Pour ne pas se tromper d’adversaire, reconnaître ses propres valeurs

par Henry de Lesquen

Le résultat des élections législatives du 12 juin 1988 a été une bonne surprise, puisque le raz de marée socialiste prévu par les instituts de sondage n’a pas eu lieu. Ainsi, au lendemain du scrutin, le président Mitterrand ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale et il ne pourrait l’obtenir qu’à travers des combinaisons et des compromissions.

  Nous ne devons pas, cependant, nous dissimuler la double défaite que la droite a subie, d’abord à l’élection présidentielle, puis aux élections législatives :

– M. Mitterrand, candidat du parti socialiste, a été élu, le 8 mai, avec 54 % des voix,
– puis, le 12 juin, la gauche a obtenu une majorité de 31 sièges à l’Assemblée nationale : 303 au total pour le P.S. et le P.C., contre 272 pour la droite, soit 31 sièges de moins.

  Nous n’avons qu’une seule certitude : les socialistes étaient au pouvoir ; ils y restent. Peut-être feront-ils de la place à quelques autres, mais cela ne peut être un sujet de satisfaction pour ceux qui pensent que l’idéologie et la politique socialistes sont mauvaises pour la France et les Français.

  Certes, on n’a pas constaté aux législatives de 1988 un effet d’amplification du succès que la gauche avait obtenu à l’élection présidentielle, à la différence de 1981. Les législatives ont simplement confirmé l’élection présidentielle, en atténuant quelque peu le succès de la gauche, qui n’a pas retrouvé, au second tour, le même pourcentage de voix qu’un mois auparavant. Il n’en demeure pas moins que la droite a été à nouveau battue.

  Nous devons tirer la leçon de ce double échec de la droite. Il faut bien comprendre que c’est paradoxalement une France de droite qui a donné le pouvoir à la gauche. L’échec de la droite à l’élection présidentielle a été le fruit de la division : ce fut l’échec d’une stratégie dont nous avions prévu et dénoncé les conséquences.

  C’est cette stratégie erronée que je voudrais d’abord analyser, avant d’envisager une stratégie pour gagner. Le risque, aujourd’hui, n’est pas seulement que la gauche soit au pouvoir pour cinq ans, mais qu’elle y soit pour vingt-cinq ans, parce que la droite, divisée comme en Espagne ou en Suède, serait incapable de fournir une solution de remplacement.

  I – C’est l’élection présidentielle qui a été déterminante. Le second scrutin a été l’ombre portée du premier. Il ne faudrait pas que l’accessoire occulte l’essentiel. Si la droite a réussi à « limiter les dégâts » aux élections législatives, c’est pour deux raisons principales :

– Une erreur de stratégie de M. Michel Rocard. Par son discours d' »ouverture », M. Rocard a démobilisé ses partisans (ses militants et ses électeurs). La stratégie de recentrage choisie par le nouveau Premier Ministre, après la victoire de M. Mitterrand, a été presque aussi mauvaise pour les socialistes qu’elle l’avait été, précédemment, pour la majorité sortante.

2 – La deuxième raison de ce résultat relativement satisfaisant pour la droite – compte tenu du contexte – est évidemment l’accord de Marseille entre le Front national et l’ex-majorité. En dépit de l’embarras des uns ou des critiques des autres, cet accord, qui a eu une répercussion nationale, a été partout fort utile pour faire face à la gauche, et non seulement à Marseille, comme M. Gaudin l’a souligné. C’était un pas vers l’union de la droite. Grâce à lui, le report des voix du Front national sur les candidats de l’U.R.C. s’est fait plutôt bien, si on le compare du moins au second tour de l’élection présidentielle.

  La situation était bien différente un mois avant :

– D’une part, la droite était totalement désunie – la majorité et le Front national n’avaient pas conclu, ne serait-ce que l’esquisse d’un accord.

– D’autre part, le candidat Mitterrand s’est bien gardé de ménager ses adversaires – tout au moins, celui qu’il considérait comme son principal adversaire, M. Chirac. Rappelez-vous : lorsqu’il a déclaré sur Antenne 2 qu’il était candidat, les commentateurs ont été surpris et choqués par son ton agressif. Nous l’avons entendu dénoncer les « clans », les factions, l' »État-R.P.R. », et il en a appelé à l’intérêt général contre les intérêts particuliers, disant que « ces gens-là » mettaient la France en coupe réglée… Les commentateurs se sont écriés que c’était une grave erreur. L’expérience a montré qu’ils se trompaient. C’était au contraire fort habile : c’était politique – car, dans le combat politique, il faut désigner clairement son adversaire et ne pas lui faire de cadeau. Un adversaire est un adversaire. Et, de même que nous devons faire notre profit des erreurs de M. Rocard, nous devons analyser les qualités stratégiques de M. Mitterrand dans la campagne présidentielle.

