Par Henry de Lesquen
Madame Michèle Tribalat reçoit le prix Lyssenko pour un seul texte d’une cinquantaine de pages, publié à la fin de 1998, qui suffit à sa gloire. Elle y entreprend de réfuter les calculs de Pierre Milloz sur le coût de l’immigration . On se souvient que, dans un fameux rapport publié en 1990, celui-ci l’avait estimé à 210 milliards de francs pour 1989 . Il avait complété et actualisé ses chiffres dans un ouvrage de 1997, où il avançait un montant de 280 milliards pour 1995 . Personne, jusqu’en 1998, n’avait répondu au(x) rapport(s) Milloz, aussi extraordinaire que cela paraisse. Michèle Tribalat est la première à le faire, et elle procède à une exécution en règle, annonçant d’emblée qu’elle va lui appliquer « le scalpel », en vue de sa « mise en pièces » (il s’agit du rapport…). Or, le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’y est pas parvenue, et que les procédés qu’elle a utilisés pour discréditer le rapport et son auteur relèvent souvent plutôt d’un procès d’intention de nature idéologique que d’une discussion scientifique normale. A cet égard, le texte de Madame Tribalat est exemplaire de la désinformation qui règne sur la question de l’immigration.
On nous objectera, peut-être, que le coût de l’immigration dans la France actuelle est un sujet trop limité et trop particulier pour notre prix… Il faut reconnaître qu’il a moins d’envergure, sur le plan scientifique, que ceux qui ont été traités précédemment, qu’il s’agisse de l’hérédité ou des races, des facteurs de la criminalité ou de ceux du chômage. Mais nous avons pensé que la question de l’immigration était suffisamment importante pour que le jury du prix Lyssenko ne puisse pas s’en désintéresser ; il n’y a pas, sur le plan de la connaissance, de « petit sujet », surtout quand l’avenir de la France est en cause.
Nous nous sommes faits une autre objection. Bien que Michèle Tribalat ait la réputation d’être une femme de gauche, ses travaux sont, en général, appréciés des spécialistes et ne méritent donc pas d’être « distingués » par notre prix. Elle a même rompu des lances avec un autre démographe, Hervé Le Bras, ancien lauréat du prix Lyssenko, et il faut bien dire que, dans cette polémique, c’était elle qui avait raison. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elle ait cherché à se « dédouaner », en prenant la plume contre le rapport Milloz. Quoi qu’il en soit, c’est uniquement pour son texte de 1998 que le prix lui est décerné cette année, il est utile d’insister sur ce point.
Le coût de l’immigration est, en soi, une question purement technique, qui devrait être traitée objectivement par des spécialistes impartiaux, dans un contexte neutre et dépassionné. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Les ouvrages de Pierre Milloz ont été édités par le Front national ; ils ne sont pas à la Documentation française. Ce n’est pas la faute de leur auteur, qui a fait un travail admirable, dans un domaine où il n’y avait rien, parce que, visiblement, le gouvernement et son administration ne souhaitaient pas informer les Français. Cependant, pour les gens qui considèrent, sous l’influence de la gauche, que ce n’est pas ce que l’on dit qui compte, mais le lieu d’où on le dit, les travaux de P. Milloz ont perdu beaucoup de leur crédit, ce qui est bien dommage. Quant à la réponse de Michèle Tribalat, elle est ouvertement polémique et engagée, puisqu’elle s’intitule : « Le Front national et sa « science » : le rapport Milloz au scalpel » et qu’elle constitue le chapitre 2 d’un livre dont le titre est : « Face au Front national. Arguments pour une contre-offensive ».
Le Club de l’Horloge, qui est parfaitement indépendant, n’a pas pour vocation d’intervenir dans la polémique dirigée contre un parti. Mais nous sommes intéressés par le fond du débat, et c’est cela seul qui compte pour l’attribution du prix Lyssenko, étant observé cependant que c’est ce contexte militant qui explique la dérive lyssenkiste de Michèle Tribalat. Du reste, il n’y a pas de symétrie à établir entre les deux auteurs qui s’opposent : les écrits de Pierre Milloz sont empreints d’une incontestable sérénité, dont il ne s’est partiellement départi que pour répliquer à son contradicteur, dans un ouvrage publié en juin 1999 ; au contraire, comme nous le verrons, Michèle Tribalat dresse un réquisitoire idéologique et multiplie les attaques venimeuses.
