Une stratégie d’union, pour un libéralisme national et démocratique

par Michel Leroy

Si la gauche n’a pas gagné les dernières élections législatives, la droite a perdu, elle a perdu deux fois, alors qu’elle reste majoritaire dans le pays.

  Elle a perdu parce qu’elle s’est divisée.

  Et elle s’est divisée parce qu’elle n’a pas su trouver une identité, un discours et une stratégie.

  Le chemin du renouveau passe par la longue marche de l’union et par la redécouverte de nos valeurs. Cette union restera fragile, artificielle, si elle reste au niveau des combinaisons d’états-majors, locaux ou nationaux, des alliances tactiques et conjoncturelles.

  Le discours de l’ouverture, qui est devenu étourdissant dans la classe politique et médiatique, n’est que le degré zéro de la politique, l’ultime avatar de la soft-idéologie. Il est l’illustration la plus claire de la dégradation de la politique en tactique, et en mécanique (le discours sur l’ouverture, a-t-on dit, c’est un vocabulaire de serrurerie). C’est aussi la ruse ultime de l’immobilisme, la certitude d’un statu quo social-démocrate.

  L’union de la droite doit reposer non pas sur des combinaisons, mais sur des valeurs communes, qui ont vocation à rassembler une large majorité de Français : des valeurs libérales, nationales et démocratiques, conformes à notre tradition républicaine.


Des valeurs libérales

  Il s’est passé un événement considérable, depuis dix ans, qui a bouleversé le paysage idéologique, politique et économique dans le monde entier : c’est la renaissance du libéralisme ; c’est la redécouverte des vertus de l’économie de marché, de l’échange, de la concurrence, de la propriété et des règles de droit.


  Les pays les plus prospères, ceux qui ont renoué avec la croissance et l’emploi, sont ceux qui ont élargi l’espace de la concurrence, qui ont réduit le poids du secteur public, allégé la fiscalité, renoué avec les disciplines du marché. La Grande-Bretagne de Mme Thatcher, les États-Unis de M. Reagan, la France en mars 1986, plus timidement, ont emprunté ce chemin, celui de la nouvelle richesse des nations. Mais ce mouvement est d’ampleur beaucoup plus large. Il touche aussi une grande partie du tiers monde. Dans ces pays, une nouvelle génération politique est en train de rompre avec les mirages du socialisme, qui a apporté la bureaucratie, la pénurie et la contrainte, là où il promettait l’égalité, l’abondance et la liberté. Plus étonnant encore : la vague libérale atteint les pays du camp socialiste. Les impasses du système sont si graves que ces pays s’efforcent aujourd’hui de résoudre la quadrature du cercle : comment concilier les avantages de l’économie de marché avec la collectivisation des moyens de production, les dogmes du socialisme, et les intérêts de la nomenklatura ? Mais la bataille idéologique, pour le socialisme, est déjà perdue.

  En France aussi, le socialisme a perdu la bataille idéologique. Plus question, comme en 1981, de « rupture avec le capitalisme ». Plus question, aujourd’hui, de nationaliser, d’augmenter les impôts (sauf l’I.G.F.), de relancer la consommation par l’augmentation des salaires. Dans la mesure où le libéralisme devenait l’horizon incontournable de toute politique économique, le plus petit commun dénominateur de la droite et de la gauche (à l’exception du P.C.), la droite devait maintenir son identité en approfondissant son libéralisme, par un surcroît d’imagination et de courage. La droite gouvernementale a malheureusement choisi la pause, en décembre 1986, renoué avec ses réflexes dirigistes et ses tentations social-démocrates. On a pu entendre dire, à droite, que le libéralisme était dépassé – comme si on l’avait jamais atteint ! Comme si en deux ans nous avions pu parcourir le même chemin que Ronald Reagan en huit ans, et Mme Thatcher en dix ans ! La droite française, peut-être trop marquée par l' »énarchie », n’a pas encore achevé sa mutation idéologique. Cela explique, en partie, sa défaite : pour faire une politique social-démocrate, il est plus logique de faire appel à des sociaux-démocrates ; les Français ne s’y sont pas trompés.