  Pour analyser correctement la situation politique, il faut se garder de deux illusions. Non, la France n’est pas devenue centriste. La France est encore moins de gauche. En fait, c’est une France de droite qui a donné le pouvoir à la gauche.

1 – La France n’a pas voté au centre

  Compte tenu des candidatures uniques de l’U.R.C. et du report des voix du F.N. au second tour, les élections législatives se sont faites « bloc contre bloc », droite contre gauche. Ce n’est pas parce que 50% des Français ont voté à droite et 50% à gauche que la majorité des Français auraient voté au centre ni qu’ils souhaiteraient être gouvernés au centre. Cette curieuse équation témoigne d’une interprétation animiste des comportements du corps électoral. Chaque électeur est sans doute rationnel, pris individuellement. Mais la société n’est pas un grand être collectif qui serait doué de raison. On dit que les Français ont voté pour le centre parce que la situation parlementaire donne des possibilités inespérées aux combinaisons politiciennes. Cette analyse est spécieuse. Si la classe politique se trompe à ce point sur les vœux des Français, on peut redouter que ne se creuse un fossé entre le « pays légal » et le « pays réel ». En réalité, il n’y a pas aujourd’hui à l’Assemblée nationale d' »élu du centre ». M. Bernard Stasi lui-même a été élu par la droite, y compris par les électeurs du Front national.

2 – La France n’est pas de gauche

  Si la France n’est pas « au centre », elle est encore moins à gauche, contrairement aux apparences. Cette France, qui vient d’élire un président socialiste et une majorité de députés socialistes et communistes, n’a jamais été aussi à droite. On peut lui appliquer la formule : « France de droite, vote à gauche. » Le centre de gravité de la politique française a glissé progressivement vers la droite, au moins depuis 1968. C’est ce dont témoignent les enquêtes d’opinion, mais aussi les résultats électoraux. Sans doute le rapport gauche-droite tourne-t-il autour de 50 %, mais la composition de chacun des blocs a changé : le Front national est passé de 0 à 10 %, tandis que le parti communiste est tombé de 20 % à 10 %. De plus, le parti socialiste, qui, en 1981, avait un discours de « rupture avec le capitalisme » et était profondément imprégné d’idéologie marxiste, a fait des concessions importantes aux idées de la droite, dans le domaine économique en particulier. D’ailleurs, M. Mitterrand a tenu un discours de rassemblement, en fondant sa campagne sur le thème de la France unie, qui n’est certes pas propre à la gauche.

  L’évolution des performances de la majorité R.P.R.-U.D.F. entre 1986 et 1988 est également significative et explique ce paradoxe d’une France de droite qui vote à gauche. En 1986, après une cure d’opposition, le R.P.R. et l’U.D.F. s’étaient engagés nettement à droite. La plate-forme électorale traduisait une stratégie de rassemblement sur des valeurs communes, la liberté et l’identité, celles du libéralisme national. En 1988, après deux ans de gouvernement R.P.R.-U.D.F., les deux candidats de la majorité, M. Chirac et M. Barre, se sont présentés devant les électeurs avec une stratégie de recentrage. Or, la coalition R.P.R.-U.D.F. a perdu des deux côtés ; sur sa gauche, c’est-à-dire au centre, au profit de M. Mitterrand, et aussi sur sa droite, au profit de M. Le Pen. Elle a obtenu en 1988 37 % des voix à l’élection présidentielle et 40 % aux législatives, contre 45 % en 1986. Ce recul électoral de la majorité n’est pas celui des idées ou des valeurs de droite, mais la faillite d’une stratégie. Soulignons qu’au moins l’un des deux candidats a fait, de l’avis général, une « bonne campagne », du point de vue technique et tactique. Il a disposé de moyens importants et de beaucoup d’appuis. Malgré cela, il n’a rassemblé qu’un Français sur cinq… C’est bien la preuve qu’une erreur fondamentale de stratégie avait été commise.

