités autoproclamées qui arbitrent en dernier ressort ;
. la France est engagée dans un processus fédéral au sein de l’Union européenne (qui ne veut pas s’avouer comme tel), qui tend à supprimer la souveraineté des États, donc à réduire la marge d’action des politiques.

En d’autres termes, la question du rétablissement de la souveraineté est désormais posée avec force à la classe politique. Car à quoi sert un changement de majorité, si on continue d’appliquer une même politique – (C’est d’ailleurs le raisonnement que tiennent ceux qui s’abstiennent.) La crédibilité des politiques passe ainsi par le rétablissement de la souveraineté du politique.

C) – LES NOUVELLES LIGNES DE FRACTURE POLITIQUES

Il convient d’examiner maintenant comment ces mutations peuvent se traduire en termes de débat politique.
Aux « quatre vieilles » querelles du passé évoquées en introduction, se substituent de plus en plus trois nouvelles lignes de fracture politiques et idéologiques :
– l’affrontement du cosmopolitisme et du nationalisme ;
– l’affrontement de la social-démocratie et du libéralisme ;
– l’affrontement de l’oligarchie et de la démocratie.

a) – L’affrontement cosmopolitisme/nationalisme
Au plan idéologique, le cosmopolitisme correspond à une reformulation de l’égalitarisme, rendue nécessaire du fait de l’effondrement de l’utopie communiste et du « socialisme scientifique ». Il se présente sous trois dimensions principales :
– le mondialisme (à distinguer de la mondialisation des échanges, qui est un fait), qui consiste à déduire de l’interdépendance des nations (réputée constituer au demeurant un progrès) la nécessité d’une organisation « rationnelle » du monde, celle-ci supposant le dépérissement des nations ;

– le fédéralisme européen, qui est en quelque sorte la variante régionale du mondialisme, marquée en particulier par la volonté de rendre irréversible le gouvernement des choses et par une démarche planiste et constructiviste (« construire » l’Europe) ;
– le multiculturalisme, qui prône le mélange des ethnies et des identités comme avenir de l’humanité, qui relativise les différences culturelles ou autres (les Français sont tous des immigrés – le jean’s l’emporte sur le tchador, l’intégration marche, la France marche au mélange, comme une mobylette, etc.), qui assimile au racisme et au fascisme tout mouvement identitaire européen (d’ailleurs, les races n’existent pas) et qui adopte en même temps le projet avoué de la création d’une société multiculturelle en France.
Le cosmopolitisme s’oppose ainsi à ceux qui veulent préserver les identités, qu’elles soient culturelles, religieuses, nationales ou ethniques. Cette opposition recouvre l’un des enjeux majeurs du prochain siècle : la problématique de l’empire, résultant de l’affrontement entre les aspirations contraires à l’unité et à la diversité du monde, dont les identités sont l’expression concrète, alors que des forces d’homogénéisation (notamment économiques, politiques et culturelles) sont à l’œuvre.
Le défi que nous devons relever en Europe se pose, en effet, à l’échelle du monde. Comment assurer l’unité dans le respect de l’identité et des libertés (des particularismes) des peuples – C’est la problématique classique de l’empire, à cette différence que :
– le centre de l’empire n’est plus en Europe, mais en Amérique ;
– la tentation de l’empire universel peut désormais devenir une réalité, alors que jusqu’à maintenant les empires n’étaient que régionaux.
Le maintien de la diversité dans l’unité et dans la paix est l’un des défis majeurs du XXIe siècle, car il implique de trouver un équilibre durable entre :
– l’échange entre les cultures et le maintien des identités ;
– les vertus de la compétition et le coût social des ajustements ;
– le maintien de la paix et le respect de la souveraineté des peuples ;
– la prospérité et la démographie.
Le combat pour l’identité et la liberté de la nation française peut et doit ainsi être replacé dans une perspective plus large : celle du maintien de la diversité, qui fonde la richesse du monde, face aux nouveaux tenants de l’empire universel que sont les cosmopolites, qui rêvent de supprimer les nations, d’instaurer le métissage universel des cultures et des ethnies et qui prétendent soumettre tous les gouvernements et tous les peuples à leur idéologie, au nom d’une fausse conception des droits de l’homme (l’empire universel est en fait une théocratie qui entend assurer la domination de l’idéologie du protestantisme américain : le rêve du melting-pot étendu à l’humanité tout entière).
L’affrontement entre le cosmopolitisme et le nationalisme repositionne le clivage gauche-droite, mais ne le supprime pas :
– la gauche est cosmopolite par essence, car elle refuse de reconnaître la diversité humaine (ses préférences vont à la table rase et l’homme abstrait) ;
– le cosmopolitisme est un rationalisme constructiviste étendu à l’humanité tout entière (alors qu’on doit lui objecter que la libre initiative est la seule réponse efficace à la complexité du monde).