L’objet du débat
Pierre Milloz a été le premier et, jusqu’à présent, le seul, à évaluer le coût de l’immigration étrangère en France, en calculant la différence entre, d’une part, les dépenses des services publics qui bénéficient aux étrangers et, d’autre part, les impôts et cotisations sociales qu’ils ont payés. « Les étrangers installés en France prélèvent nécessairement sur la communauté nationale bien davantage qu’ils ne lui apportent, observe-t-il. D’une part, en effet, ils sont en grand nombre (plusieurs millions, dont une minorité d’actifs) et ils ont des revenus d’un faible niveau (il s’agit d’une main d’œuvre relativement peu qualifiée). D’autre part, ils s’installent dans un pays dont le système social se caractérise par une forte tendance à la redistribution et qui les appelle, sans distinction de nationalité, à bénéficier de ce système. »
L’auteur commence par corriger le nombre des étrangers fourni par le recensement, qui est notoirement insuffisant. On sait, en effet, que les enquêteurs sont mal reçus dans les quartiers « difficiles » où vivent beaucoup d’immigrés et que ceux-ci répugnent souvent à se faire enregistrer. Dans son ouvrage de 1990, P. Milloz comparait les chiffres du dernier recensement disponible, celui de mars 1982, qui donnait 3.680.000 étrangers, à ceux du ministère de l’intérieur, qui en trouvait 4.460.000 à la même date, et, en exploitant des statistiques provenant d’autres sources ? enfants scolarisés, bénéficiaires des allocations familiales ?, il concluait que les chiffres du ministère de l’intérieur étaient eux-mêmes inférieurs à la réalité : il estimait à 4.750.000 le nombre des immigrés en situation régulière en 1982, et à 5.000.000 en 1989. En y ajoutant 1.000.000 d’immigrés illégaux, encore appelés « clandestins » , il arrivait à un total de 6.000.000 d’étrangers. Pour son ouvrage de 1997, il ne disposait pas des statistiques du ministère de l’intérieur, qui ne sont plus publiées depuis 1991, mais les autres sources disponibles lui ont permis de corriger à peu près dans les mêmes proportions le dernier recensement connu à l’époque, celui de mars 1990, qui ne trouvait que 3.600.000 étrangers : il évalue à 5.250.000 le nombre des étrangers en situation régulière, auxquels il faut ajouter, selon lui, quelque 1.500.000 clandestins ? dont, par définition, le nombre est très mal connu ?, ce qui fait au total 6.750.000 personnes.
Pierre Milloz entreprend ensuite de déterminer les flux financiers dirigés vers la population étrangère et ceux qui en sont issus. Dans bien des cas, les organismes publics ne donnent pas de statistiques ventilées selon le critère de nationalité ; il est à craindre que cette omission ne soit pas innocente, mais qu’elle témoigne du souci de cacher la réalité aux Français, sous le prétexte, sans doute, de ne pas alimenter le « racisme ». De ce fait, l’auteur est obligé souvent de se livrer à des calculs ingénieux, et nécessairement approximatifs, pour suppléer au manque de données officielles. Il calcule ainsi que la dépense publique effectuée au bénéfice des étrangers s’élève à 172,3 milliards pour l’Etat, 43,1 milliards pour les collectivités locales, 154,5 milliards pour les organismes sociaux et 3,3 milliards pour les entreprises (au titre du logement social). Il faut en déduire 122,3 milliards d’impôts et de cotisations sociales payés par les étrangers, ce qui fait un solde de 250,9 milliards. Il y ajoute enfin le coût d’indemnisation des 950.000 Français qui sont au chômage à cause de l’emploi des étrangers, soit 28 milliards . Le total fait 278,9 milliards de francs, au titre de l’année 1995.
