Lettre de Jacques Chirac à Henry de Lesquen

La France en grand
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Paris, le 4 avril 2002

Monsieur Henry de LESQUEN
Président du Mouvement Associatif pour l’Union de la Droite (M.A.U.D.)
4 rue de Stockholm
75008 PARIS

Monsieur le Président,

Vous avez bien voulu me faire part de votre inquiétude face au fléau de l’insécurité qui menace notre pacte social ainsi que de votre souhait de voir réformer la loi présomption d’innocence par une droite unie aux prochaines élections présidentielles et législatives.

Sachez tout d’abord que j’ai pris connaissance de votre courrier avec la plus grande attention. A la veille de rendez-vous électoraux décisifs pour l’avenir de notre pays, le temps de la campagne doit être en effet celui de la confrontation des points de vue et du débat d’idées. C’est ainsi que je conçois le dialogue qui doit s’établir entre un candidat à la Présidence de la République et les Français. Aussi, je vous remercie de votre démarche qui me donne l’occasion de préciser mes propositions pour lutter efficacement contre la délinquance.

Concernant tout d’abord, votre appel en faveur d’une union des partis de la droite et du centre afin d’agir efficacement pour restaurer l’autorité de l’Etat et la sécurité pour tous sur l’ensemble de notre territoire, sachez que c’est bien évidemment mon souhait le plus cher et mon ambition.

Dans la tradition de la Vème République, l’élection présidentielle constitue l’échéance essentielle de notre vie démocratique. Elle repose sur la rencontre directe entre un homme ou une femme et le peuple français. Aussi, diverses personnalités peuvent-elles avoir légitimement l’ambition de se présenter au suffrage de nos compatriotes. Cette démarche doit avoir lieu dans la clarté et la loyauté pour permettre le rassemblement le plus large au 2e tour. Seule la dynamique d’union permettra la victoire aux présidentielles puis aux législatives. Seule l’union rend crédible un projet de gouvernement.

Or, je constate que l’opposition, en matière de lutte contre l’insécurité et de restauration de l’autorité de l’Etat est beaucoup plus unie que ne l’est l’actuelle majorité, profondément divisée sur les réponses à apporter à ces problèmes pourtant cruciaux pour le pays.

Assurer la sécurité des Français sera ma priorité. C’est pourquoi j’organiserai, sous mon autorité, un Conseil de Sécurité Intérieure, chargé de donner une impulsion politique au plus haut niveau de l’Etat, pour lutter à la fois contre les réseaux criminels (trafics d’objets volés, de stupéfiants, proxénétisme, mafias) mais aussi contre la délinquance quotidienne.

Pour assurer l’efficacité de l’action de l’Etat, il serait stérile d’opposer prévention et répression, elles sont les deux faces complémentaires de la lutte contre la délinquance. La sécurité aujourd’hui, c’est l’affaire de tous : la police et la justice, bien sûr, mais aussi les familles, l’école, les communes, les associations.

Je souhaite en premier lieu rendre toute leur efficacité à nos forces de sécurité. Pour cela je m’engager à créer :

  • un grand ministère de la sécurité intérieure. Un même ministre assurera ainsi la cohérence des interventions de l’Etat (police-gendarmerie) en matière de sécurité ainsi que celles des polices municipales et des entreprises spécialisées de ce secteur, notamment les convoyeurs de fonds. Je tiens à préciser que ce dispositif ne remet, en aucun cas, en cause le statut militaire des gendarmes.
  • Des objectifs clairs et précis de réduction de la délinquance seront assignés aux préfets et aux responsables de la sécurité publique. Deux lois de programmation en faveur de nos forces de l’ordre et de la justice leur redonneront les moyens d’agir.
  • Des groupements régionaux d’intervention, regroupant des agents de toutes les administrations concernées par la délinquance (y compris les douanes, les impôts, la répression des fraudes) seront également mis en place. Ils mèneront des enquêtes en renfort des services normalement compétents pour démanteler localement les réseaux criminels qui imposent leurs lois à nos villes et nos banlieues.

