Rencontres annuelles du Carrefour de l’Horloge du 25 novembre 2023
« L’inclusion, nouveau mantra d’un monde sans frontière »
Introduction de Pierre Millan,
secrétaire général du Carrefour de l’Horloge
L’inclusion, avatar du refus de l’exclusion,
nouvelle expression de l’utopie égalitaire
Je voudrais d’abord que nous remerciions Henry de Lesquen d’avoir eu l’idée de ce colloque et de l’avoir entièrement conçu.
Aimez-vous la campagne ? ses petits villages fleuris, ses champs, ses églises, ses bals populaires ? Crépol est une petite bourgade d’environ 500 âmes, proche d’une cité qui accueille des « migrants », dans le cadre, comme le veut la politique d’inclusion chère à nos gouvernants, de la répartition sur l’ensemble du territoire des populations « arrivantes ». Vous connaissez les faits. L’un des jeunes gens du village en est mort, victime innocente de la furie imbécile de « jeunes » qui voulaient « tuer des blancs ». Bien sûr, pour le gouvernement et la classe médiatique, c’était un « fait divers ». Minute de silence à l’assemblée nationale, très tardive, pas de marche dans les rues de Paris, marche d’ailleurs interdite à Lyon, pas d’émotion médiatisée comme par exemple pour Nahel. Non, et surtout pas d’amalgame ! Le premier ministre a condamné toute « récupération politique ». Circulez, citoyens, il n’y a rien à voir, sauf à craindre la montée de « l’ultra-droite ».
Cette horrible histoire illustre la situation que nous vivons au quotidien, ce lamentable échec de ce que l’on appelle la société ouverte, inclusive, et met en évidence l’impossible « vivre-ensemble » de « deux France inconciliables » selon l’expression de M. Rioufol sur une antenne amie. Elle suffit à illustrer les incohérences et les stupidités de cette monstrueuse lubie politique appelée « l’inclusion » qui est le thème de ce colloque.
Au Carrefour de l’Horloge, nous pensons que l’idée doit précéder la parole et que la parole doit précéder l’action. Cet ordre est nécessaire pour toute politique cohérente, réaliste et efficace. Or, dans notre société d’aujourd’hui, il semble bien que nous soyons les seuls : c’est la parole qui prime, dans cet univers de réseaux sociaux, de « gazouillis », de suiveurs, de face-de-bouc et autres jouets. À défaut de penser, il faut dire, à défaut de faire, il faut parler. À la pensée, on préfère le slogan qui rend les choses si simples et qui donne à tous l‘impression d’être « égal » (mot suprême) en intelligence à tous les autres. Ainsi, les slogans dominent le monde. Qui ne se souvient pas de :
– « Des pâtes, oui, mais des Panzani ! »
Qui a oublié :
– « La force tranquille » (Mitterrand)
– « Le changement, c’est maintenant » (Hollande)
– « La France forte » (Sarkozy)
– « Remettre la France en ordre » (Macron) ?
Les slogans, qu’ils soient commerciaux ou politiques, sont en quelque sorte les mantras de nos sociétés contemporaines. Mais qu’est-ce donc qu’un mantra ? Vous vous souvenez peut-être d’avoir vu jadis déambuler des jeunes gens habillés en sari, cheveux longs, psalmodiant « hare Krishna » : c’était un mantra. Il s’agit d’un mot sanskrit qui signifie « instrument de la pensée ». Dans l’hindouisme ou le bouddhisme, c’est une syllabe ou une expression sacrée dotée d’un pouvoir spirituel. Dans « mantra », « man » désigne la pensée, « tra » caractérise un instrument. Un mantra est donc un instrument de l’esprit qui vous transporte au-delà de l’esprit jusqu’à sa source, qui est la conscience. Un mantra est généralement enraciné dans des écrits spirituels ou religieux et ne peut être changé ou altéré. Voici quelques exemples concrets de mantras utilisés en méditation :
« Je suis calme. »
« Je suis en paix. »
« Je vaincs mes peurs. »
On pourrait facilement y ajouter : « Je veux inclure tous les hommes dans un monde sans frontière. » C’est bien rythmé, cela peut se psalmodier. Il est vrai que, pour la petite coterie qui gouverne, qui inculque, qui désinforme les millions de Français en quête de vérité, l’ennemi principal, c’est la différence, la discrimination, en un mot la frontière. La frontière physique, bien sûr, celle qui devrait fermer nos portes aux indésirables de toute nature, mais aussi la frontière morale, qui sépare, qui catégorise, qui interdit, qui définit, qui reconnaît ou pas les siens, en un mot, qui n’hésite pas à exclure. Voilà, le mot diabolique est prononcé : « exclure ».