Au plan politique, l’affrontement entre le cosmopolitisme et le nationalisme structure notamment les débats suivants :
– l’attitude à adopter vis-à-vis de l’hégémonie américaine et des tentatives de mise en place des instruments d’un gouvernement mondial (droit d’ingérence, opérations de police, gouvernement économique, mise en place de tribunaux internationaux) ;
– la construction européenne (fédération ou Europe confédérale des nations) ;
– l’indépendance et la puissance militaire (comme alternative à l’atlantisme étendu à toute la planète – moins la Chine) ;
– la défense de l’identité culturelle, face au processus d’homogénéisation ;
– les questions entourant l’immigration, notamment :
. comment mettre un terme à l’immigration de peuplement –
. comment faire repartir les immigrés non assimilés –
. comment favoriser le développement des pays d’émigration –

b) – L’affrontement social-démocratie/libéralisme
La question de la social-démocratie est, en effet, au cœur d’un triple enjeu : politique, identitaire et économique et social.
– politique : le débat sur la manière de sortir du socialisme recouvre, d’une certaine façon, celui du cosmopolitisme.
. le socialisme affaiblit les nations où il est appliqué. Les opposants au mondialisme, s’ils sont conséquents avec eux-mêmes, doivent donc s’opposer à la mise en œuvre des solutions socialistes, sous toutes leurs formes ;
. la tentation social-protectionniste, qui séduit parfois une certaine partie de la droite, constitue une impasse stratégique : outre qu’un peu plus de socialisme ne rendra pas la France plus prospère ni plus forte, il est illusoire d’escompter constituer des alliances avec la gauche sur un tel programme, car pour la gauche ce n’est pas ce que l’on dit qui importe, mais d’où on le dit : des idées « de gauche » émises par la droite deviennent à ses yeux des idées de droite, jugées « démagogiques » ou « populistes ».
– identitaire : contrairement à une légende entretenue par la gauche, le libéralisme est une tradition française et l’étatisme ne fait pas partie de l’identité nationale. Le mot d’ordre « laissez faire, laissez passer » est d’origine française et les libéraux français (Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat ou Tocqueville) inspireront les libéraux anglais ou américains. L’État-providence ne s’est développé que tardivement en regard de notre histoire (depuis 1945, sous l’influence des idées socialistes justement) et les prélèvements obligatoires ont crû à partir des années 1970. Le prétendu consensus social-démocrate est en réalité le consensus des sociaux-démocrates et non l’expression de notre identité.

– économique et social : pour retrouver la prospérité et faire reculer le chômage et la misère, il est indispensable de remettre en cause les institutions et les mécanismes de la social-démocratie, qui empêchent notre société de répondre aux pressions concurrentielles, comme le montre l’expérience des pays occidentaux qui se sont engagés dans cette voie. La réponse à la question sociale passe par plus de liberté et de « flexibilité » et non par plus de redistribution et d’emplois subventionnés sur fonds publics. Cela passe en particulier par :
. la réforme de la protection sociale, pour qu’elle soit plus économe et plus responsabilisante (elle constitue, en outre, une réponse au défi de l’immigration, car notre système de protection sociale est une incitation à l’immigration) ;
. l’allégement de la fiscalité (qui implique une réduction des dépenses publiques et, par conséquent, un nouvelle définition du rôle et du domaine d’intervention de l’État) ;
. l’évolution de la législation sociale (quant au salaire minimum, quant à la liberté d’embauche et donc de licenciement, quant au pouvoir des syndicats, notamment) ;
. la réforme de l’Education nationale, dont la responsabilité dans la crise actuelle ne peut être ignorée.