  Je ne voudrais pas critiquer la cohabitation en tant que telle. C’était probablement jouable, à condition que la « cohabitation institutionnelle » n’entraînât pas la « cohabitation idéologique ». Malheureusement, c’est ce qui s’est passé. En décembre 1986, l’agitation autour du projet Devaquet avait obligé le gouvernement à un retrait tactique. Beaucoup d’erreurs avaient été commises, mais rien n’était encore perdu. Seulement, la majorité a cru alors nécessaire de changer de stratégie, et c’est en cela qu’elle s’est fourvoyée.

  A cet égard, le combat de Mme Thatcher en Angleterre a valeur d’exemple. Elle a rencontré sur sa route beaucoup d’obstacles et a dû souvent reculer, mais elle a toujours gardé le cap et n’a jamais modifié son discours ni ses objectifs. Cette attitude s’est révélée efficace à long terme. Il est vrai qu’elle a su affronter la longue grève des mineurs : voilà une épreuve autrement difficile que l’affaire Devaquet.

  A la suite du changement de stratégie de décembre 1986, nous avons tiré la sonnette d’alarme. Bien avant cela, d’ailleurs, nous avions appelé l’attention sur les erreurs à ne pas commettre. Après l’émergence du Front national en 1984, nous avions consacré un séminaire politique au thème : Ne pas se tromper d’adversaire, et nous écrivions ensuite dans La Lettre d’information du Club de l’Horloge : « L’opposition ne peut avoir d’autre stratégie que l’union de toutes ses composantes contre le socialisme, adversaire prioritaire, au nom de la liberté et de l’intérêt national. » Nous avons été partiellement entendus à l’époque. Il n’y a pas eu d’union de la droite, mais la plate-forme de gouvernement R.P.R.-U.D.F. était un engagement très net pour les valeurs libérales et nationales. Après mars 1986, le gouvernement a suivi une orientation libérale et nationale pendant près de neuf mois. Lorsqu’à la fin de 1986 il est revenu à une politique purement gestionnaire, nous avons pris date en annonçant la victoire de la gauche. Le 16 mars 1987 (anniversaire des élections législatives), notre séminaire politique portait sur le thème : Au secours, la gauche revient ! Nous avons analysé le redéploiement idéologique du socialisme – c’est le néosocialisme -, en alertant sur les risques d’un nouveau « Yalta idéologique », qui abandonnerait le secteur culturel à la gauche, la droite se repliant dans le « donjon économique ». Nous avons aussi souligné l’importance de la réforme du droit de la nationalité. Enfin, nous avons conclu sur la nécessité de riposter sans complexes au socialisme, en « stratégie haute ». Ces avertissements n’ont pas été écoutés. Hélas, le résultat de cet aveuglement a été conforme aux prévisions ! Il faut dire que la débâcle idéologique n’a cessé de s’aggraver jusqu’en décembre 1987, lorsque, avec le rapport Hannoun et celui de la commission Long, la majorité a paru s’aligner sur les thèses du lobby de l’immigration.

  L’échec de la majorité est celui de la stratégie du recentrage, qui a consisté :


  1) à accepter et à valider le langage et les valeurs de l’adversaire sous prétexte de consensus ; ainsi, à ne plus se réclamer de liberté et d’identité, mais plutôt de « réduction des inégalités », de « refus des exclusions » et d' »intégration » des immigrés.

  2) à dénoncer le travail idéologique comme un danger ou une diversion ; un ministre avait pu déclarer, en 1987, à L’Evénement du Jeudi : « Le libéralisme est dépassé. », et le candidat de la droite disait après le premier tour de l’élection présidentielle : « Je ne me laisserai pas engluer dans un débat sur les valeurs. » (à la suite de l’article de M. Charles Pasqua dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles, où le ministre de l’intérieur expliquait que le Front national et le R.P.R. avaient des valeurs communes).

  3) à ramener la politique à la gestion et à l’économie, en expliquant qu’il n’y avait pas de vrais problèmes en dehors du chômage ou de la formation… – considérés exclusivement dans leurs dimensions économiques.