Il y a environ trente-cinq ans, la pensée unique s’est fixée une ligne de conduite, qu’elle a psalmodiée comme un mantra : « lutter contre l’exclusion, source de tous les maux de la société, obstacle au progrès et au vivre-ensemble harmonieux ». Le gourou de ce mantra d’alors était René Lenoir, inspecteur des finances au grand cœur, qui publia en 1974 Un français sur dix : les exclus. Il a bien réussi son entreprise dans le discours. Le refus de l’exclusion, virus intellectuel particulièrement infectieux, a rapidement contaminé la classe politique, d’abord à gauche. François Mitterrand demandait par exemple que les immigrés illégaux qui vivaient sur le territoire français ne fussent plus « expulsables » et que, s’ils étaient délinquants, ils ne subissent pas une « exclusion supplémentaire ». Puis, traitant des autres formes d’exclusion dans la société française, il évoquait le chômage, l’éducation, le logement, la maladie, sans oublier la pauvreté.
Très vite, le virus du refus de l’exclusion s’est répandu, a débordé la gauche et envenimé les autres partis politiques, au point qu’en mai 1994 Philippe Séguin fixait, à la convention du RPR, comme priorité à la politique française, « l’exclusion zéro », déclarant : « Au peuple de dire s’il est prêt à s’engager dans le combat contre l’exclusion ». Ce fut à qui, dès lors, combattrait le plus l’exclusion dans les mots, jusque dans la préparation du XIe plan, où elle apparut comme une priorité !
L’utopie égalitaire, ce vieux démon de notre société française, avait trouvé son cheval de Troie. Toute exclusion était un crime contre l’égalité et à ce titre condamnable. L’État, les collectivités, les religions, les philosophes, tous devaient refuser l’exclusion. Le journaliste et écrivain Jean-François Revel, écœuré, avait, dans la revue Le Point du 16 avril 1994, dénoncé « les obsédés de l’exclusion, (qui) se mettent à voir de l’hitlérisme partout » et déplorait « la croisade contre l’exclusion, ce concept fourre-tout, asile de la non-pensée ».
En février 1990, il y a donc aujourd’hui plus de trente ans, le Club de l’Horloge, qui est devenu le Carrefour de l’Horloge, décidait de faire justice de cette hystérie mentale et verbale et réunissait des universitaires et des penseurs politiques dans un colloque consacré à « l’exclusion, nouvelle expression de l’utopie égalitaire », dont les actes ont été publiés. Ce colloque a mis en lumière les temples principaux où était rendu ce culte toxique. Feu Yvan Blot a traité de la propagande – si vous préférez, de l’information – ; Michl Geoffroy, de la morale ; feu Bertrand Lemennicier, des nécessaires discriminations ; Michel Leroy, de la religion ; votre serviteur, de la sécurité ; Charles Béchet, de l’économie ; et Henry de Lesquen de la grande fresque des inégalités. Toutes les facettes de la vie sociale ont donc été abordées. Nous y avons mis en évidence que le mantra du refus de l’exclusion n’était qu’une version de l’utopie égalitaire, laquelle est l’invariant absolu de la gauche, qu’elle soit socialiste ou cosmopolite. Lisez notre livre, vous y trouverez le « prequel » (puisque nous parlons d’avatar, autant y aller carrément) de cette prison de la pensée dans laquelle nous sommes enfermés. Aujourd’hui, avec le recul, force est de constater que ce mantra n’a pas vraiment eu d’effet concret pour le bon peuple.
Alain Fourest, dans le blogue Le club de Médiapart, donc peu suspect de droitisme excessif, faisait le 8 décembre 2015 un constat plutôt pessimiste de cette belle politique qui devait nous sauver de l’abominable exclusion. Je cite quelques extraits :
« Au début des années 80, avec l’augmentation du chômage et notamment du chômage de longue durée, la notion d’exclusion désigne une nouvelle pauvreté que les politiques sociales érigées après la Seconde Guerre mondiale ne parviennent pas à juguler… L’exclusion, étant à la fois un processus et un état, nécessite un traitement global et permanent de la pauvreté et de la précarité économique et sociale. »
Il rappelait les mesures prises : le RSA (revenu de solidarité active), le DALO (droit au logement opposable) et la CMU (couverture maladie universelle). Mais il faisait le constat, je cite encore, d’une réalité toujours plus inquiétante à ses yeux :
« Pour tenter de comprendre ce qui apparaît comme un échec des politiques publiques, écrit-il, (ces politiques) ne prennent pas toujours en compte la complexité du processus d’exclusion, qui recouvre certes une insuffisance des ressources, mais aussi et peut-être surtout de la part des exclus économiques un sentiment de rejet, de mise à l’écart.