Il est choquant qu’une étude aussi importante, indispensable à l’information démocratique de nos concitoyens, ait été réalisée par un individu isolé, alors que les services officiels comme l’I.N.S.E.E. et l’I.N.E.D., qui disposent de moyens infiniment supérieurs, auraient dû s’en charger. Et il est carrément scandaleux que les organismes publics, et notamment les caisses de Sécurité sociale, qui publient toutes sortes de données, n’établissent pas, ou du moins ne publient pas, de statistiques selon la nationalité. Madame Tribalat elle-même, malgré l’animosité qu’elle témoigne à Pierre Milloz, est obligée de reconnaître que « l’administration ne fait pas preuve d’une très grande transparence en matière de flux d’entrées en France » . Elle parle ailleurs de l' »opacité » des statistiques .
Dans ces conditions, il est remarquable que Pierre Milloz ait réussi à déterminer une évaluation vraisemblable du coût de l’immigration, qui donne un ordre de grandeur plausible. C’est un véritable tour de force. Il a fait preuve, en la matière, d’un talent qui force l’admiration.
Bien entendu, en raison de l’opacité des statistiques, due à la rétention d’information pratiquée par les administrations, les résultats obtenus par Pierre Milloz ne peuvent qu’être qu’approximatifs.
En outre, il ne faut pas se méprendre sur la portée de cette étude, ni en sous-estimer les limites inévitables.
En premier lieu, Pierre Milloz s’en est tenu sagement à la population de nationalité étrangère. Or, il est évident que le coût de l’immigration ainsi calculé disparaîtrait totalement si le gouvernement décidait d’accorder la nationalité française à tous les immigrés… Sans aller jusque-là, on sait que la combinaison d’un droit de la nationalité laxiste et d’une pratique démagogique de la naturalisation a permis à des centaines de milliers et peut-être à des millions d’étrangers de devenir français sans s’être assimilés à la communauté nationale . Il faudrait évaluer aussi le coût de ces « Français de papier ».
En second lieu, le calcul de P. Milloz est de nature financière, il comptabilise des différences entre des flux. Ce n’est pas un calcul économique de l’effet de l’immigration sur l’économie française, calcul qui paraît au demeurant hors de portée. Nous avons les plus grands doutes sur les études économétriques qui ont été effectuées sur le sujet, compte tenu de l’incertitude des hypothèses, sans parler d’un éventuel biais idéologique .
A cet égard, Pierre Milloz a eu tort, à notre avis, d’ajouter le coût indirect du chômage français causé par l’immigration à son évaluation de 1997. Ce n’est pas que nous en contestions la réalité ni le montant, mais il nous semble que cette dépense n’est pas de même nature.
Enfin, il est étonnant que l’auteur conteste le principe même de la surdélinquance étrangère. Observant qu’il y a 31 % d’étrangers dans les prisons françaises, il pense, suivant sur ce point le Haut Conseil à l’intégration, que ce taux s’explique en partie par le fait que les étrangers sont plus jeunes et plus pauvres et, pour le reste, qu’il confirme que la proportion des étrangers est très supérieure à celle donnée par le recensement (6 % de la population). En réalité, il serait miraculeux que deux populations d’origine différente présentent exactement les mêmes taux de délinquance, et il n’est aucunement « raciste » de supposer qu’il y a des différences, de ce point de vue, entre les immigrés et les autochtones, surtout si l’on considère que le déracinement est un facteur de délinquance.
Les critiques de Michèle Tribalat
Après avoir résumé l’étude de Pierre Milloz, Michèle Tribalat présente certaines objections d’ordre technique qu’il serait fastidieux de reprendre dans le détail. P. Milloz lui a répliqué de manière fort convaincante, dans son dernier ouvrage. Il est d’ailleurs frappant que Michèle Tribalat se soit contentée d’une discussion très partielle des arguments de P. Milloz : elle a apparemment reculé devant l’ampleur de la tâche.
L’essentiel des observations de notre lauréate porte sur le nombre des étrangers. Elle prend la défense du recensement, qui serait, d’après elle, entaché d’une erreur de seulement 1 % (ce qui paraît bien optimiste), sans toutefois oser dire nettement que le nombre des étrangers est lui-même connu avec cette précision de 1 %. S’agissant des statistiques scolaires, elle croit pouvoir redresser les calculs de P. Milloz en procédant à une interpolation linéaire entre les effectifs de la rentrée de septembre 1989 et ceux de la rentrée de septembre 1990, pour retrouver les résultats du recensement de mars 1990, majorés de 1 %. Celui-ci n’a pas de mal à lui rétorquer que ce calcul n’a aucun sens, puisqu’évidemment les effectifs varient peu en cours d’année. De même, pour les statistiques des caisses d’allocations familiales, P. Milloz montre que son contradicteur n’a pas tenu compte de la réglementation. Ainsi la prétendue réfutation de Madame Tribalat est-elle à peu près anéantie.