L’enjeu de la sortie de la social-démocratie est donc particulièrement stratégique, car :
– il est le seul moyen de répondre à l’attente prioritaire des Français, qui est de résoudre la question sociale ;
– en sortant de la social-démocratie, la gauche s’affaiblira, car les institutions et mécanismes de l’État-providence constituent tout à la fois son fonds de commerce électoral (exemple, les « emplois-jeunes » qui viendront à échéance lors de la prochaine élection présidentielle) et son soutien (les appareils bureaucratiques, syndicaux et « sociaux »).

c) – L’affrontement oligarchie/démocratie
L’affrontement entre l’oligarchie – ou establishment – et la démocratie est appelé à structurer durablement le paysage politique, car il recoupe une opposition à la fois philosophique et sociologique :
. philosophique : les partisans, avoués ou inavoués, de l’oligarchie défendent une logique de l’élection au sens théologique du terme : il appartiendrait aux élites « éclairées » par les lumières de la raison de faire le bien des peuples malgré eux. Les peuples seraient trop sensibles aux passions pour être en mesure de discerner leur véritable intérêt.

Cette logique s’applique, par exemple en matière de justice, d’immigration, de construction européenne ou d’écologisme. Elle exprime, dans une certaine mesure, l’essence de l’utopie socialiste, qui prétend tout fonder en raison et qui s’illusionne sur son aptitude à obtenir les effets qu’elle prétend atteindre dans une société complexe. Elle exprime ainsi le constructivisme qui finit toujours par déboucher sur le pouvoir des ingénieurs sociaux, chargés de guider la société vers le paradis sur terre : les constructivistes prétendent toujours incarner l’avant-garde du prolétariat, dont la mission consiste à diriger le prolétariat pour le bien du prolétariat. Ils s’opposent à ceux qui estiment, au contraire, que la démocratie se définit comme le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (et non seulement au nom du peuple) et qui ne croient ni à l’omniscience ni à l’omnipotence de l’État-providence (ce qui correspond à une laïcisation des attributs de la divinité, au demeurant). On ne saurait donc s’en remettre au seul jugement des minorités, fussent-elles les plus éclairées, a fortiori lorsque sont en cause des questions qui concernent la société tout entière (comme en matière de justice, par exemple). Cette opposition recoupe en partie, on le voit, celle de la social-démocratie et du libéralisme.
. sociologique : l’opposition philosophique entre volonté du peuple et pouvoir de l’establishment renvoie également à une réalité sociologique : ce que l’on pourrait considérer comme une nouvelle lutte des classes, opposant non pas ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui ne les possèdent pas, mais opposant :
. ceux qui maîtrisent les rouages de l’État-providence (bureaucraties, appareils médiatiques, appareils syndicaux) et ceux qui y sont soumis ;
. ceux qui échappent aux dysfonctionnements de la social-démocratie (par exemple en matière d’insécurité, d’enseignement, de lieu de résidence, de proximité à l’égard des réalités de l’immigration) et ceux qui ne le peuvent pas ;
. ceux qui possèdent un emploi protégé et tous les autres (y compris ceux qui n’ont pas ou plus d’emploi).