« Au fil des années, de crise en crise, poursuit-il, de gouvernement en gouvernement, de ministre en ministre, cette politique est trop souvent devenue une suite de vœux pieux et de programmes technocratiques décidés d’en haut sans réelle volonté politique et bientôt sans projet. Pauvreté, emploi, scolarisation, santé, sécurité publique et tranquillité, tous ces critères passés en revue font apparaître un décalage persistant et parfois croissant entre les quartiers classés zones urbaines sensibles et le reste de la ville. » (Il parlait de Marseille, mais cela valait bien pour les autres villes.)
Il donnait le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, de l’écart de revenus moyen, de l’inexpérience des enseignants affectés dans ces zones, du sentiment d’insécurité des habitants, etc.
À ce constat statistique, j’ajoute que, dans la pratique de la vie commune, cette idée du refus de l’exclusion n’a pas eu grand succès. Par exemple, cela n’a pas marché chez les vendeurs et trafiquants de drogue, qui n’ont pas voulu refuser d’exclure les policiers de leurs territoires. Pas marché non plus, le refus d’exclure les jeunes femmes ou les jeunes parents qui accompagnent leurs enfants à l’école de l’attaque au couteau. Cela n’a pas non plus marché chez nos politiciens, qui ont autorisé d’exclure les enfants à naître du ventre de leur mère, mais refusé d’exclure les immigrés illégaux de notre territoire !
Malgré les exhortations, les discours enflammés, les promesses, nous n’avons pas vu, dans la vie courante, le refus de l’exclusion faire florès, sauf chez les professionnels de la compassion et les politiciens avides de réélection, quoique ce thème n’ait pas vraiment été porteur dans les campagnes électorales, cela se saurait !
Il y a cependant deux exemples du plein succès du refus de l’exclusion. La seule différence est que ce n’est pas le mantra qui a agi sur les consciences, mais le pouvoir qui l’a imposé aux bons Français. Je pense à l’institution judiciaire, qui a refusé et continue à refuser d’exclure les criminels et délinquants de la société, malgré le travail harassant de la police. Je pense au pouvoir exécutif, qui refuse obstinément d’exclure les hordes de milliers d’immigrés illégaux qui déferlent sur notre sol et qui veut même les régulariser par la loi ! Ces deux exceptions – notoires, il est vrai – exceptées, le mantra du refus de l’exclusion n’a pas vraiment modifié les consciences, ni les comportements.
Pourquoi cet échec, malgré les plans, les politiques publiques, les rapports, les comités, les commissions, que sais-je encore ? Comme nous l’avons démontré dans notre ouvrage, d’abord parce que le mythe du refus de l’exclusion est absurde. Toute liberté implique un choix et tout choix, par définition, exclut les situations qui ne sont pas choisies. Lorsqu’un homme et une femme s’unissent par le mariage, par exemple, ils jurent d’exclure toute autre personne de leur relation conjugale. Idem pour les choses (toute proportion gardée pour ces deux exemples). Lorsque l’on choisit une cravate, pour ceux qui en portent encore, on exclut celles que l’on n’a pas choisies.
Henry de Lesquen écrivait, dans le chapitre final du livre : « La loi de l’exclusion régit le monde du vivant. Depuis Darwin, on sait que l’évolution est le fruit de la sélection naturelle, les formes les plus aptes finissant par éliminer les autres. L’homo sapiens ne peut renier ses origines, les êtres vivants dont il est issu ont marché sur les cadavres des espèces disparues. » Ce qui est vrai dans le domaine biologique l’est aussi dans le domaine économique. Charles Béchet a démontré dans notre ouvrage que les êtres vivants étaient engagés dans une compétition pour les ressources, qui sont rares et qui ne le seraient pas s’il y avait une abondance absolue et si nous vivions dans un âge d’or. En ce qui concerne l’espèce humaine en particulier, il écrivait : « C’est la rareté des ressources, comparée aux besoins, qui n’ont pas de limites, qui est le fondement de l’économie. Et cela se vérifie quel que soit le système, capitaliste ou collectiviste. La propriété ne peut être évacuée, car, en consommant un bien, on en exclut les autres. En termes concrets, lorsqu’un homme mange une pomme, il se l’approprie définitivement et exclut tout autre homme de la consommation de cette pomme ! » Quel que soit le régime politique, toute communauté, que ce soit une patrie, une famille, une association, un cercle, un parti, repose sur la délimitation d’un dedans et d’un dehors, et suppose une frontière entre celui qui est admis et celui qui ne l’est pas.