  Le débat sur les valeurs entre les deux tours de l’élection présidentielle a été très significatif. On a vu resurgir le langage qu’on entendait en 1974, quand nous avons créé le Club de l’Horloge. A l’époque, la majorité avait tendance à créditer l’adversaire socialiste des intentions les plus pures, qu’elle déclarait d’ailleurs partager, tout en réduisant la politique à la gestion. Aussi, lorsque M. Pasqua a déclaré que la majorité avait des valeurs communes avec le Front national, ce fut un tollé. Il paraissait incongru que l’on osât se réclamer de valeurs différentes de celles de l’adversaire socialiste.

  II – Nous devons tirer les leçons de la défaite, porter un regard sans complaisance sur les responsabilités de chacun et faire un diagnostic exact, en partant d’une conception juste de la politique. Comme l’ont montré Carl Schmitt et Julien Freund, la notion d’ennemi ou d’adversaire est le critère de la politique dans tous les domaines, non seulement pour les affaires étrangères, mais aussi, d’une autre manière, à l’intérieur du pays. La désignation de l’adversaire est l’acte politique essentiel, qui révèle les grandes options. Cette décision initiale conditionne la stratégie. En 1974, le débat était : « Quel est l’adversaire principal ? Est-ce le P.C. ou le P.S. ? » A l’époque, la majorité des dirigeants de la droite considérait que c’était le P.C.. Ils ne reprochaient que deux choses au P.S. : premièrement, d’avoir des alliances inavouables avec des gens peu fréquentables, les communistes ; deuxièmement, d’être des gestionnaires de piètre compétence. On les entendait dire aux socialistes : « Vous êtes humanistes et généreux, mais reconnaissez que nous le sommes également. Au fond, nous partageons votre projet de société. » Pompidou lui-même avait dit que son « modèle de société » était la Suède, « avec le soleil en plus ».

  En 1988, pour la majorité sortante, le problème est aussi de désigner l’adversaire principal : est-ce le P.S. ou le Front national ? Certains pensent qu’on peut combattre à la fois le P.S. et le F.N. et proclament : « ni Mitterrand, ni Le Pen ». Mais, en politique, il faut éviter de combattre sur deux fronts. Si la formation de M. Le Pen était un véritable adversaire, et non un concurrent, alors, en effet, il serait assez logique de dire : « Nous sommes prêts à l’ouverture et au ralliement, mais cela se négocie. Les socialistes ne sont que des concurrents, qui peuvent devenir des alliés. » Voilà la stratégie du recentrage. Mais, si l’on considère que le P.S. est l’adversaire principal et que l’on ne saurait s’allier avec lui, il faut en tirer les conséquences et déclarer sans ambiguïté : « pas d’ennemi à droite ».

  Aujourd’hui, l’ex-majorité est à la croisée des chemins. Elle doit choisir, soit de s’allier avec ceux qui partagent les mêmes valeurs, contre l’adversaire socialiste, soit de collaborer plus ou moins ouvertement avec celui-ci, en contribuant à l’exclusion du F.N. ( ). Ce n’est pas parce que le F.N. n’a plus de députés que ses électeurs ont disparu. On ne peut pas non plus croire que les sujets qui ont fait naître cet électorat – l’immigration, l’insécurité, le laxisme moral – seront réglés par ce gouvernement.

  Mais la droite a-t-elle des valeurs communes, une certaine unité doctrinale ? Longtemps, il est vrai, elle n’a été qu’un amalgame de courants divers. Il y avait plutôt « des droites » qu' »une droite ». La droite a d’abord existé dans l’imaginaire et dans la propagande de la gauche égalitaire. Ensuite, comme coalition de ceux qui s’opposaient au socialisme et qui se regroupaient contre lui. Elle n’avait pas d’unité substantielle. Il y avait :
– une droite libérale,
– une droite traditionaliste et contre-révolutionnaire,
– une droite républicaine et nationaliste.
  Cette époque est révolue. Une première synthèse, partielle, s’était réalisée en France, à la fin du XIXe siècle, lorsque l’idéal de la nation a été adopté par le courant traditionaliste. Malheureusement, la progression des idées socialistes a bloqué longtemps l’évolution qui s’amorçait alors. La synthèse des idées libérales et nationales ne s’est vraiment faite qu’au cours des dix ou quinze dernières années. Elle a d’abord eu lieu dans le monde anglo-saxon, où les clivages historiques ne sont pas les mêmes que dans notre pays. Mme Thatcher, en Angleterre, et M. Reagan, aux États-Unis, incarnent cette droite nouvelle, à la fois, libérale, nationale, populaire et démocratique, en même temps que traditionaliste ou, comme on dit dans les pays anglo-saxons, conservatrice (conservative).