  La soft-idéologie, qui sert de prêt-à-penser à une bonne partie de la classe politique et de la classe médiatique, n’est que le masque de l’immobilisme, la légitimation idéologique de la tyrannie du statu quo, du maintien des avantages acquis par les corporations et les lobbies de toute nature : la Sainte-Alliance d’André Bergeron et de Harlem Désir. La droite doit s’inspirer des valeurs libérales, non seulement parce que le libéralisme est une garantie de liberté et de prospérité, mais aussi parce qu’il est la condition d’une société plus juste, plus mobile, et plus dynamique, où les talents sont mieux utilisés, les efforts mieux rémunérés, où les rentes de situation engendrées par le marché politique sont constamment remises en question. Mais ce libéralisme doit s’enraciner dans les valeurs nationales.


Des valeurs nationales

Pourquoi cette synthèse est-elle nécessaire ?


  1. Pour des raisons de stratégie politique, parce que le libéralisme s’adresse davantage à la raison qu’au cœur : c’est une doctrine d’une logique rigoureuse, ce qui fait son attrait intellectuel, sa force, mais aussi sa faiblesse. Car la politique ne s’adresse pas seulement à la raison. La dernière élection présidentielle a bien montré que les bases sociologiques de l’ancienne majorité s’étaient dangereusement réduites à un électorat constitué de professions libérales, de chefs d’entreprises et de cadres supérieurs, qui sont les plus directement sensibles au discours libéral, mais qui ne font pas une majorité, qui ne suffisent pas à donner une assise populaire.

  2. Pour des raisons idéologiques, qui tiennent aux fondements et aux limites du libéralisme.

  Le libéralisme est d’abord une conception de l’économie et du droit. Ce n’est pas une clé universelle, une nouvelle scolastique qui permettrait d’élaborer une politique sur des sujets très sensibles, aux yeux de l’opinion, comme la sécurité, la drogue ou l’immigration.

  Certes, on pourrait concevoir un libéralisme utopique, intellectuellement séduisant, qui appliquerait les critères de l’individualisme méthodologique à ces problèmes, comme l’ont fait les libertariens américains. Mais ce serait tomber, d’une certaine façon, dans l’illusion constructiviste que dénonce le Pr. Friedrich Hayek. Celui-ci montre, en effet, que les normes et les valeurs d’une culture donnée, transmises par la tradition, ont été sélectionnées parce qu’elles sont apparues bénéfiques. Remettre la fonction de sécurité à des agences privées, libéraliser l’usage de la drogue, effacer la distinction entre étranger et citoyen, supprimer l’obligation du mariage civil pour que l’on soit déclaré marié, supprimer l’interdiction de la polygamie, ce sont des mesures qui sont proposées avec beaucoup de talent par des théoriciens libéraux, mais qui ne sont pas conformes aux normes et aux traditions sélectionnées par notre culture.

  D’autant plus que le libéralisme est lui-même enraciné dans une culture. Bien sûr, l’individualisme méthodologique peut s’appliquer à d’autres cultures. Mais on ne peut oublier que le libéralisme puise sa source dans une certaine idée de l’homme, née en Grèce, portée par l’élan du christianisme, puis par la dynamique de la Renaissance, et enfin consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à l’aube de la Révolution française. Et contrairement à l’homme de la nature, selon Rousseau, l’individu tel que le libéralisme le conçoit fait partie d’emblée, par nature, d’une société. Les hommes naissent associés par les liens de la famille, de la langue, des mœurs, des traditions ; et ils font partie d’une nation ; une nation qui est le creuset de ces traditions et de cette culture communes. Le grand théoricien libéral Adam Smith était aussi un patriote, qui disait : « Nous n’aimons pas notre pays comme une partie de l’humanité tout entière ; nous l’aimons pour lui-même, indépendamment de toute autre considération. »