Absurde, ce mythe est aussi confus. Il s’attaque à l’ordre social universel. L’ordre social de tout pays et de toute obédience politique repose sur une dialectique de l’inclusion et de l’exclusion. Les grandes institutions comme la nation, la famille, le droit en général, définissent des exclusions légitimes, tout en condamnant d’autres formes d’exclusion qui ne le sont pas. On doit préférer, je l’ai déjà dit, sa femme et ses enfants aux autres femmes et aux autres enfants, on doit – aujourd’hui, il faudrait dire : on devrait – préférer ses concitoyens aux étrangers. La religion, quelle qu’elle soit, relie certains hommes les uns aux autres et ce lien privilégié devrait en exclure les autres hommes.
Une société sans exclusion aucune est inconcevable. Ce serait une société sans droits et sans ordre. Puisque la nation a l’exclusivité de son territoire, il est conforme à la justice qu’elle en exclue ceux qu’elle regarde comme des intrus. Mais, justement, il n’y a plus d’intrus dans le monde de l’inclusion !
Non seulement ce mythe du refus de l’exclusion n’atteint pas son objectif, mais au contraire il se retourne contre ses thuriféraires. Henry de Lesquen – encore lui – l’avait clairement démontré lors de notre séminaire politique « Au secours, la gauche revient ! », en 1987, lorsqu’il déclarait : « Les socialistes parlent hypocritement d’une logique de l’exclusion, eux qui dressent les Français les uns contre les autres au nom de la réduction des inégalités. Ils n’ont pas de leçon à donner sur ce point : la doctrine de la lutte des classes ne voue-t-elle pas à l’exclusion tous ceux, riches ou pauvres, qui seraient du côté de la bourgeoisie ? »
Une dernière raison du relatif échec du mantra du refus de l’exclusion se trouve dans les mœurs du temps présent. Il y a, dans le terme même du refus de l’exclusion, quelque chose qui ne « colle pas » avec le « vivre-ensemble », avec le bisounours, avec le « vous n’aurez pas ma haine ». Refuser l’exclusion, c’est en fait une attitude sociale négative, les deux mots : « refus » et « exclusion » étant, en quelque sorte toxiques, car ils impliquent une action de rejet, qui peut aller jusqu’au conflit. Or, notre société molle refuse toute attitude conflictuelle, tout affrontement direct, elle veut du convivial, du gentil. Alors, les spécialistes de la communication de masse ont trouvé, justement, un avatar au refus de l’exclusion.
Beaucoup d’entre vous savent ce qu’est un avatar. Vous avez sans doute à l’esprit ce film de James Cameron, Avatar. Un ancien combattant du futur, infirme, arrive sur une planète paradisiaque où vivent de magnifiques hominidés bleus. Par le miracle de la science-fiction, son esprit peut entrer dans le corps de l’un de ces athlètes, profiter de ses capacités physiques. L’hominidé bleu devient son « avatar ». S’ensuivent des aventures à l’américaine où le gentil Peuple Bleu lutte, avec l’avatar bleu du gentil infirme blanc, contre les envahisseurs blancs spéculateurs. C’est classique, c’est américain, cela fait des millions de dollars.
Plus sérieusement, le terme avatar trouve son origine en Inde (du sanskrit avat?ra, « descente » ; de ava-tr, « descendre ») et peut être traduit par « incarnation divine ». Dans l’hindouisme, un avatar est une incarnation (sous forme d’animaux, d’humains, etc.) d’un dieu, Vichnu ou chiva, venu sur terre pour sauver les mondes du désordre cosmique engendré par les ennemis des dieux (les démons). Le bouddhisme tibétain utilise également ce terme. Par exemple, le dalaï-lama, représentant de l’école gelugpa, est considéré comme un avatar d’Avalokiteshvara. Plus proche de nous et plus concrètement, un avatar est un personnage représentant un utilisateur sur Internet et dans les jeux vidéo. Dans le langage courant, il désigne alors le l’image accolée au pseudonyme sur les sites Internet et les réseaux sociaux.
