L’union de la droite existe… au niveau des programmes

Les préjugés politiques ont la vie dure. A entendre de nombreux commentateurs, l’ex-majorité R.P.R.-U.D.F. n’aurait ni les mêmes idées ni les mêmes valeurs que le Front national. L’examen des textes montre que cette opinion n’est en rien conforme à la réalité. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer méthodiquement la plate-forme pour gouverner ensemble, publiée par le R.P.R. et l’U.D.F. le 16 janvier 1986, au pro-gramme du Front national Pour la France, édité chez Albatros à la fin de 1985. Sur 100 mesures proposées par le R.P.R. et l’U.D.F., on ne trouve de divergences que sur 14 points ; encore celles-ci ne portent-elles, le plus souvent, que sur l’ampleur d’une réforme, et non sur son principe. Voici donc les points d’accord et de désaccord, tout au long des 13 principales rubriques de la plate-forme de gouvernement R.P.R.-U.D.F., confrontées aux chapitres correspondants du programme du Front national.


  1 – Libérer l’économie

Cet objectif est commun aux deux programmes, ce qui distingue, soit dit en passant, le Front national de ce que l’on appelle « l’extrême droite », laquelle a toujours été dirigiste.

Le R.P.R. et l’U.D.F. proposaient de rétablir ou d’établir la liberté des prix (ce qui a été fait pour l’essentiel), la liberté des changes (réalisée en partie), la liberté du crédit, la liberté de la concurrence, et d’abolir la loi dite de démocratisation du secteur public. Ils proposaient un large programme de privatisation (réalisé en très grande partie), le développement de la participation, un accroissement de l’effort de recherche (sur ces deux derniers points, le programme du Front national ne prend pas de position explicite), une diminution de l’impôt sur le revenu des particuliers (limitation du taux à 50%), une réforme de la taxe professionnelle (qui n’a pas été effectuée), la suppression de l’I.G.F., la baisse de la fiscalité sur la transmission des entreprises et la création d’une monnaie européenne. Le Front national défend exactement les mêmes positions. Cependant, il envisage à plus long terme la suppression de l’impôt sur le revenu, ainsi que celle de l’impôt sur les plus-values.

Les deux programmes veulent réduire les déficits des administrations, le Front national proposant en outre une loi organique pour plafonner les dépenses publiques.


  2 – L’emploi

Les neuf points évoqués dans la plate-forme R.P.R.-U.D.F. ont l’accord du Front national. Il s’agit d’obtenir une croissance élevée, de décentraliser les négociations salariales, de diminuer les charges des entreprises lorsqu’elles embauchent de jeunes chômeurs, de supprimer l’autorisation administrative de licenciement, de modifier les lois Auroux, d’assouplir la réglementation des horaires de travail, de décentraliser l’A.N.P.E. et de créer des zones franches (intitulées dans la plate-forme R.P.R.-U.D.F. « zones d’emplois à contraintes allégées »).

Toutefois, le Front national prévoit de supprimer le monopole de l’A.N.P.E., d’élever les « seuils sociaux », au lieu de les geler simplement, et d’instituer une priorité d’emploi pour les Français (et les ressortissants des pays de la Communauté européenne), au titre de la préférence nationale. Seule cette dernière mesure traduit une divergence substantielle.


  3 – La protection sociale

Les dix principales mesures évoquées dans le programme R.P.R.-U.D.F. sont en harmonie avec celui du Front national : il s’agit d’établir un contrôle parlementaire sur le budget de la Sécurité sociale et de créer la « feuille de paie vérité », qui préciserait les cotisations versées par les employeurs ; de respecter les libertés médicales, de libérer les prix des médicaments, d’assurer l’égalité entre l’hôpital privé et l’hôpital public, de développer des mécanismes de « retraite à la carte » et des régimes facultatifs de prévoyance, sans remettre en cause le droit de prendre sa retraite à 60 ans. (C’est dans le domaine de la protection sociale que le décalage entre les promesses électorales et les décisions gouvernementales a été le plus grand.) On ne relève de divergence avec le Front national que sur un point : la liberté de candidature aux élections professionnelles, que le R.P.R. et l’U.D.F. n’ont pas osé revendiquer, de crainte de mécontenter les syndicats dits représentatifs !


  4 – L’agriculture

R.P.R., U.D.F. et F.N. se rejoignent pour défendre la politique agricole commune ; ils souhaitent tous améliorer la formation des agriculteurs et maintenir l’exploitation familiale. Toutefois, le Front national demande en sus une profonde réforme des S.A.F.E.R..

Notons que la « préférence communautaire » en matière agricole est la seule règle « préférentielle » adoptée par le R.P.R. et l’U.D.F., alors que le Front national généralise le principe – sous le nom de préférence nationale (ou de préférence européenne, puisqu’il s’applique, par extension, aux pays de la Communauté européenne), en l’appliquant aux hommes plutôt qu’aux productions.