  C’est un courant qui traverse tout l’Occident. En France aussi, il est virtuellement majoritaire, puisqu’il traduit les aspirations dominantes. Les enquêtes d’opinion montrent que les Français manifestent de plus en plus d’attachement aux valeurs traditionnelles, comme la famille et la patrie, en même temps qu’ils affirment leur goût de la liberté.

  La droite peut se rassembler non seulement sur une liste de valeurs communes, mais surtout sur une même conception de l’homme et de la société. Pour définir celle-ci, je ne peux mieux faire que de citer la déclaration de Mme Thatcher devant l’Assemblée générale de l’Eglise d’Ecosse, le 21 mai 1988 (dont Le Figaro-Magazine donnait récemment un extrait) : « Nous sommes tous responsables de nos actes. Nous ne pouvons pas blâmer la société si nous enfreignons la loi. Et nous ne pouvons absolument pas déléguer à autrui l’exercice de la compassion et de la générosité. »

  C’est le contraire de l’idéologie des socialistes, que ce soit celle des marxistes, ou celle des néosocialistes de la « nouvelle gauche ». Ils pensent que nous ne sommes pas vraiment responsables de nos actes. Selon Marx, « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est leur être social qui détermine leur conscience ». Autrement dit, l’homme est exclusivement un produit de la société. Il ne peut tirer de son propre fonds la moindre parcelle de liberté authentique. Dans cette optique, le délinquant et le criminel sont plutôt des victimes de la société que des coupables. C’est la société qu’il faut en vérité mettre en accusation, non pas les hommes qui ont commis des actes apparemment répréhensibles. C’est parce que la société est mauvaise, injuste, qu’ils ont été poussés à commettre de tels actes. Le délinquant est un exclu, qui mérite d’être réinséré dans la société : c’est à celle-ci, plutôt qu’à lui, de faire les efforts nécessaires.

  Ce schéma de l' »exclusion » et de l' »insertion » (ou de l' »intégration ») est appliqué systématiquement à toutes sortes de problèmes sociaux, qu’il s’agit d’envenimer. Il sert à culpabiliser les gens qui n’appartiennent pas à ces catégories considérées comme atypiques ou marginales, donc, comme « exclues ». Il est pourtant clair que ce prétendu refus des exclusions n’a aucune consistance intellectuelle. Il ne peut y avoir d’ordre social sans un catalogue d’exclusions légitimes ou, plus précisément, sans une dialectique d’inclusion-exclusion, un tracé des frontières et une distinction entre le « dedans » et le « dehors », le permis et le défendu. Sans exclusion, il ne peut y avoir de communauté, ni famille, ni nation ; pas d’association non plus, ni même de partis politiques. Et que dire des élections ! Ne sont-elles pas un procédé d’exclusion, puisque le corps électoral « exclut » les candidats battus ?

  D’ailleurs, comme M. Mitterrand l’a fait dans sa déclaration du 14 juin 1988, ceux qui prétendent lutter contre l’exclusion s’empressent d’exclure le Front national, au nom justement de la lutte contre l’exclusion… Il ne faut pas s’étonner de ce pharisaïsme, qui a toujours été caractéristique de la gauche égalitaire. Les diverses formations de droite auraient donc grand tort de tomber dans le panneau, en paraissant adhérer à la logomachie socialiste -ou plutôt néosocialiste – sur l’exclusion.

  Le combat des idées connaît des hauts et des bas. On n’ose plus aujourd’hui, comme il y a dix ans, confondre purement et simplement la justice et l’égalité, ou l’injustice et l’inégalité. C’est un progrès. En revanche, le terme d’exclusion, qui connaît un succès prodigieux, donne une apparence de modernité au discours égalitaire, qui était disqualifié par son archaïsme. En réalité, le fond n’a pas changé.