Pratiquant le même procédé, les génies de la communication ne vont plus parler du refus de l’exclusion, mais de l’acceptation active de l’inclusion, qui devient l’avatar du refus de l’exclusion. Il faut que chaque citoyen devienne un pratiquant de la nouvelle religion sociale où l’inclusion est le Bien, alors que la pratique de l’exclusion devient un péché, car elle est le MAL. Comme pour le refus de l’exclusion, ce nouveau mantra a un grand prophète. Il s’appelle Thierry Tuot, conseiller d’État, chargé par le premier ministre de l’époque d’une mission visant à refonder la politique d’intégration. En 2013, il publia un rapport sur la politique d’intégration de la France. Parmi ses propositions, ce rapport préconisait par exemple de donner aux rues de nouveaux noms qui fussent « en écho avec l’histoire des migrations », de régulariser automatiquement les immigrés illégaux qui seraient en mesure de prouver qu’ils vivaient en France depuis plus de cinq ans et de naturaliser tous les immigrés ayant suivi une scolarité en France. Devant la polémique engendrée par ces propositions, Thierry Tuot se défendit : sa contribution se limitait, selon lui, au rapport intitulé « La grande nation : pour une société inclusive ». Et voilà, le grand mot est lâché : la société inclusive, avatar du refus de l’exclusion. Et depuis, comme dans Un bonheur insoutenable d’Ira Levin, ce slogan nous est répété par tous les moyens de la propagande moderne. Fini de lutter contre l’exclusion, il faut travailler à l’inclusion.
Mais d’abord, de quoi s’agit-il exactement ? Le mot vient du latin inclusio, qui signifie paradoxalement « emprisonnement ». Le blogue La toupie définit ainsi l’inclusion sociale :
« La notion d’inclusion sociale a été utilisée par le sociologue allemand Niklas Luhmann pour caractériser les rapports entre les individus et les systèmes sociaux : l’inclusion sociale est considérée comme le contraire de l’exclusion sociale. Elle concerne les secteurs économiques, sociaux, culturels et politiques de la société. L’inclusion sociale consiste à faire en sorte que tous les enfants et adultes aient les moyens de participer en tant que membres valorisés, respectés et contribuant à leur communauté et à la société. »
C’est vrai que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Quelle est la différence entre inclusion et intégration ? L’intégration propose à ceux qui ne sont pas dans la “norme” de venir faire partie du groupe à la condition de se rapprocher au maximum de ce qui constitue la “norme”. Un modèle inclusif considère au contraire tout le monde comme normal. C’est donc à l’environnement de s’adapter et de se rendre accessible à tous. La logique d’inclusion implique une responsabilité collective. Et c’est à chacun d’œuvrer pour une société plus inclusive.
Si vous avez compris ce dogme, vous avez tout compris de la politique actuelle. Vous devez considérer tout le monde comme ÉGAL et vous devez agir pour qu’il en soit ainsi. Dans la pratique, au quotidien, je le répète, c’est à la société de s’adapter à toutes les différences et non plus aux individus différents de s’adapter à la société. Ainsi, la moindre « rupture d’égalité ressentie » est vécue comme une injustice impardonnable et un calvaire. Pierre Antoine Plaquevent, qui sera à cette tribune, démontera les mécanismes et vous montrera les joies de la « société ouverte », je n’insiste donc pas.
Pourtant si, j’insiste. Au risque de me faire porter au bûcher, je voudrais tout de même citer le cas de l’inclusion des femmes dans le monde machiste et sexiste ! Inutile de vous citer des exemples, il y en a à foison. C’est une des vérités essentielles du catéchisme de l’inclusion. Bien sûr, loin de moi l’intention de critiquer les immenses progrès qui ont été faits pour donner aux femmes la place qu’elles méritent dans le monde social. Finie, depuis longtemps, la trilogie bien connue des Allemands, les trois « K » : Kirche, Küche, Kindern (église, cuisine, enfants). Mais aujourd’hui l’égalité et la parité sont devenues les armes redoutables de l’inclusion féminine. Malheur à qui s’aventurerait à refuser un emploi, une fonction, un « droit » ou de pratiquer une quelconque discrimination à l’égard de quelqu’un du noble sexe ! Vous avez suffisamment d’exemples à cet égard pour que je n’utilise pas mon temps de parole, déjà bien entamé. Mais je salue cette conquête majeure du féminisme, que l’on ne trouve d’ailleurs qu’en Occident, qui est d’avoir institué la chasse au mâle blanc hétérosexuel, dont la peau vaut si cher sur les marchés médiatiques !
Le catéchisme de l’inclusion se décline dans le traitement de l’immigration, je n’insiste pas, François Baltard va vous en parler.