  5 – Le logement

Le R.P.R., l’U.D.F. et le Front national tombent d’accord sur les quatre points suivants : simplifier la réglementation, abroger la loi Quilliot, libérer les loyers en maîtrisant leur évolution, vendre les H.L.M. à leurs occupants.


  6 – L’État

La plate-forme R.P.R.-U.D.F. prévoit un recentrage du rôle de l’État autour de ses fonctions de souveraineté, de sécurité et de solidarité. Le programme du Front national partage cette orientation. Le R.P.R. et l’U.D.F. proposent la simplification et l’amélioration de la décentralisation, alors que le Front national envisage une décentralisation nouvelle, qui serait conforme au principe de subsidiarité. Les deux programmes s’accordent à dénoncer le socialisme municipal.

Le Front national se distingue en demandant une large utilisation du référendum et même l’institution du référendum d’initiative populaire. (Mais M. Chirac a fait sienne cette suggestion entre les deux tours de l’élection présidentielle.)

Le Front national est seul à réclamer la suppression de l’E.N.A. et à vouloir que l’appartenance à la fonction publique soit incompatible avec un mandat électif national ou régional.


  7 – La sécurité

Les points essentiels évoqués par le R.P.R. et l’U.D.F. ont l’approbation du Front national, qu’il s’agisse d’augmenter les moyens de la police et d’améliorer son image, de restaurer la fonction répressive de la Justice (la plate-forme R.P.R.-U.D.F. parle du « glaive » de la Justice), de fixer des peines incompressibles, de donner des garanties aux justiciables en matière douanière et fiscale, de lutter contre les abus du droit d’asile, de combattre le terrorisme et le trafic de drogue.

Il faut noter que, grâce à MM. Pasqua et Pandraud, c’est dans le domaine de la sécurité que la plate-forme R.P.R.-U.D.F. a été le mieux respectée (ainsi que dans celui de la libéralisation économique, grâce à M. Balladur).

Le Front national ne se distingue que sur le sujet de la peine de mort, qu’il veut rétablir. (Plusieurs parlementaires R.P.R. ou U.D.F. ont également déposé des propositions de loi dans ce sens, notamment M. Pasqua. Le clivage est au dedans du R.P.R. et de l’U.D.F., il ne passe pas entre le Front national et ces deux formations.)



  8 – La famille

Les deux programmes s’inquiètent de « l’hiver démographique » que traverse notre pays. Le R.P.R. et l’U.D.F. annoncent l’augmentation de l’aide qui sera accordée pour le troisième enfant, le développement du travail à temps partiel, l’amélioration de l’allocation parentale d’éducation (le Front national préfère parler de « salaire maternel »), l’institution du droit à la retraite pour les mères de famille et l’élimination des discriminations fiscales dont les couples mariés sont victimes (cette mesure n’a pas été retenue par le gouvernement, en raison de son coût budgétaire). Toutes ces propositions vont dans le sens des idées du Front national, qui préconise une politique fondée sur la préférence familiale. Le Front national demande aussi, quant à lui, l’abrogation de la loi Veil, qui autorise l’avortement volontaire (de nombreux parlementaires du R.P.R. et de l’U.D.F. partagent cette conviction).


  9 – L’école

On trouve sur ce sujet une grande convergence entre les deux programmes. Cependant, la plate-forme R.P.R.-U.D.F. n’a été que très partiellement appliquée (en raison, notamment, de l’agitation autour du projet de loi Devaquet et de ce qui a suivi). Elle proposait :
– de protéger par un texte constitutionnel la liberté de l’enseignement,
– de donner un statut particulier aux maîtres des écoles privées,
– d’assurer l’égalité des chances,
– de supprimer peu à peu la sectorisation (« carte scolaire »), pour reconnaître aux parents la liberté de choisir l’école de leurs enfants,
– de favoriser la création des universités autonomes, dont certaines privées,
– d’abolir la loi Savary,
– de développer une école de qualité,
– d’affirmer la responsabilité des différents partenaires.

S’agissant de l’école, le Front national va plus loin que le programme R.P.R.-U.D.F., en proposant le « chèque-éducation » (le P.R. y est également favorable).


  10 – Culture et communication

Le programme du Front national, peu précis en la matière, témoigne du même esprit que la plate-forme R.P.R.-U.D.F., qui prévoit :
– le développement du mécénat et des fondations privées,
– l’abrogation de la loi du 23 octobre 1984 sur la presse et la clarification de la responsabilité éditoriale,
– la concurrence dans les télécommunications (le Front national y ajoute la concurrence postale),

– le démantèlement du monopole public de l’audiovisuel, par une privatisation partielle,
– la création de la C.N.C.L.,
– la défense de la langue française.
Dans ce domaine, aussi, le gouvernement n’a réalisé qu’une petite partie de la plate-forme.