  Il ne saurait donc y avoir d’équivalence ou de symétrie entre la gauche et la droite. L' »alternance », conçue comme une succession tranquille de gouvernements socialistes et libéraux, ne peut être un idéal pour ceux qui sont fermes dans leurs convictions. Sans doute le socialisme new look, le « néosocialisme », est-il très différent du marxisme classique. C’est à certains égards un socialisme mitigé, qui reprend ou feint de reprendre certaines valeurs de droite, qui accepte l’économie du marché et parle de la France unie. Mais, d’une part, les « ayatollahs » sont toujours actifs et ont été rejoints par les trotskystes de S.O.S.-Racisme et de l’U.N.E.F.-I.D.. Si, par malheur, le rapport de forces se modifiait dans le pays, on peut craindre que ces éléments révolutionnaires n’essayeraient d’en profiter. D’autre part, et surtout, le néosocialisme conduit la France sur le chemin de la décadence :

– Son libéralisme économique est tout relatif et s’arrête aux frontières du « social », qui sont extensibles. Il bloque ou freine les évolutions nécessaires. Les syndicats ont beau avoir de moins en moins d’adhérents, on veut préserver ou même renforcer leurs pouvoirs, sous couleur de concertation avec la « société civile ». Le monopole public de la Sécurité sociale ruine la France et les Français. Mais on ne peut pas espérer d’un gouvernement socialiste qu’il fasse baisser les prélèvements obligatoires, ce qui impliquerait une réforme libérale de la Sécurité sociale.

– Outre cet immobilisme social, qui relève d’une social-démocratie de type classique, le néosocialisme manifeste un phénomène de compensation, en ce sens qu’il reporte sur les sujets de société la hargne égalitaire qu’il a été obligé de brider dans le domaine de l’économie. C’est ainsi, par exemple, que M. Badinter, ministre de la justice, était considéré comme l' »honneur de la gauche », dans la mesure où il paraissait préférer les criminels à leurs victimes ( ). C’est ainsi que M. Jack Lang se fait le héraut d’une culture déracinée, d’un art officiel antipopulaire, qui relève plutôt de la contre-culture que de la culture – puisque celle-ci, lorsqu’elle est réellement présente, exprime toujours l’identité d’un peuple. C’est ainsi encore que M. Harlem Désir jouit d’une extrême faveur comme représentant du lobby de l’immigration, comme accusateur public, avocat d’une intégration fallacieuse qui ferait de la France une société multiculturelle, en détruisant notre identité nationale.

  Non, le courant libéral et national ne peut pas transiger avec les idées de la gauche égalitaire, socialiste ou néosocialiste, qui sont contraires à sa conception de l’homme et de la société.

  Dans la tradition occidentale, l’homme est libre et responsable. Il est « seigneur de lui-même ». Parmi ses libertés fondamentales, reconnues solennellement par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, on trouve notamment la « sûreté », qui implique des procès équitables et le châtiment des coupables. On trouve aussi la « propriété », « droit inviolable et sacré », « droit naturel et imprescriptible ». Il s’ensuit que les prétendus droits économiques et sociaux sont de faux droits : on ne peut à la fois vouloir la propriété et la redistribution, reconnaître la propriété comme un droit inviolable et sacré et organiser la spoliation.

  Les impôts sont consentis pour couvrir les charges publiques, non pour servir un objectif illusoire de « justice sociale », dont le Pr. Hayek a montré l’inconsistance. L’État-providence constitué depuis une cinquantaine d’années n’a pas de légitimité, puisqu’il prive les individus de la liberté et de la responsabilité de leurs destins individuels. La fraternité républicaine ou la charité évangélique sont des devoirs moraux que l’on ne saurait sans dommages déléguer à la collectivité, sous couvert de solidarité, comme l’a très bien dit Mme Thatcher.

  Mais l’homme ne peut être libre et responsable s’il ne peut s’appuyer sur un fort sentiment de son identité. Or, l’individu ne peut pas inventer sa propre nature. Puisque « l’homme est par nature un être de culture » (Gehlen), c’est dans l’appartenance à une communauté (la famille, la nation) que l’individu peut développer son identité et forger une volonté d’homme libre. C’est pourquoi la seule forme du libéralisme qui soit viable est nécessairement identitaire : nationale, traditionnelle, conservatrice. Il ne faut pas confondre le libéralisme authentique, identitaire et national, avec le « libéralisme des mœurs », celui de M. Badinter, de M. Lang ou de M. Désir.

  En matière d’immigration, les libéraux conscients des exigences d’identité doivent refuser la société multiculturelle. D’ailleurs, ne nous y trompons pas : le modèle de société multiculturelle pour lequel milite le lobby de l’immigration n’est pas celui des États-Unis – à supposer que les États-Unis soient vraiment une société multiculturelle -, mais celui du Liban ou de l’empire ottoman. La grande majorité des immigrés venus du tiers monde sont de confession musulmane. Leur culture est incompatible avec celle de l’Occident libéral et démocratique, laïque ou chrétien. La polygamie, le statut de la famille dans l’islam, par exemple, sont en contradiction avec les libertés fondamentales, telles que nous les concevons. L’immigration musulmane est la moins assimilable qui soit.