Il se décline dans l’économie et l’entreprise. Je ne vais pas approfondir, car Olivier Méresse va traiter ce sujet. Mais je ne vais pas me priver de citer quelques perles que j’ai trouvées dans « Le sommet (sic) de l’inclusion économique » du 29 novembre 2021 :
– Par exemple, le revenu de base, sous condition de ressources, c’est-à-dire attribuer à tous ceux qui en ont « besoin » un salaire sans l’obligation de travailler en contrepartie, soit dissocier le revenu de la notion de travail. Avec les aides sociales déjà existantes, ce projet risquerait d’aggraver le dilemme dans lequel se trouvent déjà de nombreux chômeurs, qui se demandent si, compte tenu des soutiens sociaux qu’ils reçoivent, la reprise du travail ne se ferait pas à perte.
– Par exemple, « dépasser le CV [curriculum vitæ] pour inclure », comme l’expliquait le ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, Élisabeth Borne, au même « sommet » du 29 novembre 2021 : pour le ministre d’alors, la France ne pouvait pas se permettre de laisser une partie de sa population en dehors de l’activité économique, d’autant que les pénuries de main-d’œuvre étaient nombreuses. Il fallait donc dépasser le CV pour inclure. On avait essayé le CV anonyme, mais, manifestement, cela n’avait pas suffi, alors on supprimait le CV ! À noter toutefois quelques resserves. Selon certains, le recrutement sans CV n’est pas possible pour certains métiers qui nécessitent des techniques particulières. Si vous prenez Eurostar pour passer sous la Manche ou un avion pour aller en Amérique, demandez auparavant qui est aux commandes !
– Par exemple, toujours au cours de ce « sommet » : rendre son entreprise inclusive au quotidien.
– À cet effet, développer un mentorat interne pour accompagner le nouveau salarié dans son acclimatation à l’entreprise tout en créant très tôt un lien social entre les salariés.
– Et, ma préférée, créer un indice de diversité de l’entreprise permettant de constater les efforts faits et à faire. Pour l’entreprise, mesurer et se fixer des objectifs lui permettra de progresser en la matière. Vous avez bien compris : il s’agit de vérifier, par exemple, que le taux de mâles blancs blonds aux yeux bleus est bien suffisant dans les effectifs et, s’il ne l’est pas, de corriger cette insuffisance par des embauches sans rapport avec la compétence.
– Par exemple, dans l’écologie. Là, j’ai honte de vous avouer que les articulations mentales de l’homme âgé que je suis ne m’ont pas permis de faire le grand écart entre la lutte pour le climat et l’inclusion. Adressez-vous au ministère des solidarités et de la santé, qui vous expliquera comment la convention citoyenne pour le climat va contribuer à l’inclusion active.
– Par exemple, dans la culture. Je ne voudrais pas clore cet inventaire, un peu à la Prévert, sans vous parler de ce que vous attendez sans doute : l’écriture inclusive, trouvaille démentielle d’esprits surchauffés, car trop bien nourris, trop bien soignés. Plutôt que de vous en détailler le contenu, je préfère vous donner l’exemple de ce que donnerait un couplet d’une chanson de Georges Brassens dans cette forme. J’ai choisi, au hasard bien sûr, « Le temps ne fait rien à l’affaire ». Voici ce que cela donne :
« Quand il-elle sont tous neuf.ve.s,
« qu’ils.elles sortent de l’œuf,
« du cocon, tou.te.s les jeunes morveux.euses
« prennent les vieux.vieilles mecs.nanas
« pour des c….ne.s. »
Plus sérieusement, cela me fait penser aux me’veilleux et aux inc’oyables. Après la révolution de 1789 et surtout après la Terreur qui s’ensuivit, les Incroyables et les Merveilleuses se sont signalés par la singularité et l’affectation de leurs manières. Ils commencèrent à utiliser une prononciation qui faisait disparaître le “r” aux oreilles habituées au roulement. Une légende dit que le “r” était tombé en disgrâce parce qu’il était la première lettre du mot Révolution. Les élégant-e-s manifestaient donc leur étonnement par des superlatifs affectés, tel “incroyable”, “merveilleux”, qui devenaient : « Ma pa’ole d’honneu’ ! C’est inc’oyable ! » (comme le gros pirate noir d’Astérix).Vous voyez, rien de nouveau sous le soleil !