  11 – L’identité nationale

Le R.P.R. et l’U.D.F., comme le Front national, affirment que la protection de l’identité nationale est un impératif majeur de leur politique. La plate-forme R.P.R.-U.D.F. va plus loin sur ce sujet qu’on ne pourrait le croire, même si elle n’a été que très partiellement mise en œuvre. En matière d’immigration et de nationalité, la plupart des propositions qu’elle formule pourraient être reprises par le Front national :
– refuser la société multiculturelle et le racisme,
– maîtriser les flux migratoires au niveau européen,
– reconduire à la frontière les étrangers condamnés pour crimes ou délits,
– renforcer la répression du travail clandestin,
– réserver les droits sociaux des étrangers à ceux qui sont en situation régulière,
– éviter les abus du statut d’étudiant et de celui de réfugié,
– réserver les droits politiques aux nationaux,
– abolir les textes attribuant automatiquement la nationalité française,
– faire du retour des immigrés dans leur pays une éventualité réelle.

Cependant, le Front national, pour sa part, demande l’abrogation du texte qui a créé la carte de séjour de dix ans renouvelable automatiquement, que le R.P.R. et l’U.D.F. ont voté, avec la gauche, en vue de stabiliser le séjour des étrangers en France. Le Front national préconise une législation de type suisse, qui incite, au contraire, à la rotation des immigrés, afin que ceux-ci ne perdent pas le contact avec leur pays d’origine et ne constituent pas sur le sol national une colonie inassimilable. De plus, il entend retirer aux étrangers le droit d’élire les prud’hommes, qui jugent « au nom du peuple français » et il souhaite que le principe de la préférence nationale reçoive une application générale, notamment en matière d’emploi.

Les divergences sont incontestables sur ces trois points : pour autant, la position du Front national est parfaitement compatible avec la tradition républicaine ; rappelons qu’après la crise de 1929 les deux Chambres de la IIIe République ont voté à la quasi-unanimité des mesures beaucoup plus rigoureuses pour réduire le chômage des ouvriers français, en obligeant la majeure partie des immigrés à regagner leur patrie.


Notons, d’ailleurs, que le programme du Front national mentionne plusieurs fois les droits de l’homme (page 66 à propos de la propriété et page 101 pour la sécurité, sans compter le chapitre qui traite des libertés publiques et du droit au référendum).


  12 – La défense

En matière de dissuasion nucléaire, de défense européenne et de « bataille de l’avant », de hausse des crédits militaires (jusqu’à 4% du produit national brut selon le R.P.R. et l’U.D.F., 5% selon le Front national), on constate une large convergence de vues. Un désaccord cependant, qui peut surprendre : le Front national envisage d’abandonner la conscription, après étude, alors que le R.P.R. et l’U.D.F. restent fidèles au service militaire national. De plus, le Front national entend faire un gros effort de défense civile (ce qui n’a, certes, pas été le cas en France jusqu’à présent).


  13 – La politique étrangère

Les principes énoncés par le R.P.R. et l’U.D.F. d’une part et le Front national d’autre part se ressemblent beaucoup :
– solidarité avec les États-Unis,
– vigilance à l’égard de l’U.R.S.S.,
– défense des droits de l’homme,
– construction européenne,
– défense de la langue nationale,
– coopération et accords de sécurité avec les pays d’Afrique,
– obligation morale à l’égard des chrétiens du Liban,
– politique équilibrée envers Israël et les pays arabes,
– défense de nos intérêts dans le Pacifique,
– présence de la France en Amérique latine et en Asie du sud-est.


De cette étude, on peut tirer trois conclusions :

– Les partis de droite, contrairement à une opinion répandue, ne manquent pas d’idées. Beaucoup ont été mises au point dans des cercles de réflexion, comme le Club de l’Horloge ou le Club 89.


– Le programme du R.P.R. et de l’U.D.F. d’une part et celui du Front national d’autre part ne divergent que sur un petit nombre de mesures : plus des neuf dixièmes sont communes à toute la droite. Sur les sujets de divergence (peine de mort, avortement, préférence nationale…), la ligne de partage se situe plutôt à l’intérieur du R.P.R. et de l’U.D.F. qu’entre le Front national et ces deux partis. Comme M. Charles Pasqua l’a souligné dans Valeurs actuelles, le 2 mai 1988, le R.P.R., l’U.D.F. et le Front national adhèrent aux mêmes valeurs. C’est aussi vrai pour des valeurs politiques, comme la démocratie, l’identité nationale, les droits de l’homme et les libertés fondamentales, que pour des valeurs traditionnelles comme la responsabilité, le travail, la famille…

– Le gouvernement n’a appliqué que très partiellement la plate-forme R.P.R.-U.D.F. entre 1986 et 1988, ce qui a suscité des critiques de la part du Front national, mais aussi à l’intérieur de la majorité. Alors que ce programme avait fait la quasi-unanimité de la droite, cette politique n’explique-t-elle pas l’échec que celle-ci a subi à l’élection présidentielle, puis aux législatives ?