En tout état de cause, on s’attendrait à ce que notre lauréate substitue sa propre estimation à celle de Pierre Milloz. Puisque sa contestation ne porte pratiquement que sur le nombre des étrangers, qui sont 3.600.000 selon le recensement, et 6.600.000 selon P. Milloz, elle devrait trouver, au lieu de 280 milliards, environ 150 milliards, résultat sommaire auquel on parvient par une simple règle de trois. Mais elle refuse de répondre à la question, en invoquant des arguments fallacieux qui relèvent plus de l’idéologie que de la science. Elle écrit là deux pages essentielles pour le prix Lyssenko. Elle commence par affirmer que « la question paraît mal posée car elle donne lieu à un bilan comptable statique portant sur une année » . Or, il ne lui était pas interdit de compléter ce « bilan comptable statique » par d’autres considérations, dont nous restons frustrés, et l’on ne voit pas pourquoi le bilan comptable serait, pour autant, dépourvu de signification. Ou alors, il faudrait que les entreprises, et l’Etat lui-même, cessent de produire des comptes annuels, pour complaire à Madame Tribalat.
Le pire vient cependant ensuite, lorsque notre lauréate ne craint pas d’affirmer : « La question est sans objet parce que certains des étrangers deviennent français. » Ici, la logique de Madame Tribalat nous échappe tout à fait, mais nous ne nous autoriserons pas à parler à son propos de « logique paranoïaque », comme elle le fait à propos de Pierre Milloz . D’ailleurs, la question ne lui paraît plus sans objet, quand elle dit, page suivante : « Il faudrait faire l’hypothèse d’un « apartheid » démographique pour espérer répondre, sans grande complication, à la question du coût de l’immigration. » Le prétendu apartheid dont elle parle repose sur le critère de nationalité, ce qui n’a rien à voir avec la race. Ici, le procédé lyssenkiste est patent, puisqu’il s’agit d’assimiler sa cible à un adepte de l’apartheid de funeste mémoire.
Du reste, comme tout bon lyssenkiste, Michèle Tribalat multiplie les attaques ad hominem, parlant de « naïveté », de « mauvaise foi », et même de « logique paranoïaque » . Dans son paragraphe de conclusion, intitulé « Les « ficelles » de la méthode Milloz », on a droit à un florilège proche de l’hystérie : « cynisme », « mauvaise foi patente », « parti pris », « ferveur idéologique », « calcul malhonnête », « habillage statistique », « opération de camouflage », « logique paranoïaque » (bis) . Ces propos sont odieux. Rien, absolument rien, ne les justifie dans les publications de Pierre Milloz. Soulignons que cet auteur, ancien inspecteur général de l’industrie, a été couronné par l’Académie des sciences morales et politiques – évidemment pour d’autres ouvrages.
Concluons que rien ne permet de remettre sérieusement en cause les résultats obtenus par Pierre Milloz, dans l’état actuel de la discussion. Si aucune administration ne lui a jamais opposé un démenti chiffré, c’est, selon toute apparence, que ce n’était pas faisable.
Michèle Tribalat annonce d’emblée, dans son contre-rapport, qu’elle va « mettre en pièces » l’étude de Pierre Milloz. Force est de constater qu’elle n’y parvient pas. Son échec, cependant, ne suffirait pas à lui valoir le prix Lyssenko, si elle n’avait pas la prétention d’interdire que la question du coût de l’immigration soit débattue.
Dans le 1984 d’Orwell, Big Brother a créé un nouveau langage, la novlangue, dans laquelle il n’est pas possible d’exprimer certaines idées. Cette fable est le symbole du terrorisme intellectuel exercé par la gauche, qui s’emploie à ce que certaines questions ne puissent être posées, et notamment celle du coût de l’immigration. Sur ce point, Madame Michèle Tribalat a apporté une contribution exemplaire au monde d’obscurantisme que l’idéologie dominante a réussi à édifier.