Je vous invite maintenant à pénétrer dans le temple des grands initiés, l’inclusion politique, et dans la foi catholique. Comme je ne veux ni ne peux traiter de tous les thèmes de ce colloque, parce que je gâcherais votre plaisir, je me contenterai, là encore, de survoler les sujets que traiteront successivement Henry de Lesquen et Patrick Catélon. L’inclusion politique : le mieux est de citer celui qui sait mélanger les contraires et qui a inventé le terme de « patriotisme inclusif ».
Dans Le Figaro du 17 mars 2017, le candidat Macron écrivait ceci, à propos du « patriotisme inclusif » :
« Si les Français forment un peuple, ce n’est pas parce qu’ils partagent une identité figée et rabougrie : le fondement de la culture française, c’est une ouverture sans pareil. C’est pourquoi le thème même d’identité ne peut être associé à celui de culture française. L’identité promue par nos réactionnaires, c’est l’invariance, la sèche continuité. La France est plus qu’une somme de communautés. Elle est cette idée commune, ce projet partagé dans lequel chacun, d’où qu’il vienne, devrait pouvoir s’inscrire. »
Notez bien ce membre de phrase, je le répète : « cette idée commune, ce projet partagé dans lequel chacun, d’où qu’il vienne, devrait pouvoir s’inscrire ».
« Ne nous laissons pas dissuader par les aigris et les rétrogrades, regardons en face qui nous sommes, notre appartenance commune, c’est ainsi que nous pourrons faire entrer la France dans cette ère nouvelle. »
C’est ce que disait Régis Debray dans le même Figaro du 31 mars 2019, mais à l’inverse, quand il écrivait : « À force de vouloir accueillir toutes les identités, la France n’a plus d’identité », ou Mathieu Bock-Côté, grand connaisseur du Carrefour de l’Horloge par ailleurs, quand il écrivait dans le même journal du 4-5 mars 2019 : « C’est moins un patriotisme pénitentiel occupé à s’excuser d’avoir trop longtemps « exclu l’autre » qu’un patriotisme viscéralement attaché à la France et à son droit à la continuité historique que semble réclamer de mille manières le commun des mortels. Si la question nationale obsède à bon droit nos contemporains, c’est que la peur de devenir étranger chez soi est devenue palpable. On ne cesse de parler d’ouverture à l’autre, mais ne faudrait-il pas demander à l’autre de s’ouvrir à nous et d’embrasser la civilisation qu’il a décidé de rejoindre ? »
Et, de fait, l’inclusion en politique, nous en voyons tous les jours les signes concrets, comme d’abord la préférence étrangère, qui se traduit par :
– la souveraineté européenne plutôt que nationale ; le patriotisme exclut, l’européisme inclut.
– L’ouverture des espaces européens aux immigrants illégaux, qui ont, par nature, droit à l’inclusion.
– L’absence de résistance à la stratégie islamiste au nom de l’inclusion bienveillante, comme les deux exemples suivants le prouvent :
– En Suisse alémanique, la commune de Windisch doit accueillir un centre pour demandeurs d’asile. Pour ce faire, 49 locataires ont dû déménager !
– Le mardi 28 mars 2023, pour la première fois, la résidence officielle du premier ministre britannique et la Lancaster House, monument historique situé près du palais de Buckingham, ont été le théâtre d’un repas de rupture du jeûne (iftar pour les connaisseurs). L’appel à la prière pour la rupture du jeûne a retenti. À cette occasion mémorable, le président du parti conservateur, parlant de l’islam comme d’une religion de paix et de sécurité, a ajouté que le ramadan était entré dans la culture et la société britanniques.
J’ai, bien entendu, choisi ces exemples hors de notre beau pays.
Cela est conforme à l’idée d’inclusion. Il s’agit de faire en sorte que la collectivité s’adapte aux autres et non plus de demander aux autres de s’assimiler à la collectivité.