  Enfin, le libéralisme, pour s’affirmer, suppose davantage que lui-même. Comme la démocratie, selon Montesquieu, le libéralisme implique la vertu, au sens romain. « La vertu, disait Renan, est d’autant plus nécessaire que l’État est moins fort. » C’est un point où la pensée libérale rejoint la pensée traditionaliste. Le théologien catholique Michael Novak, s’interrogeant sur les valeurs de l’économie de marché, porte son enquête sur la « richesse spirituelle des nations ». Il écrit : « Le capitalisme démocratique n’est pas seulement la libre entreprise. Il ne peut prospérer sans une culture morale qui nourrit les vertus et les valeurs, gages de son existence. » – « Pour être créateur, pour s’aventurer dans de nouveaux domaines, pour expérimenter, pour être pionnier, il faut être prêt à perdre ce que l’on possède, à remplacer la sécurité par l’insécurité. De plus, les contrats économiques et les décisions de dirigeants de sociétés impliquent une certaine confiance de personne à personne. Ainsi, l’intérêt personnel rationnel, à lui seul, n’épuise pas la série d’attitudes morales nécessaires au dynamisme économique. Précisément parce qu’il ne débouche pas toujours sur des solutions morales, des valeurs, religieuses ou autres, sont indispensables au capitalisme démocratique. »

  La liberté est indissolublement liée à l’enracinement :
– parce que l’homme est un être ouvert au monde, qui ne peut s’épanouir qu’appuyé sur un système de règles sélectionnées par l’évolution culturelle ;
– parce que les processus totalitaires utilisent toujours les déracinements comme une étape de la massification : que ce soit en Russie dans les années trente, pendant la Révolution culturelle chinoise, dans le Cambodge des années soixante-dix ou l’Ethiopie des années quatre-vingt, la collectivisation des biens suppose toujours la déportation des personnes. Les systèmes totalitaires, fascisme ou communisme, sont nés du déracinement engendré par la guerre et par la révolution industrielle.

  Les deux grandes forces montantes, aujourd’hui, dans le monde, sont la liberté et l’enracinement : la liberté, qui transforme le paysage économique, l’enracinement, qui se manifeste dans une revendication identitaire. Ce sont les deux grandes forces à l’œuvre dans l’empire soviétique, à travers le mouvement des nationalités et à travers les réformes économiques que le régime essaie tant bien que mal d’appliquer.

  Ce sont aussi les deux systèmes de valeurs qui ont permis le succès de M. Reagan et de Mme Thatcher.

– L’originalité de l’expérience Reagan, c’est moins d’avoir approfondi l’expérience de déréglementation entreprise par le président Carter que d’avoir rendu à son pays la fierté, d’avoir su intégrer dans un même raisonnement la morale, le social et l’économie : America is back (l’Amérique est de retour). Le message du président Reagan sur l’état de l’Union, en 1985, exprime bien la synthèse libérale et nationale, la liaison du social conservatism avec l’economic conservatism : « Nous sommes convaincus, dit-il, que la foi et la liberté doivent être les étoiles qui nous guident, car elles nous montrent la vérité, elles nous donnent courage et espoir, et elles nous confèrent plus de sagesse que par le passé. Ces projets n’ont pas pris naissance à Washington, mais au sein des familles, des communautés, du monde du travail et des groupes bénévoles qui, tous ensemble, donnent libre cours à l’esprit invincible d’une nation grande et unie sous le regard de Dieu. »

– L’originalité de l’expérience Thatcher, ce n’est pas seulement d’avoir donné à la Grande-Bretagne une cure de rajeunissement libéral. C’est aussi d’avoir réveillé la fierté du vieux lion britannique, qu’on disait si fatigué, d’avoir montré sa fermeté dans la politique internationale, avec la guerre des Malouines, et vis-à-vis du terrorisme, irlandais ou islamique.