La question de la restauration de la démocratie constitue donc un enjeu majeur dans notre pays, car on peut affirmer que la démocratie est désormais durablement corrompue, dans tous les sens du terme. En effet, la démocratie suppose le débat (les Parlements sont des lieux où l’on débat). Or, on peut aisément démontrer que, progressivement, le débat se trouve de plus en plus exclu de la sphère politique :
– les classes politique et médiatique se veulent consensuelles autour de la social-démocratie ;
– les vrais choix de société sont de plus en plus confiés à des instances irresponsables politiquement (au sens constitutionnel du terme), comme les comités de « sages » (expression significative, à la lumière de ce qui a été dit sur les fondements philosophiques de l’oligarchie) ou les « autorités morales » (terme lui aussi approprié, car elles exercent bien l’autorité – auctoritas -, c’est-à-dire la souveraineté, alors que l’État n’exerce plus qu’un pouvoir) ;
– la désuétude du référendum, contraire à l’esprit de la Ve République, signifie que l’on consulte de moins en moins les Français (« pour ne pas donner une tribune au F.N. » ) ;
– la domination du « politiquement correct » réduit de plus en plus l’espace de libre débat (par exemple en matière d’immigration) et c’est bien là sa fonction ;
– plus essentiellement, le débat politique implique l’existence d’un ennemi politique. Or, la classe politique ne se reconnaît plus qu’un seul ennemi : le Front national, à l’égard duquel il n’y a aucun débat. On ne débat pas avec un adversaire diabolisé ;
– la démocratie ne se conçoit pas en dehors de la nation (ou de la cité). Or, un processus fédéral est à l’œuvre, qui vise justement à éliminer en Europe la souveraineté des nations (pour le bien des peuples, bien entendu) : en particulier, on veut leur retirer le pouvoir monétaire et budgétaire, alors que ce dernier a été historiquement la racine de la démocratie (qui consiste avant tout à voter les dépenses et les recettes publiques).
Les institutions de l’Union européenne sont, au demeurant, typiquement oligarchiques (pouvoirs très étendus de la commission, notamment) ;

– la démocratie suppose le souci de la « chose publique » (res publica). L’ampleur des phénomènes de corruption démontre que nous vivons dans une démocratie sans vertu ;
– la démocratie suppose la circulation des élites. Or, les élites dirigeantes sont aujourd’hui largement fermées sur elles-mêmes, endogames et coulées dans le même moule idéologique et médiatique. Elles affichent haut et fort leur défiance vis-à-vis du reste de la nation (cf. le refus du « populisme » ou de la « démagogie ») ;
– la démocratie suppose le règne de la loi, qui, dans la tradition républicaine, doit être la même pour tous, car elle est l’expression de la volonté générale. Cela implique l’existence d’une force publique, pour que « force reste à la loi », justement. Or, sous les assauts de l’idéologie multiculturelle, on assiste de plus en plus au retour de la « personnalisation des lois » (exemple, voile islamique, tolérance vis-à-vis de la polygamie, répression inégale du « racisme », etc.). Ce mouvement est conforté par les plus hautes instances juridiques et par le pouvoir judiciaire, qui y voient un moyen de conforter leur pouvoir (en augmentant leur marge d’interprétation). Il induit aussi l’affaiblissement de l’État au nom du « tolérantisme » (tolérer les violations de la loi commune, dès lors qu’elles émanent des « minorités » proclamées telles, ce qui constitue une forme de « discrimination positive » qui ne s’avoue pas comme telle) ;
– la démocratie suppose enfin l’organisation de l’équilibre des pouvoirs. On a vu plus haut que l’équilibre constitutionnel était bouleversé par l’apparition de nouveaux pouvoirs irresponsables politiquement et dont le champ d’action n’était pas borné (exemple, l’impunité des pouvoirs médiatique et judiciaire).

Mettre un terme à la corruption de la démocratie constitue donc un enjeu d’autant plus majeur que la démocratie est un remède à la décadence. Le peuple est en effet moins corrompu et moins conservateur que ses élites, en particulier parce qu’il est plus confronté qu’elles aux conséquences de la crise actuelle.
Donner la parole au peuple (par exemple, avec la mise en œuvre du référendum d’initiative populaire, ou du référendum classique d’initiative présidentielle) constitue donc un facteur de déblocage politique et social. C’est d’ailleurs pourquoi les sociaux-démocrates (qui n’ont finalement de démocrate que le nom) se défient de l’expression populaire.