Sursum corda ! Élevons nos esprits et osons parler du paradis pour tous ou l’inclusion suprême de Georges-Marie Bergoglio, pape de son état, et de sa synodalité révolutionnaire, qui a pour but de macdoïser le paradis : venez comme vous êtes ! J’ai remarqué un article de Michel Janva, daté du1er août 2023 et publié dans le blogue Le salon beige, où il citait les propos du théologien suisse Martin Grichting, ancien vicaire général du diocèse de Coire. J’ai pensé qu’il valait mieux me référer à cette personnalité plutôt que de m’essayer à jouer le théologien que je ne suis pas. Le titre de l’article de Michel Janva était évocateur : « L’Église et l’inclusion, tous dans l’Église, au prix d’exclure Dieu ». En substance, ce théologien critiquait l’instrumentum laboris du Synode des évêques sur la synodalité, voulu par le pape régnant. Ce document émettait des critiques à l’égard de l’Église, laquelle refusait d’accueillir des personnes qui « ne se sentent pas acceptées » par elle, « comme les divorcés remariés, les personnes vivant dans des mariages polygames ou les personnes LGBTQ+ ». Pour ces réformateurs et leur chef, il aurait fallu que l’Église se penchât sur le cas de ces personnes qui se sentaient blessées par l’Église et mal accueillies par la communauté en raison de leurs « différences » et qu’elle trouvât les moyens de les reconnaître, de les accueillir, de ne pas les juger et de les rendre libres de poser des questions, bref, de les inclure dans la vie liturgique. Toujours pour le pape régnant et ses réformateurs (gare aux récalcitrants, soit dit en passant !), c’était l’Église elle-même la responsable du fait que ces personnes se sentaient « blessées », « mal accueillies » ou « exclues ». Mais que fait donc l’Église, se demandait cet excellent théologien ? Elle n’enseigne rien qu’elle ait inventé elle-même, mais elle proclame ce qu’elle a reçu de Dieu. Donc, si certaines personnes se sentent « blessées », « mal accueillies » ou « exclues » des contenus principaux de l’enseignement de l’Église sur la foi et la morale, alors elles se sentent « blessées », « mal accueillies » ou « exclues » par Dieu. Il prenait alors l’exemple de cette parole de l’Évangile, quand Jésus-Christ a dit : « Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attachât au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jetât à la mer. » (Marc 9, 42). Il était curieux, pour ce théologien, que les responsables du synode semblassent avoir oublié cette parole non inclusive de Jésus. Il poursuivait en demandant si l’Église s’était trompée pendant des siècles sur l’interprétation de la parole de Dieu. Pour lui, si tel était le cas, cette thèse aurait de graves conséquences. Si, pendant deux mille ans, l’Église s’était comportée de manière fondamentalement différente de la volonté de Dieu sur ces questions essentielles de la doctrine de la foi et de la morale, elle ne serait plus digne de foi sur aucune question.
Ou alors, pour aller jusqu’au bout de ce raisonnement diabolique, ne serait-ce pas Dieu lui-même qui se serait trompé ? La logique voudrait – c’est moi qui parle et non Martin Grichting – que le pape régnant organisât un concile « Vatican, l’épilogue » pour exclure Dieu de l’Église, afin de pouvoir inclure sans entrave !
Que conclure de tout cela ? Je pense que toute conclusion, à ce stade, serait hâtive, car vous n’avez pas encore entendu les autres orateurs, qui vont certainement revenir sur mes propos et plus brillamment. De fait, en ces temps de bascule, où toutes les références apprises et vécues depuis l’enfance sont honnies et reniées, l’heure du chaos sonnera si nous ne faisons rien. Le chaos, la confusion des hommes comme des genres, trouve dans le mantra de l’inclusion son instrument le plus efficace, le plus fertile.
Chers amis, ce n’est pas seulement notre patrie qui est en danger, c’est notre univers tout entier. Nous avons ignoré le principe énoncé par Julien Freund : en politique, l’essentiel est de désigner l’ennemi. Mais l’ennemi, lui, nous a désignés et veut paradoxalement nous exclure parce que nous rejetons le dogme de l’inclusion ! Et, sans craindre la contradiction, il proclame, conformément au mantra de l’inclusion, que tout le monde est ami, que toute société doit non seulement accueillir l’étranger, mais de plus s’adapter à lui ! Cette folie cosmopolite annihile toute idée même de patrie, de citoyenneté. Résister à l’envahisseur, c’est refuser les bienfaits du mantra de l’inclusion !
Mais ceux qui sont l’objet de tant de sollicitude sont bien là, mis en place par de folles politiques migratoires. Beaucoup d’entre eux haïssent notre civilisation occidentale, rejettent nos coutumes et nos traditions, et ne voient en nous que les anciens colonisateurs, eux qui n’ont pas connu la colonisation et qui ne sont en vie pour la plupart qu’en raison des bienfaits que celle-ci a apportés à leurs ancêtres. Et puis il y a aussi cette autre France avec qui ils cohabitent, jouisseuse, indifférente à ce qui ne concerne pas son égoïsme, uber-société d’individus sans racine et sans espoir.
Puissions-nous, à l’issue de nos travaux, convaincre notre jeunesse de l’ardente et urgente obligation de retrouver la volonté de s’exclure des utopies meurtrières et d’inclure son identité dans son destin !