  En matière d’immigration, le libéralisme américain et britannique n’est pas apparu incompatible avec des politiques sensiblement plus rigoureuses que la nôtre :

– Aux États-Unis, la récente loi sur les immigrants vise à la fois à endiguer le flot des nouveaux arrivants et à assimiler les anciens. Il ne s’agit pas d’une loi laxiste, contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, puisque les immigrants clandestins, pour régulariser leur situation, doivent passer des tests d’anglais et d’instruction civique afin d’obtenir le statut de résident permanent, qui est une étape avant la citoyenneté. Et le nouveau citoyen doit prêter un serment solennel de fidélité à la Constitution et aux lois américaines.

– En Grande-Bretagne, la loi sur l’immigration de 1983 est beaucoup plus exigeante que la précédente : auparavant, toute personne née sur le sol britannique pouvait acquérir la nationalité ; désormais, l’accès à la nationalité est soumis à des conditions plus restrictives, et elle peut être refusée par les pouvoirs publics.

  Ces deux pays ont renoué avec la croissance, créé des millions d’emplois ; ils ont aussi retrouvé leur fierté et s’efforcent de préserver leur identité.


Le libéralisme doit être national ; il doit aussi être démocratique

  La synthèse entre libéralisme et démocratie ne va pas de soi. Un certain nombre de libéraux, comme le Pr. Hayek, craignent l’empiétement de la souveraineté illimitée sur la sphère des libertés.


  Et pourtant, la démocratie – et notamment la démocratie directe – est un des seuls moyens de briser le triangle de fer de la tyrannie du statu quo. Ce « triangle de fer », décrit par le Pr. Milton Friedman, relie les trois sommets tyranniques que sont les bénéficiaires du marché politique, la classe politique, et la bureaucratie. C’est un moyen de contourner la « nouvelle classe » qui prospère par la croissance de l’État, et qui ignore ou méprise les revendications identitaires. C’est un moyen de combler le fossé grandissant entre les peuples et les pseudo-élites dirigeantes, de contraindre celles-ci à tenir compte des valeurs nationales. Car le peuple est davantage soucieux des valeurs nationales, comme l’historien républicain Jules Michelet l’écrivait, dans Le Peuple : « Il semble, disait-il, qu’au point de vue du sentiment national, qui fait qu’un homme étend sa vie de toute la grande vie de la France, plus on monte vers les classes supérieures, moins on est vivant. » Et il ajoutait : « La nationalité, c’est tout comme en géologie, la chaleur est en bas. Descendez, vous trouverez qu’elle augmente. »

  Aux États-Unis, la révolution libérale a été rendue possible par les procédures de la démocratie directe. Le référendum d’initiative populaire a permis à la révolte antifiscale de trouver une issue en Californie, grâce à la proposition 13. Et ce mouvement a fait tache d’huile, ouvrant la voie à la révolution libérale lancée par le président Reagan, et qui gagne aujourd’hui le monde entier, car on ne peut pas attirer les hommes, les capitaux et les entreprises par une fiscalité écrasante.

  La synthèse libérale, nationale et démocratique doit permettre à la droite de retrouver une assise populaire, comme le gaullisme avait su le faire. Cette synthèse doit inspirer l’union qui ne manquera pas de se manifester à la base, sur le terrain, non seulement dans les élections, mais sur des thèmes précis, qui se révéleront à mesure que la politique socialiste sera jalonnée d’échecs et fera lever les mécontentements au sein du peuple. Alors, il faudra être présents. Alors, il faudra être unis, mobilisés.

  Cette synthèse que nous appelons de nos vœux renoue avec les origines mêmes de la France moderne, avec ce grand mouvement qui a créé les nations européennes, au siècle dernier. Or, historiquement, au début du XIXe siècle, le mouvement des nationalités s’est inscrit dans une perspective libérale. La France y a joué un rôle d’avant-garde. Et cette dynamique, qui a détruit les empires pour faire surgir les nations, est en train de miner aujourd’hui l’empire soviétique. Cette dynamique oriente le destin de l’Europe et de l’Occident tout entier. La droite française doit oublier les querelles partisanes et le choc subalterne des ambitions pour ne pas manquer ce nouveau rendez-vous avec l’histoire. L’union de la droite, c’est le succès de la France. Nous allons y travailler, avec vous, je l’espère.