QUELQUES CONCLUSIONS

1) – Ce rapide survol des « grandes querelles » contemporaines montre que le clivage gauche/droite reste pertinent, même s’il se reformule autour de nouvelles lignes de fracture, comme cela a déjà été le cas, d’ailleurs, dans le passé.

La gauche est aujourd’hui principalement du côté du cosmopolitisme, du côté, bien sûr, de la social-démocratie, et du côté de l’oligarchie. Une droite conséquente avec elle-même devrait se ranger du côté du nationalisme, du libéralisme et de la démocratie. L’erreur d’une certaine droite consiste à adhérer au pseudo-consensus social-démocrate et au mondialisme et à se défier de la volonté populaire, ce qui ne peut que la conduire à l’échec, puisqu’ainsi elle ne se différencie plus vraiment de la gauche.
Si le clivage gauche/droite reste pertinent à moyen terme, cela signifie que toute stratégie qui prétendrait nier (on dit parfois « dépasser ») cette opposition est impolitique par essence et, par conséquent, vouée à l’échec. La droite ne peut pas, en effet, prétendre communier avec la gauche dans les mêmes « valeurs » sans se renier. En fait, ceux qui prétendent que le clivage gauche/droite est dépassé veulent signifier, dans la plupart des cas, qu’ils se rallient à la gauche. Celle-ci, au contraire, ne manque jamais de se définir comme étant la gauche.

2) – Les oppositions entre cosmopolitisme et nationalisme, social-démocratie et libéralisme, oligarchie et démocratie renvoient à une autre ligne de partage : celle qui sépare les nouveaux fatalistes des volontaristes.

Le trait dominant du discours de l’oligarchie social-démocrate établie est qu’il exhale un fatalisme permanent :
– « il n’y a qu’une seule politique possible » ;
– « l’immigration zéro est impossible » ;
– le chômage serait la conséquence fatale de la mondialisation ;
– la « construction » européenne est irréversible…
Ce fatalisme a des racines à la fois idéologiques et sociologiques :
– idéologiques, car il n’est que l’avatar du mythe du sens de l’histoire, que les élites « éclairées » sauraient bien sûr déchiffrer ;
– sociologiques, car le fatalisme est devenu l’idéologie des classes conservatrices (alors qu’au XIXe siècle le mythe du sens de l’histoire venait en soutien des révolutionnaires) : il sert de justification commode à leur impuissance à maîtriser les crises qui s’annoncent. Elles n’ont d’autre refuge que de supporter avec courage les souffrances des autres…
Cela signifie que la gauche est désormais dans le camp du conservatisme, dans le mauvais sens du terme, car elle s’adosse aux « acquis » de la social-démocratie, qui constituent son fonds de commerce électoral (cf. le mot d’ordre « touche pas à », décliné dans tous les domaines – Sécurité Sociale, immigration, étatisation – qu’il faut traduire en « touche pas à mes avantages »). C’est un renversement par rapport au siècle dernier, où la gauche entendait incarner le parti du mouvement, qui devrait maintenant se situer à droite.
Il va de soi, bien entendu, que ce fatalisme de convenance sert parfaitement ceux qui ont intérêt à faire des Européens en général et des Français en particulier les objets et non plus les sujets de leur histoire, et qui ont, par exemple, intérêt à suggérer que le dépérissement de la souveraineté nationale – et son corollaire, l’indépendance – est dans l’ordre des choses. Un clivage psychologique se dessine ainsi entre le fatalisme des conservateurs établis et le volontarisme de ceux qui refusent la prétendue fatalité du dépérissement des nations et des identités, ou la fatalité du chômage, de l’étatisme et de la réduction des libertés.

3) – Si la droite doit se situer du côté des volontaristes contre les fatalistes, il lui faut fonder ce volontarisme non sur un désespoir, mais sur une espérance.