  Au demeurant, s’il faut chercher des modèles à l’étranger, c’est plutôt en Angleterre, qui renaît sous le gouvernement de Mme Thatcher, que dans les États-Unis de M. Reagan, qui hésitent encore sur la route à prendre. Mme Thatcher incarne cette synthèse des idées libérales et nationales que nous devons aussi effectuer. C’est elle qui a lancé la politique de privatisation, imitée partout dans le monde. Elle a diffusé la propriété des biens mobiliers et immobiliers en faisant reculer la mentalité d’assistés que nourrissent les pratiques clientélistes de l’État-providence. Elle s’est attaquée aux féodalités syndicales. Elle a diminué les impôts. Aujourd’hui, elle entreprend la réforme des finances locales, celle de la sécurité sociale, et étudie celle de l’école. Libérale et conservatrice, Mme Thatcher a pris aussi des mesures pour préserver l’identité de sa patrie, en modifiant le droit de la nationalité dans le sens d’une plus grande rigueur, et en arrêtant réellement l’arrivée des immigrés.

  Sans doute l’Angleterre n’est-elle pas la France. Sans doute le premier ministre conservateur n’a-t-il pas que des qualités… Mais son exemple prouve qu’une autre politique est possible. Il n’y a pas de « consensus » entre Mme Thatcher et M. Kinock, le leader du Labour, le parti socialiste britannique. Pourquoi en irait-il différemment dans notre pays ? Entre eux et nous – entre les (néo)socialistes et la droite, le désaccord est profond : plus que sur des valeurs, il porte sur une certaine conception de l’homme et de la société, « une certaine idée de la France ».

  III – Face au pouvoir socialiste, face à l’idéologie socialiste, nous ne devons pas hésiter.

  Si les socialistes devaient s’incruster au pouvoir par suite de nos divisions, ce serait un grand malheur pour notre patrie, qui serait emportée dans la décadence. Nous ne devons pas le permettre. Ce serait d’autant plus impardonnable que les Français, dans une très large majorité, sont de plus en plus attachés aux valeurs de liberté et d’identité. C’est pourquoi nous devons rassembler sans sectarisme ni procès d’intention tous ceux qui rejettent le socialisme sous toutes ses formes, parce qu’ils aiment la liberté, et parce qu’ils aiment la France, patrie de la liberté. C’est l’union de la gauche qui a porté au pouvoir un président socialiste. C’est la désunion de la droite qui lui a permis de s’y maintenir. Certes, le courant libéral, national et démocratique a plusieurs composantes. Il est riche de sa diversité. Mais ces composantes doivent s’unir contre la gauche égalitaire. Si elles le veulent, elles gagneront, car elles peuvent s’appuyer sur des aspirations très majoritaires.

  Jadis, le socialisme avait su exploiter le « cri de douleur des masses déracinées », selon la formule de Durkheim. Aujourd’hui, la gauche égalitaire est plus forte dans l’establishment que dans le peuple. Le conflit de la gauche et de la droite est celui des élites et du peuple – qui, en démocratie, détient seul la légitimité. Nous devons prendre clairement le parti du peuple, contre cet establishment qui prétend confisquer les droits du peuple. Tel est le sens de notre action en faveur d’une démocratie authentique. En dépit du terrorisme intellectuel, la droite doit s’unir pour répondre aux aspirations du peuple, qu’il s’agisse de la sécurité ou de l’immigration. Quand on compare la plate-forme de gouvernement R.P.R.-U.D.F. au programme du Front national, on s’aperçoit qu’ils se ressemblent beaucoup ; 80 à 90 % des propositions sont communes. Nous ne devons donc pas nous laisser intimider par le discours d’exclusion de la gauche et des lobbies à l’égard du Front national. La droite partage, dans son ensemble, une même conception de l’homme et de la société, comme l’a reconnu M. Pasqua. L’union est nécessaire au renouveau de la France. Elle est de la responsabilité des formations politiques. Le Club de l’Horloge, pour sa part, entend montrer qu’elle est légitime.