En matière de sécurité, les maires ont également un rôle fondamental à jouer. Je souhaite que leurs pouvoirs soient accrus, et qu’ils puissent fixer, au sein de conseils locaux de sécurité réunissant l’ensemble des acteurs de la prévention et de la répression, les priorités de la lutte contre la délinquance sur le territoire de leur commune.

Rénover notre action en matière de lutte contre la délinquance, c’est aussi donner à la justice les moyens de mieux juger :

  • Je souhaite que, sous l’impulsion du Conseil de Sécurité Intérieure, soit définie une véritable politique pénale, juste mais ferme, identique sur tout le territoire de la République.
  • Pour lutter contre la lenteur de notre système judiciaire, il conviendra de systématiser le traitement des plaintes en temps réel et d’encadrer, dans des délais réalistes, la durée des procédures judiciaires.
  • Le sentiment d’impunité vient aussi de l’importance des “petits délits” classés sans suite par la justice faute de moyens. C’est pourquoi je propose de créer des tribunaux de proximité, à l’exemple des anciennes “justices de paix” capables de traiter les petits délits et chargés de prononcer, sous le contrôle de magistrats, des peines de réparation immédiates et effectives, des travaux d’intérêt général, des contraventions.
  • Il faut également adapter notre carte judiciaire à la nouvelle géographie de la délinquance et affecter en priorité les moyens financiers et en personnel, aux tribunaux traitant le plus grand nombre d’affaires.

Vous évoquez les défauts de la loi relative à la protection de la présomption d’innocence votée l’an dernier. Cette loi était nécessaire pour mettre notre législation en conformité avec les exigences européennes en matière de protection des droits de la défense, principe fondamental reconnu par les lois de la République. Mais la défense des libertés ne saurait se traduire par une dégradation de la sécurité des Français. Or, les difficultés de mise en œuvre de cette réforme, tant par les tribunaux que par la police et la gendarmerie sont nombreuses et n’ont pas été suffisamment anticipées par le gouvernement. De nouveaux textes et des moyens supplémentaires seront nécessaires pour les résoudre et assurer une meilleure coordination entre les forces de sécurité et la justice.

Nous devrons enfin renforcer notre dispositif judiciaire de prévention, d’éducation et de sanction pour les mineurs. C’est un enjeu majeur pour un pays que l’éducation et la protection de sa jeunesse.

  • Il est nécessaire de responsabiliser davantage les parents : si ces derniers se sont désintéressés de leur mission éducative ou profitent de la délinquance de leurs enfants, il convient de les rappeler à leur responsabilité. <br
    Je propose ainsi de mettre en place une procédure d’avertissement familial prononcé par le juge pour enfants. Dans le cas où les parents du mineur ne respecteraient pas les engagements pris devant le juge, ils pourraient être sanctionnés financièrement sur décision judiciaire.
  • Par ailleurs, le respect de l’école et des enseignants, la sécurité à l’école seront renforcés, à travers des plans de sécurité pour l’école, associant toute la communauté éducative et les acteurs locaux pour faire respecter les règlements intérieurs, et lutter contre l’absentéisme, le racket et les violences.
  • Pour les jeunes les plus déstructurés, il me paraît important d’élargir notre gamme d’établissements de placement afin de ne plus traiter de la même façon, le jeune commettant un premier délit et le multirécidiviste endurci. Je propose donc que des établissements d’enseignement spécialisés soient créés pour les jeunes qui perturbent durablement la vie scolaire. Pour les délinquants en attente de jugement ou condamnés, des centres préventifs fermés et des établissements éducatifs fermés seront créés. Ils auront un double objectif écarter les “chefs de bande” de leurs quartiers et leur offrir une véritable chance de réinsertion.

Apporter à tous les Français la sécurité à laquelle ils ont droit, rétablir le respect de la règle et de l’autre, faire en sorte que toute infraction obtienne une réponse et que chacun trouve sa place dans la société, tels sont les axes de la politique que je propose aux Françaises et aux Français pour mettre fin à la spirale de la violence. Elle nécessitera une volonté politique sans faille, une autorité sans faiblesse, mais aussi beaucoup de détermination, d’humanité et de force d’âme. Tel est mon engagement.

Vous remerciant encore pour votre courrier, je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Bien cordialement,
Jacques CHIRAC