Les mouvements politiques qui ont exercé une influence durable sont non seulement ceux qui ont su rassembler autour de leurs programmes, mais aussi ceux qui ont su susciter une espérance – et une grande espérance – pour l’avenir. Ainsi, par exemple, le socialisme ou le communisme se sont solidement fondés sur l’espoir d’un monde meilleur (une société sans classes qui abolirait la misère et l’exploitation de l’homme par l’homme). De même, le fascisme ou le national-socialisme ont fait rêver sur le thème de l’empire, de la communauté du sang et aussi de la justice sociale. Le gaullisme, du moins à l’origine, s’est fondé sur « une certaine idée de la France », en particulier sur le ressort de la grandeur et de l’indépendance de la nation.
Cette époque paraît révolue, parce que justement les politiques ont abandonné cette dimension :
– l’establishment se cantonne dans un discours gestionnaire qui évacue toute dimension psychologique ;
– les partis mènent une politique interchangeable (il n’y aurait « qu’une seule politique possible ») qui est désespérante par nature, puisqu’elle supprime l’idée même qu’il puisse y avoir des alternatives ;
– les partis mènent une politique de l’instant qui évacue toute projection dans l’avenir ;
– les grandes idéologies messianiques sont mortes, notamment l’espérance communiste ;
– on doit aussi replacer cette dérive dans un contexte moral et social plus large : celui de la mort des projets collectifs, avec le triomphe du repli sur soi individualiste, né de la sécularisation des religions (en particulier du christianisme), de la mort des idéologies messianiques, enfin du triomphe de l’économisme.
Le courant identitaire est, certes, porteur d’espérance, puisqu’il correspond à un ressort profond de la nature humaine et aux défis majeurs auxquels notre société est confrontée : l’immigration, la mondialisation. Mais il est pour l’instant perçu et exprimé sur un mode défensif (il faut sauvegarder notre identité menacée), ce qui ne suffit pas à projeter dans l’avenir une grande espérance positive (on peut même affirmer qu’il repose au contraire sur une vision pessimiste, ou tragique, de l’avenir – celui de la fin des identités et des nations -, même s’il ne la souhaite pas, bien entendu…). On peut en déduire que le mouvement qui parviendra à reformuler son programme pour le projeter dans un avenir imaginable et désirable par chacun disposera d’un avantage décisif dans la lutte politique.
Il faut, en d’autres termes, pouvoir répondre positivement à la question : pourquoi (pour quoi) s’engager et non simplement contre qui. Dans cette perspective, le discours identitaire pur est insuffisant, dès lors qu’il ne justifie pas pourquoi il serait légitime de défendre notre identité (quid au demeurant de l’identité des autres -). Cela n’est évidemment pas facile pour la culture de droite, traditionnellement pessimiste, puisqu’elle repose sur une vision pessimiste de l’homme, et peu portée à croire aux lendemains qui chantent.
Donner un sens au combat politique, en le situant dans une perspective historique et philosophique à laquelle le plus grand nombre puisse s’identifier, constitue donc un enjeu majeur. Cela permettra, en effet, de l’inscrire dans une espérance, alors qu’aujourd’hui une certaine « droite » a, en fait, la même espérance que la gauche et ne s’en distingue que quant au choix des moyens de la réaliser (en cela, elle a raison de dire qu’elle a les mêmes valeurs que la gauche : ce n’était pas vrai à l’origine, mais ce l’est devenu avec la conquête des pouvoirs culturel et médiatique par la gauche).

Comme la fausse « droite » ne conteste la gauche qu’au plan des moyens et non des fins (ainsi, par exemple, vis-à-vis de l’immigration), elle se trouve de ce fait prisonnière d’un discours gestionnaire, impuissant à susciter l’élan et l’espérance, puisqu’elle est devenue une sorte de gauche « en creux ».
Ce n’est au demeurant pas dans la nature de la droite de se définir négativement. C’est la gauche, en effet, qui est la grande négation : négation de Dieu, négation de la nature de l’homme, négation des lois de la nature et de l’économie, négation de la société. Le dernier enjeu consiste donc à refonder positivement la droite pour qu’elle s’affirme d’abord pour avant d’être contre :
– pour les nations et les identités ;
– pour la liberté économique et la prospérité ;
– pour la démocratie et les libertés.